Soins de longue durée : un enjeu stratégique pour la France face au vieillissement
- Lorenzo Lanteri

- 4 déc.
- 5 min de lecture

Face à un vieillissement démographique inéluctable et de grande ampleur, la France doit adapter en profondeur son modèle de protection sociale pour garantir des soins de longue durée (SLD) dignes, accessibles et universels. Dans cette perspective, les lignes directrices de l’Association internationale de la sécurité sociale (AISS) offrent un repère précieux : elles dessinent les contours d’un système complet, intégré et respectueux de la dignité humaine, et éclairent les orientations que la France doit opérer.
Les soins de longue durée : un droit humain fondamental
Les lignes directrices de l’AISS rappellent que les soins de longue durée dépassent largement le périmètre des soins médicaux. Les services de soins de longue durée désignent un ensemble de services destinés aux personnes dont l’autonomie est réduite, qu’il s’agisse d’aide à la vie quotidienne, d’accompagnement social, de soins infirmiers, de soutien psychologique ou d’adaptation du logement.
L’AISS souligne que ces services relèvent d’un droit humain fondamental, qui doit être garanti par les systèmes de protection sociale. Les soins de longue durée (SLD) ont pour impératif de considérer la personne comme un individu avec une histoire, des besoins, des attentes et des émotions. Cette ambition implique un cadre juridique solide, des mécanismes de financement équitables, des parcours coordonnés et une protection forte contre les risques de maltraitance.
Un cadre international qui éclaire les besoins français
La France fait aujourd’hui face à une dynamique démographique qui remet en question l’équilibre de son modèle social. Les dépenses de santé progressent rapidement avec l’âge : environ 1 900 euros par an à 40 ans, 4 500 euros à 70 ans, et 8 600 euros à 90 ans. Les générations du baby-boom entrent désormais dans les âges où la fragilité et la perte d’autonomie deviennent plus fréquentes.
Selon les projections de la Chaire Transition démographique-Transition économique (TDTE), le nombre de personnes en perte d’autonomie augmentera de 20 000 par an d’ici 2030, puis de 40 000 par an dans la décennie suivante. Parallèlement, trois Français sur quatre souhaitent rester à domicile en cas de perte d’autonomie, ce qui renforce la nécessité d’une offre de service coordonnée à la maison.
Dans ce contexte, plusieurs principes portés par l’AISS entrent en résonance directe avec les défis français.
Soutenabilité financière : l’urgence d’un modèle stable et pérenne
L’une des grandes forces des lignes directrices de l’AISS est de rappeler qu’un système de soins de longue durée doit être construit sur des bases financières robustes. Le rapport Libault estimait dès 2018 que les dépenses publiques liées à la dépendance devraient augmenter de 9,2 milliards d’euros d’ici 2030, avant d’atteindre 20 à 30 milliards d’euros supplémentaires par an à horizon 2040–2050.
Ces montants posent une série de questions politiques majeures :
· faut-il augmenter les cotisations sociales ?
· faut-il recourir davantage à l’assurance privée ?
· faut-il imaginer un financement hybride (privé/public) ?
Peu importe, le modèle de financement choisi, les lignes directrices de l’AISS incitent à aller vers un financement intégré, plus clair et centré sur les besoins. La soutenabilité ne concerne pas seulement les budgets : elle exige aussi une organisation cohérente du « qui fait quoi », pour sécuriser les parcours, notamment à domicile.
Mieux coordonner les parcours pour réduire les ruptures
La France souffre d’une fragmentation historique entre la prise en charge sanitaire (Assurance maladie) et l’accompagnement médico-social (CNSA). Si la France dispose d’une offre dense dans le domaine de la perte d'autonomie, celle-ci reste dispersée, générant des ruptures de parcours, des doublons administratifs et des inégalités territoriales marquées. Ce n’est pas tant l’absence de solutions qui pose problème, mais leur dispersion.
Les lignes directrices de l’AISS insistent sur la nécessité d’un parcours fluide et centré sur la personne. Cette approche rejoint les réformes engagées en France, notamment :
· la création du Service public départemental de l’autonomie en 2024, pensé comme un guichet unique destiné à simplifier l’accès aux aides, aux soins et à l’adaptation du logement ;
· la montée en puissance de solutions numériques comme Mon Espace Santé, qui met à disposition un catalogue de services de santé, ou le dossier usager informatisé (DUI) déployé par la CNSA, permettant un suivi partagé des parcours.
Le principal défi à venir consiste à rendre ces outils interopérables pour offrir une vision complète du parcours de chaque personne.
Renforcer les contrôles en cas de délégation au secteur privé
L’AISS recommande de développer les partenariats entre acteurs publics et privés, tout en encadrant rigoureusement leur gouvernance. La France connaît bien les enjeux liés à ce modèle. L’affaire Orpéa, révélée en 2022, a mis en lumière les dérives possibles lorsque la recherche de rentabilité prend le pas sur la qualité du service et la dignité des personnes âgées.
Les lignes directrices rappellent avec force que la coopération public–privé ne peut être bénéfique que si elle respecte un ensemble strict de règles éthiques, financières et humaines.
Valoriser les professionnels et les aidants
L’AISS consacre un ensemble cohérent de recommandations à l’amélioration de la situation des travailleurs du grand âge. En France, les constats sont largement documentés : attractivité insuffisante, taux élevé d’accidents du travail, manque de reconnaissance et de formation.
Pourtant, l’équation est claire : on ne peut pas bien accompagner les personnes âgées si l’on ne soutient pas ceux qui les accompagnent. Cela suppose un investissement massif dans les conditions de travail, la formation continue et la revalorisation salariale.
Un virage domiciliaire assumé
La France accélère la transformation de son offre en faveur du maintien à domicile. Plusieurs évolutions structurantes vont dans ce sens :
D'une part, Le développement de coordonnateur de parcours, chargés d’accompagner les seniors et leurs aidants. Cette nouvelle fonction vise à aider les personnes en perte d'autonomie et leurs aidants à organiser et coordonner les services et intervenants au domicile.
D'autre part, la réforme des services autonomie à domicile, qui fusionne plusieurs structures (SAAD, SPASAD et SSIAD) pour proposer un accompagnement unique et éviter les ruptures ;
Enfin, la prévention de l’aggravation de la perte d'autonomie, avec des initiatives telles que le repérage précoce de la fragilité par des non-professionnels, la promotion et le remboursement de l’activité physique adaptée ou l’adaptation du logement grâce aux ergothérapeutes.
Cette logique préventive est non seulement bénéfique pour la qualité de vie, mais aussi pour les finances publiques. Selon la Cour des comptes, gagner une année d’espérance de vie sans incapacité représenterait une économie de 1,5 milliard d’euros par an pour l’Assurance maladie.
Dans son rapport de décembre 2025 Finances et comptes publics — Démographie et finances publiques, la elle souligne aussi que le vieillissement constitue désormais le principal facteur de déséquilibre des comptes sociaux. Elle déplore d'ailleurs, une faible prise en compte des tendances démographiques dans la programmation budgétaire.
Le message est clair : la France ne peut plus se permettre de traiter la démographie comme une donnée extérieure à la décision publique. Elle doit désormais l’intégrer au cœur de sa stratégie financière, sanitaire et sociale.
Vers une société du “bien vieillir”



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