De la prudence mais des messages forts pour l'avenir du système de retraite
- Lorenzo Lanteri
- 4 févr. 2021
- 8 min de lecture

Le Comité de suivi des retraites (CSR) a rendu, le 21 décembre, son septième avis sur le système de retraite sur la base des projections du Conseil d'orientation des retraites. Présidé par Didier Blanchet, le Comité de suivi des retraites indique qu’il pourrait être contreproductif d’activer les leviers paramétriques tel que l’âge légal de départ à la retraite ou l’allongement de la durée de cotisation pour réduire les déficits de court-terme engendrés par la Crise. En revanche, le Comité alerte sur le fait qu’à plus long-terme, le système de retraite sera sous financé pour les 25 prochaines années et qu’il existe des marges d’ajustements en matière de relèvement de l’âge de liquidation des pensions.
Le 7éme avis du Comité de Suivi des retraites est formel : il est « urgent d’attendre ». Dans un contexte d’incertitudes sanitaire, économique et sociale, toute mesure paramétrique prise avant la sortie de crise serait contre-productive. Une augmentation de l’âge légal de départ à la retraite ou une augmentation de la durée d’assurance provoqueraient un chômage de court-terme dans la mesure où les entreprises ne seraient pas en mesure d’anticiper cette hausse de la population active des séniors ni de s’adapter à la réforme. Ce choc de population active serait encore plus préjudiciable dans un contexte où une grande partie des entreprises feraient face à des plans de sauvegarde de l’emploi.
Voilà qui prend à contre-pied, les velléités de réforme immédiate de l’actuel Ministre de l’économie, Bruno Lemaire. En tout état de cause, les partenaires sociaux ne sont pas enclins à rouvrir dans l’urgence une concertation qui instrumentaliserait les déficits conjoncturels pour mettre en place des mesures visant à allonger la durée de cotisation ou à augmenter l’âge légal.
Si le Comité de Suivi des Retraites tempère l’idée de toucher immédiatement au système de retraite et préconise de laisser se transformer les déficits des retraites en supplément de dettes publiques, il invite néanmoins le gouvernement à ne pas rester les bras croisés.
Remettre à plat la réforme conduisant à un système universel de retraite
Premièrement, le comité de suivi invite le gouvernement à définir un « calendrier » et « une méthode de sortie » post-crise, pour après 2021. La période qui s’ouvre doit servir à baliser les principes qui pourraient guider la construction d'un régime universel, dans une démarche qui intégrerait aussi la problématique de l'harmonisation des droits que les outils de retour à l'équilibre des régimes de retraite. Il est vrai que lorsque l’on se penche sur la complexité des conventions comptables pour la fonction publique (TCC, ECC, EPR) et la différence qu’elles induisent en terme de trajectoire d’équilibres pour les systèmes de retraite, on ne peut alors qu’être favorable à un pilotage unifié du risque vieillesse pour l’ensemble des actifs salariés.
Focus sur les Conventions comptables :
La convention TCC (pour taux de cotisation constant) correspond à l’ancienne convention « COR » elle consiste à figer les taux de cotisation implicites de l’État en tant qu’employeur et les taux de subvention des régimes spéciaux à leur dernier niveau constaté.
La convention EPR (pour équilibre permanent des régimes) dite également la convention CCSS en référence à la Commission des Compte de la Sécurité Sociale, consiste à équilibrer chaque année le régime des retraites de l’État et les régimes spéciaux.
La convention EEC (pour effort de l’État constant) consiste à stabiliser à sa valeur de 2019 la part dans le PIB des ressources affectées au régime des retraites de l’État et aux régimes spéciaux équilibrés.
Depuis un certain nombre de rapports du Conseil d’Orientations des Retraites ont mis en évidence les difficultés de projections. Ces difficultés viennent du fait que les indicateurs de la fonction publique restent soumis à beaucoup d’ambiguïté. Il faut que la partie fonction publique du système de retraite s’appuie sur des ressources dûment identifiées, avec des taux de prélèvements prédéterminés, l’ensemble pouvant alors faire l’objet de projections qui, combinées à celles des dépenses offre une lisibilité sur la trajectoire d’équilibre de ces régimes à moyen-terme.
Le CSR note que le régime Universel aurait pu remédier a beaucoup de problèmes de pilotage du système de retraite même si ce dossier en doit pas être rouvert avant fin 2021.
La baisse des taux de remplacement deux causes distinctes produisent les mêmes effets
Un bon exemple de la complexité actuelle du système de retraite provient de la baisse des taux de remplacement pour les générations nées après les années 50. Cette baisse inexorable, baisse du rapport entre la moyenne des pensions perçues l’année de la liquidation et le revenu moyen d’activité perçu lors de la dernière année d’activité, provient de causes différentes selon le régime dans lequel on se situe.
Pour les salariés du privé, cette baisse des taux de remplacement a pour origine la règle de revalorisation des salaires portés aux comptes (indexation sur les prix couplées au passage des 10 au 25 meilleures années). Pour les fonctionnaires, cette baisse des taux de remplacement s'explique par le fait que les primes prennent davantage d'importance dans le traitement de la fonction publique or ces primes ne sont pas comptabilisées dans le calcul des droits retraite.
