Que doit on attendre du Socle européen des droits sociaux?
- Lorenzo Lanteri
- 9 févr. 2021
- 7 min de lecture

Adopté en 2017, le socle européen des droits sociaux permet à l'Union européenne de fixer un cadre et des objectifs en matière sociale. Malgré son absence de valeur juridiquement contraignante, le socle européen des droits sociaux permet d’offrir une nouvelle impulsion à l’Europe sociale à un moment où celle-ci est confrontée à une crise sanitaire, économique et sociale sans précédent. Il ne peut y avoir de relance économique sans relance sociale et l’année 2021 devrait marquée un tournant dans la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux.
Aux origines du Socle européen des droits sociaux
Tout d’abord, il est primordial de rappeler que le socle européen des droits sociaux n’est pas la première étape dans l’avènement d’une Europe sociale. Au contraire, Il s’inscrit dans un cadre législatif déjà construit bien que peu opérationnel en termes de convergence sociale. Déjà, la déclaration de Messine en juin 1955, outre la création d’un marché commun mentionnait l’harmonisation progressive de leurs politiques sociales.
Il n’en reste pas moins que la diversité et même parfois l’ambigüité des sujets que recouvre la politique sociale européenne ont pu entraver la construction d’une véritable ambition européenne en matière sociale et freiner la convergence des Etats membres autour de normes sociales communes.
En mars 2016, la Commission européenne proposait aux Etats membres de l’UE de relancer l’Europe sociale, à l’arrêt depuis la crise de la zone euro, en adoptant un cadre commun de référence. Vingt principes furent soumis à une vaste consultation de plus d’un an. Au final, le dénommé « Socle européen des droits sociaux » fût adopté le 17 novembre 2017 lors du Sommet social de Göteborg, par les 28 Etats membres.
L’objectif du Socle est de favoriser une Europe « plus équitable et plus inclusive ». Il se décline autour de trois thèmes :
Le premier est consacré à « l’égalité des chances et l’accès au marché du travail », et contient des principes relatifs à l’éducation et à la formation, à l’égalité femmes-hommes, à l’égalité des chances et au soutien à l’emploi.
Le deuxième thème traite de la question des « conditions de travail équitable » en définissant des principes relatifs à des « emplois sûrs et adaptables », au salaire minimum adéquat, aux informations des salariés, au dialogue social, à l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle et à la sûreté de l’environnement de travail.
Enfin, le dernier thème, relatif à la protection et à l’inclusion sociales, traite de l’aide à l’enfance, des prestations vieillesse et de chômage, du revenu minimum, des soins de santé, de l’inclusion des personnes handicapées et des sans-abri et de l’accès aux services essentiels.
2021: année de la mise en œuvre du socle des droits sociaux
Le socle européen des droits sociaux n'a pas de valeur juridique contraignante mais il permet de définir un cadre commun pour les droits sociaux des citoyens européens. Les traités interdisent en effet expressément à l'Union européenne d'harmoniser les législations dans le domaine social, comme le rappelle l'article 4 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE). Les articles 152 et 153 du même traité insistent quant à eux sur la nécessaire mise en place d'un dialogue avec les différents partenaires sociaux afin de "prendre en compte la diversité des systèmes nationaux" et "faciliter le dialogue entre eux, dans le respect de leur autonomie".
La Commission européenne dispose néanmoins de trois leviers pour influer sur les politiques sociales en Europe. Elle peut utiliser le levier budgétaire, non seulement par le biais des financements européens mais aussi en accordant plus de marge de manœuvre aux Etats, comme elle l'a fait en suspendant le Pacte de stabilité et de croissance pour permettre aux gouvernements de financer la réponse à la crise de la Covid-19. Elle peut jouer sur le législatif, en adoptant des directives qui fixent des normes sociales minimales communes et enfin elle peut user de la coordination, l'outil le plus soft, en incitant les Etats membres à prendre des dispositions nationales.
Le socle des droits sociaux a ainsi déjà inspiré plusieurs initiatives législatives européennes depuis son adoption. Par exemple la directive sur l'équilibre entre vie privée et vie professionnelle ou la directive relative aux conditions de travail transparentes et prévisibles.
L’année 2021 verra la mise en œuvre du socle des droits sociaux sous la forme d’un plan d’actions qui sera décliné au premier trimestre. Le Sommet Social de Porto du 7 mai 2021 donnera l’impulsion politique de la Présidence Portugaise. Pour parvenir à ce plan d’action, la Commission a décidé de lancer une consultation en ligne, ouverte à tous, jusqu’au 30 novembre 2020.
La mise en œuvre du socle a déjà partiellement commencé par le biais d’un agenda social 2020-2021. L'année dernière, les partenaires sociaux européens ont déjà été consultés sur divers sujets tels que la création de salaires minima, la garantie renforcée pour la jeunesse, la protection sociale des travailleurs des plateformes ou encore la création d’un régime européen de réassurance chômage.
Quels outils financiers pour mettre en œuvre le socle?
Le Fonds social européen plus (FSE+) 2021-2027 est appelé à devenir le principal instrument des outils de mise en œuvre du socle européen mais d’autres fonds pourront être sollicités.
