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Quelques enseignements sur le partage de compétences entre professionnels de santé

  • Photo du rédacteur: Lorenzo Lanteri
    Lorenzo Lanteri
  • 13 févr. 2023
  • 10 min de lecture




A l’heure où l’accès aux soins s’avère de plus en plus difficile pour un nombre important d’assurés, des expérimentations de terrain promeuvent de véritables partages des compétences entre professionnels de santé. Qu’entend-on exactement par le partage des compétences ? Est-ce un mouvement de dérégulation de notre système de santé susceptible de remettre en cause la place du médecin traitant ou une reconnaissance des compétences acquises par les autres professionnels de santé ?


Dans un contexte de forte mobilisation des professionnels, notamment autour d’enjeux de reconnaissance de leurs compétences accrues par les effets de la crise sanitaire, la proposition de loi Rist « portant sur l’amélioration de l’accès aux soins par la confiance aux professionnels de santé » prévoit de repositionner des professionnels de santé tels que les IPA (infirmière en pratique avancée), les masseurs kinésithérapeute ou encore les orthophonistes pour un accès direct au patient. L’objectif est de cette proposition de loi est de répondre aux enjeux d’attractivité des soignants et d’accès aux soins pour gagner du temps médical.


Cette proposition suscite la colère des principaux syndicats de médecins libéraux qui y voient un risque de dérégulation entraînant une médecine à deux vitesses.

Les orientations votées par le Conseil de l’UNCAM pour la future Convention médicale portent également des ambitions fortes en matière de nouvelles répartitions de compétences via le renforcement des protocoles de coopération. Ces orientations vont également dans le sens d’une adaptation des modes de rémunération des médecins afin de permettre le développement d’organisations innovantes et du travail en équipe.

Notre système de santé pâtit d’une désarticulation entre l’organisation de notre modèle sanitaire centré sur le médecin traitant qui doit tout faire et les réalités des ressources humaines disponibles de notre système de santé. Le manque de réflexion collective sur les rôles et positionnements respectifs des différentes professions et disciplines (médicales, paramédicales et médico-sociales) génèrent une dégradation de l’accès aux soins, une forme de frustration des professionnels et une inefficience dans le parcours de santé des patients. Il subsiste également un clivage maintenu entre la « fabrique » des professionnels de santé et les besoins de soins assurés, le cas des spécialistes qui a depuis longtemps dépassé le nombre de médecins généralistes en constitue un exemple frappant.

L’émergence de formes d’exercices intermédiaires et coordonnés entre professions médicales et paramédicales est opportun pour répondre aux enjeux suivants qui ont été identifiés par le rapport de l’IGAS « Trajectoires pour de nouveaux partages de compétences entre professionnels de santé.

Mieux répondre aux à la nouvelle donne épidémiologique et démographique de la population


Le développement des partages des compétences apparait justifié pour les raisons suivantes :

· Le déséquilibre démographique actuel et durable à moyen-terme entre l’offre et la demande de soins médicaux de la population.

· L’ augmentation des besoins lié au vieillissement de la population et à au développement des maladies chroniques ainsi qu’au progrès du dépistage et des opportunités thérapeutiques, qui transforment les besoins et modes de prise en charge (notion de patients stabilisés qui demandent une surveillance qui peut être réalisé par un autre professionnel de santé et dégager du temps pour les patients complexes et l’éducation thérapeutiques).

· La baisse d’attractivité des métiers : il apparait opportun d’ouvrir des perspectives professionnelles aux paramédicaux dont le système actuel de définition des responsabilités par décrets et arrêtés, et codifiés par le code de la santé publique et actes rend difficile la reconnaissance des acquis de l’expérience.

Au-delà de ces données démographiques et épidémiologiques, d’autres raisons sociologiques apparaissent de nature à justifier l’accélération dès maintenant des partages de compétences:

· L’insécurité juridique des soignants qui de fait interviennent déjà en dehors de leurs compétences autorisées (glissement de tâches) face à une situation de soins très dégradée.

