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Repenser la régulation de la dépense de santé




La crise sanitaire a exacerbé certaines faiblesses déjà identifiées de longue date en matière de régulation macro-économique de notre système de santé. Dans ce contexte, la question de l'évolution des outils de gestion de la dépense de santé ne s'est sans doute jamais posée avant avec autant d'acuité.


Mal connu du grand public, l’Objectif National d’évolution des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM) reste pourtant le principal instrument de régulation du système de santé. Il est la traduction d’une volonté politique forte. Il s’agit d’un objectif de dépenses établi au niveau national avec une déclinaison régionale dont le but est d’influer sur l’évolution « naturelle » des dépenses de l’assurance maladie. Par exemple, si rien n’avait été fait en 2017 et en tenant compte de plusieurs déterminants tels que le vieillissement, le progrès technique, les dépenses de santé auraient progressé de 4,3%. Or l’objectif de l’ONDAM avait été fixé à 2,1%. Inversement, l’ONDAM avait été fixé à 2,45% par la loi de finance de Sécurité Sociale pour 2020 et en réalité et du fait de la crise COVID l’évolution de la dépense de santé constatée s’est élevée à +7,6%.


L'ONDAM un instrument à bout de souffle?

L’ONDAM est donc bel et bien un outil de contrôle des dépenses de santé. Il a d’ailleurs été introduit par les ordonnances du 24 avril 1996 quand les dépenses d’assurance maladie entrainaient un déficit permanent au sein de la branche dédiée de la sécurité sociale. L’ONDAM fait l’objet d’un vote annuel par le Parlement, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale afin de conférer un caractère démocratique à ce puissant levier qui agit sur une masse financière qui avoisine 191 milliards d’euros.

Cependant, il ne constitue pas un budget mais plutôt un indicateur de maîtrise des dépenses de santé. En effet, ce n’est pas une enveloppe fermée et l’objectif fixé n’est pas limitatif. Quand bien même les dépenses sont plus importantes que prévues initialement, les remboursements perdurent.


Depuis sa création, le périmètre de l’ONDAM n’a cessé de s’élargir et ce, au moment où les dépenses de santé étaient plus dynamiques et les objectifs nationaux de plus en plus stricts et resserrés.

Néanmoins, après, une existence de plus de 20 ans, l’ONDAM est aujourd’hui sous le feu des critiques. Dans sa construction, il n’effectue qu’une distinction par acteurs institutionnels, sans tenir compte des dynamiques des activités poursuivies (plus grande spécialisation de la médecine, développement du numérique, nouveaux modes de prise en charge des patients Ville/hôpital)


Tel qu’il est construit l’ONDAM se structure de la manière suivante : soins de ville, établissements de santé, établissements médico-sociaux (pour les personnes âgées et les personnes handicapées), Fonds d’intervention régional (FIR). Ajoutons, une dernière nomenclature réservée aux « autres prise en charge ».


S’il a permis de préserver le périmètre solidaire du financement des dépenses de santé, il s’avère insuffisant pour accompagner les transformations de notre système de santé : explosion des maladies chroniques, construction de parcours de soins, renforcement de la prévention. Son mécanisme d’enveloppe présente un certain nombre d’inconvénients. Ils fixent des « parts de marché » aux différentes composantes du système sur une base historique et non selon des besoins de santé. L’architecture en différentes enveloppes soutient la tendance à la spécialisation et ne favorise pas la coopération entre les différentes composantes du système de santé. La construction de l’ONDAM révèle l’absence de priorités de santé. Cet instrument de régulation ne peut porter des objectifs de santé publiques la construction de parcours de soins durables ou la structuration d'une offre de premier recours.


Une régulation macro-économique coupable de l'appauvrissement de l'hôpital

Pire dans sa gestion l'ONDAM est en partie responsable de l'appauvrissement de l'hôpital. Appauvrissement dont on sait désormais que l'on a payé collectivement cher la facture lors de la première vague d'épidémie de Covid-19. Faute de régulation suffisante chez les libéraux en médecine de ville, l'hôpital était devenu la variable d'ajustement pour équilibrer l'enveloppe globale. Depuis 6 ans, le dépassement des dépenses en médecine de ville a été absorbé par des restrictions budgétaires pour l’hôpital. Quand bien même, les établissements hospitaliers étaient dans le "vert" en sous-exécutant l'enveloppe qui leur était dévolue, ils se voyaient amputé de leurs économies. Les réserves de l'hôpital étant utilisé en cours d'année pour éponger les dépenses non-maitrisées en médecine de ville.