Le Fonds social européen (FSE) a été créé dès 1957 et constitue l’un des quatre fonds structurels de l’Union. Il vise principalement à améliorer la situation de l’emploi et de l’éducation au sein de l’Union européenne, en aidant les citoyens à « acquérir les compétences adaptées […], en améliorant la qualité de l’éducation et de la formation ». Doté d’une enveloppe de 80 milliards d’euros pour la période 2014-2020, ce fonds vise plus spécifiquement les publics vulnérables, notamment les plus jeunes. A titre d’exemple, l’enveloppe française s’élève à 6 milliards d’euros. En France, la gestion du FSE est répartie entre les régions (pour 35 % des crédits) et l’État, au travers d’un programme opérationnel national (pour le reste des crédits).
Il faut également citer le Fonds européen d’aide aux plus démunis (FEAD) dont l’objectif est d’apporter une aide alimentaire et/ou une assistance matérielle de base aux plus démunis. A l’instar du FSE son fonctionnement est basé sur des programmes nationaux approuvés par la Commission européenne, laissant ensuite aux autorités nationales le soin d’adopter les décisions individuelles qui permettront aux ONG de fournir une assistance. Pour la période 2014-2020, ce fonds s’est vu allouer la somme de 3,8 milliards d’euros, cofinancée à une hauteur minimale de 15 % par les États membres. En mai 2020, la Commission a d’ailleurs dopé le FEAD pour les années 2020, 2021 et 2022 pour faire face à la pandémie de COVID-19 et répondre aux besoins croissants. Ces modifications mettent des ressources supplémentaires à disposition du FEAD pour les années 2020, 2021 et 2022.
Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation (FEM), mis en place par le règlement du 20 décembre 2006, sur une initiative française, vise à fournir une aide complémentaire aux travailleurs affectés par les impacts de la mondialisation, notamment pour assurer leur réintégration professionnelle. Le FEM dispose d'un budget annuel maximum de 150 millions d'euros pour la période 2014-2020. Il peut financer jusqu'à 60% du coût des projets destinés à aider les personnes ayant perdu leur emploi à retrouver du travail ou à créer leur propre entreprise.
L’Union européenne dispose donc d’une force de frappe conséquente en matière budgétaire dans le domaine social. Cependant, on peut regretter que les organismes de protection sociale (mutuelles ou caisses de sécurité sociale) du fait de leur statut juridique soient exclus des appels à projets d'action sociale. Le plan d’action de la Commission européenne pour la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux devrait permettre aux organismes de protections sociale d’accéder aux fonds européens qui les subventionnent (FSE +, FEM, FEAD). La méthode ouverte de coordination pourrait également mieux valoriser les bonnes pratiques nationales en facilitant les échange.
Le suivi de la mise en œuvre du socle
La communication sur le socle s’est par ailleurs accompagnée d’un « tableau de bord social » élargi présentant des indicateurs pays par pays dans des domaines tels que l’éducation, l’égalité des sexes ou encore les conditions de vie.

Source : Commission européenne, social Scoreboard France.
Disposer d’un tableau de bord est essentiel pour un suivi efficace, mais la manière dont ces aspirations se traduiront dans la législation et l’impact réel de cette dernière seront tout aussi importants. Le tableau de bord social pourrait être plus ambitieux, par exemple en classant les données non seulement selon le sexe mais en prenant aussi en considération l’âge, le handicap et la composition du ménage, afin de rendre compte d’un éventail de vulnérabilités dans les critères de mesure des conditions de vie.
Le plan d’action doit être accompagné de l’organisation systématique d’évaluations d’impact (en termes de droits humains) des initiatives et instruments politiques européens, pour éviter des objectifs politiques conflictuels avec les programmes d’ajustement et de disciplines budgétaires de la zone euro.
Il reste à établir quel poids auront les indicateurs du tableau de bord social par rapport à ceux du tableau de bord macroéconomique dans le cadre du « semestre européen ». La suspension du Pacte de Stabilité et la crise sanitaire et économique constituent un moment opportun pour rendre moins dépendante les politiques sociales de l’Union européenne du semestre européen.
La période qui s’ouvre doit également servir à ancrer le Socle des droits sociaux dans les normes internationales des droits humains. A l’heure actuelle, le SEDS est un simple instrument politique. En tant que tel, il fournit des orientations utiles, mais ne crée pas de garanties/droits légaux applicables devant les tribunaux ou d'autres organismes indépendants. Les efforts visant à renforcer la protection des droits sociaux et économiques en tant que droits exécutoires dans l'ordre juridique de l'UE devraient être accrus. Bon nombre des outils nécessaires à la mise en œuvre du socle européen des droits sociaux seront entre les mains des États membres, de la société civile et des partenaires sociaux. Le rôle des institutions européennes sera d’établir un cadre et de donner des orientations.
La future mise en œuvre du SEDS devrait se faire en étroite consultation avec la société civile et les partenaires sociaux. Pour que cela se fasse systématiquement, des procédures devraient être établies pour assurer une participation significative de la société civile et des organisations syndicales sur une base continue et de manière transparente. Le rôle de la Confédération européennes des syndicats et de la société civile sera crucial dans le suivi des impacts des politiques des droits sociaux, et dans la responsabilisation des décideurs.
Enfin, il serait opportun d'approfondir certaines problématiques émergentes, telles que l'accès aux droits sociaux dans les situations de mobilité ou de migration, la protection sociale des nouvelles formes d'emploi découlant de l'essor de l'économie de plateforme ou encore la prise en charge de la perte d'autonomie dans une société européenne vieillissante.
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