· L’augmentation générale du niveau académique des professionnels paramédicaux.

· Le mal-être des professions non-médicales qui sont en première ligne face aux besoins de la population dans les déserts médicaux ou pendant la crise sanitaire.

· Les nouvelles technologies (téléconsultations, Mon espace santé, et autres dispositifs de suivi numérique des maladies) qui ouvrent des perspectives et des missions nouvelles pour les professions médicales.

· Le changement des modes d’exercice des professionnels de santé (salariat, rémunération au forfait ou au parcours, développement de nouvelles formes d’exercice professionnel etc..).

Nous avons un besoin urgent de répondre aux problématiques durables d’accès aux soins et de lever les obstacles à la coopération ainsi que les réticences des professionnels à l’organisation d’un parcours de santé plus lisible, adapté et sécurisé.

Cinq enseignements pour améliorer le partage de compétence
A partir des expériences déjà menés sur le terrain par des équipes de soins, nous sommes aujourd’hui en mesure d’identifier des conditions communes de réussite de nouveaux partages de compétence entre professionnels.

Le premier sujet est celui de la confiance mutuelle entre professionnels, gage de sécurité des patients. Cela passe par la connaissance interpersonnelle des professionnels par le biais de l’exercice coordonné. Le Projet PEPS[1] de la Maison de Santé Pluridisciplinaires des Allymes (Ambérieu en Bugey) montrent comment médecins généralistes, infirmières IPA, infirmières parcours et assistants médicaux travaillent en bonne intelligence et contribuent à améliorer la qualité de soin des patients et le suivi ville-hôpital. Les pratiques d’exercice coordonné expérimentées dans les MSP et centres de santé améliorent l’accès aux soins et permettent aux professionnels de santé de travailler plus sereinement en étant plus efficace. Un travail important demeure dans le changement de la sémantique et des perceptions, nous ne sommes pas sur des transferts de compétences mais sur l’utilisation des compétences acquises par les infirmiers et les pharmaciens au cours de leur formation initiale ou par la formation continue. Le mot « délégation de taches » est à cet égard problématique car confère au seul médecin la possibilité de faire ou non. L’ « omnivalence » du diplôme de médecin et la prévention de l’exercice illégal de la médecine fondent l’organisation des professions de santé mais il constitue un frein à la coopération interprofessionnelle et à la coresponsabilité.

Le deuxième enseignement réside dans le fait que la mise en place d’un paiement forfaitaire à l’ensemble de l’équipe de soin permet d’éviter les conflits et les tensions concurrentielles entre professionnels de santé. La mise en place d’une rémunération des professionnels complétement déconnecté de l’acte permet de supprimer la tension concurrentielle qui est un frein à la complémentarité des compétences. Les professionnels de santé qui s’inscrivent dans cette démarche sont souvent déjà enclins à travailler collectivement sur les problématiques de santé de leurs territoires. Des paiements forfaitaires collectifs des professionnels de santé en ville ont également été déployés dans les centres de santé Richerand (Xéme arrondissement de Paris) et au sein du centre de santé polyvalent de la ville de Nanterre. Les porteurs de projets affirment que ce type de rémunération permet d’éviter les tensions autour du partage des rémunérations car le paiement est fait à la coopérative ou au centre de santé. Ce mode de paiement permet également de déployer des actions de prévention et d’éducation thérapeutiques des patients aujourd’hui peu valorisés dans la nomenclature des actes du droit commun. Ce type de paiement permet donc de valoriser des pratiques qui n’existent pas dans la nomenclature tel que les consultation de groupes, ateliers d’activité d’éducation à la santé et c’est aspect non négligeable quand on connait le niveau d’inégalités de santé de notre pays.

Le paiement à l’acte peut donc constituer un frein au travail en équipe. Il apparait donc nécessaire de favoriser un mixte entre le paiement à l’acte et le forfait et pour certains modèles vers un salariat comme c’est le cas dans les Centres de santé. C’est pourquoi, il est souhaitable de développer une incitation forte (et des moyens conséquents) pour s’engager dans un exercice coordonné dans la prochaine Convention médicale.