En outre, les dépenses d’investissement nécessaire au renouvellement de matériel ou à "la juste rémunération" des personnels des hôpitaux ne sont pas retracées dans l’ONDAM et ne font pas l'objet d'un objectif budgétaire spécifique. En effet, les hôpitaux sont supposés trouver les ressources pour investir via des dépenses d’ONDAM non-fléchées comme les dotations annuelles de financement (DAF) ou les tarifs de soins hospitaliers inclut dans la T2A. On ne peut pas ainsi retracer les investissements des hôpitaux. Cette modalité de financement couplé aux annulations de dotations initialement mises en réserve afin de garantir le respect de l'Ondam total constitue un frein à la lisibilité dont les hôpitaux ont besoin pour décider d'investissements.


Incapacité des hôpitaux à investir et restrictions budgétaires nous tenons-là les causes de l'appauvrissement de l'hôpital au moment d'affronter une crise sanitaire sans précédent dans notre pays. Ne blâmons pas entièrement l'ONDAM qui n'est qu'un instrument de régulation, les décisions d'allocation des budgets étant l'apanage des administrations en charge de la politique de santé.



Un instrument de régulation déconnecté des besoins de santé et des territoires

L'ONDAM dans sa construction est éloigné des besoins réels de la population. On est obligé ici, de revenir à un élément fondamental : l'ONDAM est construit très en amont pour des besoins de santé très en aval : le soin des patients et leur parcours de santé. L’ONDAM est très segmenté alors qu’aujourd'hui on avance vers une organisation des soins qui demande beaucoup plus de transversalité et beaucoup plus de coopération autour du patient.

Une organisation compartimentée n’est pas pertinente pour des prises en charge qui demandent beaucoup plus transversalité et de coopération entre acteurs notamment dans le suivi des patients du fait du caractère chronique des pathologies.

Autre évolution, on observe le poids croissant des territoires alors que le mode de répartition des crédits de l’ONDAM est essentiellement national. Les besoins de santé ne sont pas les mêmes d’un territoire à l’autre. En effet, la part de la population âgée ou des personnes vulnérables ou isolées varient fortement d’un territoire à l’autre. L'offre de soins n'est pas la même, lorsque l'on se situe dans les Alpes-Maritimes ou en Corrèze. Or la régulation nationale et ses déclinaisons régionales ne permettent pas d’appréhender suffisamment finement les dynamiques et les besoins de santé des territoires. Les territoires ont des besoins de santé spécifiques et c’est une préoccupation majeure des Français. La politique de santé a besoin des territoires car ils sont les seuls à pouvoir apporter des solutions pragmatiques adaptées aux réalités locales santé (aménagement du territoire, politique de la ville, action sur l’environnement, plus forte intégration de la prévention, des soins et du médicosocial).

Enfin, on ne peut pas négliger le fait que l'ONDAM est un outil de financement qui fait la part belle aux actes et à l’activité. Or, cette modalité de financement qui a tendance à privilégier les volumes à la qualité de soins se heurte à l'émergence de nouvelles organisation de soins innovantes. Le financement à la qualité (actuellement 400 millions d’euros) est amené à prendre une part plus importante. La construction de l’ONDAM ne peut négliger cette évolution fondamentale. Les nouveaux modes de tarification et d'organisation impliquent de changer la construction de l’ONDAM.

A la lecture de ces lignes, l’ONDAM, on l’aura compris, n’est plus pertinent dans sa construction, sa communication et son articulation avec les grands objectifs de santé. Se pose donc aujourd’hui, la question de la réforme de cet instrument. Les différentes options qui se présentent à nous vont d'un redécoupage de l'ONDAM à l'ajout d'enveloppes supplémentaires (prévention, médicaments ou par grands pathologies comme le cancer) en passant par la régionalisation de la dépense de santé.

Toutes ces pistes de réforme ont le mérite d'exister. Il faudra évaluer pour chacune d'elles les leviers d'efficience qu'elles présentent mais également les obstacles qui se dressent à leur établissement. La finalité étant de ne pas rajouter de la complexité à la complexité et d'offrir de la visibilité et de réelles marges de manœuvres à des acteurs de santé déjà fortement éprouvé par la crise sanitaire et les restrictions qu'ils subissent.

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