Soins primaires : reconstruire la première ligne face aux défis démographiques
- Lorenzo Lanteri
- 9 mai 2022
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juil.

À l’heure où les attentes des Français envers leur système de santé sont plus fortes que jamais, notre capacité à y répondre est mise à rude épreuve. Les transformations profondes de la démographie médicale annoncent une période de tensions, particulièrement dans l’offre de soins de proximité. Moins de généralistes, plus de spécialistes : cette bascule s’est opérée sans que nous en tirions toutes les conséquences.
Une équation démographique inquiétante
Nous entrons dans une phase de baisse de la densité médicale. La génération actuelle de médecins généralistes, en grande partie formée dans les années 1980-1990, part progressivement à la retraite. La relève existe, mais elle mettra du temps à compenser les départs : ce n’est qu’à partir de 2030 que nous pourrions retrouver le niveau actuel. Le tout, dans un contexte où le vieillissement de la population fait exploser les besoins en soins.
La crise sanitaire, de son côté, a cruellement rappelé les failles de notre organisation de soins de ville. Des failles que nous connaissions déjà, mais qui n’avaient pas été pleinement traitées.
Les fondations pour la construction existent
La bonne nouvelle, c’est que nous ne partons pas de zéro. Depuis plusieurs années, les pouvoirs publics ont encouragé les coopérations entre professionnels de santé : équipes de soins primaires (ESP), maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP), centres de santé (CDS), communautés professionnelles territoriales (CPTS)… À cela s’ajoutent des initiatives locales portées directement par les acteurs de terrain, parfois en dehors des cadres juridiques classiques.
Des outils existent, des expérimentations ont vu le jour – notamment à travers le cadre de « l’article 51 » –, mais ils peinent encore à créer un système lisible et cohérent. Trop souvent, les organisations se superposent, se concurrencent ou s’ignorent. Et le patient, lui, reste perdu dans un labyrinthe de sigles.
Le paradoxe est cruel : on parle de coordination partout, mais on n’en voit pas les effets concrets sur la qualité de la prise en charge. Comme le disait l’économiste Robert Solow : « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité. » On pourrait aujourd’hui dire : « On voit de la coordination partout, sauf dans l’amélioration du parcours patient. »
Partir des besoins de santé
Il est temps de changer de paradigme. Plutôt que d’empiler les offres de soins, commençons par mesurer les besoins de santé. Partons des besoins de la population pour construire des organisations de santé adaptées. C’est tout l’enjeu de la responsabilité populationnelle : faire en sorte que chaque structure de soins, quel que soit son modèle, soit responsable de la santé des habitants du territoire qu’elle couvre.
Cela suppose d’abord de garantir des fonctions socles à toute organisation de proximité :
· Soins non programmés
· Prise en charge somatique et mentale
· Prévention
· Coordination avec l’hôpital
· Soutien social
· Lien avec le médico-social
Ce socle commun permettrait de clarifier les missions, de structurer le financement et d’organiser l’accompagnement RH, technologique et immobilier.
Une organisation plus juste… mais aussi plus exigeante
Bien sûr, cela implique de réinterroger certains principes historiques, comme la liberté totale d’installation. Des obligations collectives doivent être opposables à tous les nouveaux entrants, qu’ils soient médecins, infirmiers ou autres professionnels de santé.
Mais le renforcement de la première ligne passe aussi par une redéfinition des rôles. Aujourd’hui, les infirmiers – pourtant plus de 500 000 en activité – restent classés comme « auxiliaires médicaux ». Ce cadre est dépassé, il doivent pouvoir être davantage reconnu dans le suivi des pathologies chroniques. Les transferts de compétences sont encore inexistants en France et paralyse le système.
Des carrières à réinventer, des compétences à libérer
Il est temps de construire une chaîne de compétences intégrée, allant de l’aide-soignante au médecin, avec des niveaux de responsabilité variable selon la formation et l’expérience. Des passerelles doivent être créées pour permettre des carrières dynamiques, en particulier pour les infirmiers via la pratique avancée, déjà inscrite dans la loi.
Mais il faut aller plus loin : clarifier les protocoles de coopération, stabiliser l’exercice des infirmiers en pratique avancée (IPA), mieux les rémunérer, mieux les aider à financer leur formation surtout pour les infirmières libérales. Il faut également imaginer de nouveaux métiers, à l’image de l’« assistante de parcours » expérimentée au Montpellier Institut du Sein. Ce rôle d’accompagnement, de coordination et d’alerte pourrait devenir essentiel dans une médecine de parcours encore en construction.
La planification, un outil à redécouvrir
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