Le troisième enseignement est celui du développement des protocoles qui constitue une réponse à l’inadéquation offre/demande de soin mais aussi à un besoin d’évolution plus structurelle de l’ensemble des métiers des professions de santé pour rendre ces métiers plus attractifs. Toutes les évaluations montrent que les protocoles de coopération présentent un gain de temps médical une amélioration de la qualité des soins. En outre, les protocoles permettent une diminution des délais de rendez-vous et une augmentation du suivi et par conséquent une plus grande disponibilité des médecins pour la coordination. Enfin, les patients atteints de maladies chroniques ont une meilleure observance des examens complémentaires lorsqu’ils sont suivis par une équipe de soins coordonnés avec un protocole bien défini. Malgré ce bilan positif les protocoles de coopérations ont encore une portée limitée sur le terrain. Les modèles de rémunération et de financement de ces protocoles sont souvent expérimentaux et la pérennité pose question. Actuellement, le caractère intuitu personae des protocoles pose problème en cas de mobilité car il n’existe pas de portabilité de la compétence mise en œuvre.Pourtant les modes d’exercice coordonnés sont transposables dans les Communauté professionnel territorial de santé (CPTS) à travers l’utilisation des protocoles nationaux validés par les autorités de santé. Nous devons passer des phases d’expérimentation à la possibilité de les appliquer sur les territoires qui le nécessitent. Ces protocoles pourraient prévoir le rôle de chaque professionnel en pleine responsabilité pour les missions qui lui sont attribuées.

Le quatrième enseignement est celui de la transparence de l’information partagée entre les divers intervenants. Le développement du numérique en santé permet de faciliter, de partager et accélérer les échanges avec l’équipe de soin du patient mais aussi les services hospitaliers. L’importance d’un Système d’information commun (partage et historicisation et portabilité) est cruciale entre les établissements de santé et les soins de ville. Selon, Josefa Delgado, coordinatrice d’une Maison de Santé (MSP) à Orléans travaillant sur la prise en charge des soins non-programmés l’importance de la structuration partagée des dossiers médicaux est primordiale pour le partage des compétences. Le système d’information partagée avec le Centre Hospitalier Régional d'Orléans a permis un fort développement de la traçabilité pluridisciplinaire. A l’inverse, le manque de communication constitue un obstacle pour la sécurité du patient. C’est pourquoi, il est important de pouvoir mesurer l’effectivité de l’utilisation des outils numériques de communication mis à disposition par Assurance maladie pour les professionnels de santé. En effet, l’existence de Mon espace santé ne garantit pas l’utilisation par les professionnels de santé. Cette exigence de traçabilité de l’information dans le dossier du patient doit être au cœur de la prochaine convention médicale. D’autant plus, que les premières évaluations de l’exercice coordonné montrent que les informations remontent vers le médecin car il y a un travail important de remplissage des dossiers par les professionnels paramédicaux mais elles ne redescendent pas souvent dans l’autre sens.

Le cinquième sujet est celui de l’accès direct des patients à certain professionnels de santé. La « réa-allocation des taches » notamment par le bais de délégation de taches entre médecins, pharmacien et infirmiers constitue un excellent moyen d’assurer une équipe de soin de proximité dans les zones sous-dense. Tout en conservant la place centrale du médecin traitant, clés de voute de notre système de santé, ce dernier doit évoluer pour passer d’une approche « gate keeper[2] » à « un rôle de coordinateur ». C’est pourquoi il est nécessaire d’élargir les droits de primo-prescription à certaines professions de santé au sein d’un exercice coordonné.

Par ailleurs, la loi du 24 juillet 2019 de transformation du système de santé a engagé un renforcement de l’autonomie des pharmaciens d’officine vis-à-vis des médecins prescripteurs et cela constitue un progrès dans la prise en charge des patients. Avec l’accroissement des rémunérations à la dispensation chez les pharmaciens se développent de nouveaux services en lien avec cette dernière. Les nouvelles missions de santé publique constituent également un enjeu de développement de la prévention proximité. Par exemple, le projet OSYS[3] montre l’importance du rôle du pharmacien en premier recours pour orienter le patient.

Des organisations de soins coordonnées et innovantes au service du patient

Les évaluations tendent à montrer que lorsque les partages de compétences sont bien pensées et les professionnels bien formés, ces organisations innovantes sont plus performantes que les organisations antérieures et améliorent la prise en charge du patient.

Ces nouveaux partages de compétences prennent tout leur sens lorsqu’ils s’inscrivent dans des organisations pensées et conçues pour les favoriser et en tirer tout le parti et qu’ils bénéficient de modalités de financement adaptées.

Ces organisations améliorent la prise en charge du patient. Ce dernier doit être en mesure de choisir et de déclencher cette coordination des acteurs de santé et de ces nouveaux modes d’organisation autour du traitement et du suivi de sa pathologie et de coordination. Le patient-assuré est un élément déterminant pour changer les pratiques.

Par ailleurs, la facilitation des conditions d’exercice autour d’un projet motivant ainsi que la possibilité d’intégrer un collectif / projet, soutien à la constitution de réseaux / recherche constituent un levier déterminant de maintien dans la durée des médecins dans les « déserts médicaux ». Ce levier a été pratiqué dans d’autres pays mais il reste peu utilisé en France ;

Il apparait nécessaire de donner davantage d’importance aux négociations interprofessionnelles et aux nouveaux modes de rémunération au sein du mécanisme conventionnel pour permettre l’émergence et le développement de ces organisations innovantes.

Pour éviter que ce partage de compétences ne débouche sur un risque de perte de chance pour le patient, il serait opportun intégrer les compétences cliniques et sémiologiques nécessaires dans le référentiel de formation des professionnels concernés en insistant sur les compétences de conduite d'entretiens d'anamnèse, de hiérarchisation des plaintes pour structurer le traitement de celles-ci dans le temps, et de communication avec le patient référentiel de formation des professionnels.

Compte tenu de la situation que vivent actuellement les assurés, il apparait essentiel de transformer le rôle du médecin traitant de « gate keeper » à celui de coordinateur. Le médecin traitant doit rester la norme et il ne s’agit pas de laisser d’autres professionnels de santé prendre sa place mais nous devons avoir en tête qu’aujourd’hui l’accès direct au médecin traitant n’est plus soutenable dans certain territoire. On agite souvent l’épouvantail de la médecine à deux vitesses en permettant l’accès direct aux autre professionnels de santé mais on oublie que d’ores et déjà des millions de patients n’ont plus de médecin traitant ce qui a pour effet de générer une exclusion des soins, un encombrement de l’hôpital, de l’automédication et des incohérences dans le parcours de soins des assurés.

[1]Expérimentation d’un paiement en équipe de professionnels de santé en ville. Il s’agit d’une rémunération forfaitaire collective des professionnels de santé en ville, substitutive au paiement à l’acte et libre dans son utilisation et dans sa répartition. Cette expérimentation a pour objectif de favoriser la pertinence, d’optimiser la prise en charge par une meilleure coordination, d’améliorer la qualité du parcours de soins et l’accès aux soins en zone sous-dense.
[2] La notion de «gatekeeper» (anglais pour «portier») s'est établie dans le domaine des assurances maladie comme terme technique signifiant le premier point de contact lors de questions relatives à la santé. La tâche du gatekeeper est d'effectuer les premiers examens et de rediriger les assurés vers les spécialistes ou les hôpitaux le cas échéant.
[3] Le projet pharma Osys est une expérimentation élaboré dans le cadre de l’article 51. L’idée était de répondre aux déserts médicaux dans des zones où la désertification médicale est telle qu’il n’y a pas d’infirmière libéral ou de médecins. L’officine devient un espace de santé et de prévention au sens large, en mesure de garantir l’accès aux soins en tout point du territoire via une première orientation et un triage.

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