Deux causes bien distinctes produisent les mêmes effets ce qui illustre bien la complexité des règles actuelles. Sur ce point, il est intéressant de relever que cette chute des taux de remplacement n’était pas imputable au passage à un système à point comme l’avait laissé entendre les fausses informations du collectif « Nos retraites» pendant la réforme. Ensuite, il faut s’interroger sur l’équité générationnelle et l’adhésion des jeunes au système de retraite avec des chiffres pareils. Par rapport aux générations qui partent actuellement à la retraite (nées au milieu des années 1950), les générations plus jeunes vont cotiser plus pour des taux de remplacement beaucoup plus faibles. Si les gains d’espérance de vie devaient ralentir fortement ce que semble confirmer les toutes récentes de l’INSEE, il n’est pas sûr que l’équité intergénérationnelle du système de retraite soit garantie.
Une sous indexation des pensions pour un partage égale des conséquences de la crise
Deuxièmement, la Comité de Suivi des retraites invite le gouvernement à sous-indexer les pensions pour commencer à réduire la facture des déficits abyssaux qui sont en train de se constituer au sein du régime général. Pour le Comité de suivi des retraites, il ne serait pas illégitime de réfléchir à une poursuite de la sous indexation des pensions pour viser un « partage parallèle des conséquences de la crise entre actifs et retraités ». En outre, le niveau de vie des retraités relativement à celui de l’ensemble de la population serait en hausse, passant de 105 % en 2019 à 110 % en 2020. Les retraités vivent en moyenne déjà mieux que les actifs et ont été épargnés par les conséquences économiques de la crise.
Le Comité de Suivi des Retraites estime donc justifié de sous-indexer les pensions mais il précise que ceci devrait se faire sans à-coups inutiles, et en limitant ses effets pour les retraités les moins favorisés
Pour ma part, j’estime que cette solution a beaucoup été utilisé ces dernières années tendant à faire d’une exception, la règle commune. Il aurait fallu aborder le problème autrement en alignant les taux de Contribution sociale généralisé (CSG) des retraités sur ceux des actifs tout en épargnant les petites pensions. Plutôt que de réduire les droits on gagne une ressource publique supplémentaire pour réduire la dette et commencer à financer une nouvelle mesure de justice comme le Minimum contributif universel à 85% voire à 90% du SMIC.
Le relèvement de l’âge légal : seule et unique alternative ?
Une fois ces considérations de court-terme traités, Il n’en reste pas moins que, au sens des indicateurs de déficit, le système reste sous-financé sur les 25 prochaines années. Constatant que la période actuelle ne peut que conduire à l’accroître l’endettement, le Comité de Suivi des Retraites avertit que ce dernier « ne saurait constituer une stratégie durable dans un système par répartition ». Les leviers paramétriques traditionnels (taux de cotisation, âge de départ et niveau de pension) devront donc être activé une fois la crise passée.
D’emblée, le Comité de Suivi des retraites écarte l’augmentation du taux de cotisation car il est déjà très proche de la limite légale de 28 % chez les salariés. Il est vrai que le niveau de prélèvements obligatoires sur les retraites se situe dans les fourchettes les plus hautes des pays de l’OCDE. En revanche on est en droit de penser qu’il existe des marges de manœuvre en matière de Plafond annuel de sécurité sociale et de cotisation déplafonnée notamment dans la perspective du passage à un Système Universel.
Pour équilibrer le système, le Comité penche pour un relèvement de l’âge légal. Il estime qu’il y’a des marges à ce niveau-là au regard d’une durée passer en retraite qui augmente en fonction de l’accroissement de l’espérance de vie dès lors, bien sûr, qu’il serait vérifié que la période actuelle ne remettrait pas significativement en cause cette tendance. Or l’INSEE va bientôt confirmer que l’on se situe sur l’hypothèse basse en termes de gain d’espérance de vie ce qui risque de rebattre pas mal les cartes.
Nous sommes convaincus que nous ne pourrons pas déroger à cette exception française d'un âge légal de départ en retraite parmi les plus bas d'Europe si nous voulons conserver un système qui garantit encore un haut niveau de retraite et une capacité à éliminer la pauvreté pour une grande partie des retraités. La question c'est de prévoir des mesures pour que les personnes qui ont des métiers pénibles puissent partir plus tôt en retraite. L'INSEE publie pour la première fois des données sur l'espérance de vie de la population selon le niveau de diplôme et les résultats sont édifiants. Les écarts selon le diplôme entre diplômés du supérieur et non diplômés sont de 7,5 ans pour les hommes et un peu plus de 4 ans pour les femmes.
S’il ne faut pas se voiler la face sur la nécessaire augmentation des âges départs nous ne devons pas faire l’autruche devant les inégalités d’espérance de vie. Une augmentation pure et simple de l’âge légal de départ à la retraite sans départs anticipés accentuera les caractéristiques inégalitaires de notre système de retraite. Il faut rappeler cette référence à l’évangile selon Saint Matthieu « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ». Le système de retraite deviendrait un instrument de redistribution inversée des revenus, profitant davantage aux riches qu’aux pauvres alors qu’elle serait financée en grande partie par les petits et moyens revenus.
Autre chose qui pour le moins n’est pas anecdotique : à la suite d’une argumentation ciselée, le Comité de suivi des retraites enterre la piste de l’âge pivot qui lui parait illisible car elle rajoute de la complexité dans un système déjà compliqué avec la durée d’assurance et l’âge légal. Voilà qui devrait mettre fin aux discussions sans fins de la défunte conférence de financement.
Des scénarios contrastés et raisonnables susceptibles d’éclairer la décision publique
Le Comité de suivi des retraites demande d’élargir encore la gamme de scénarios explorés concernant les hypothèses de productivité. Il note d’ailleurs « qu’en l’état, les hypothèses hautes de croissance font déjà une place importante à la vision techno-optimiste des décennies à venir, se traduisant par des perspectives très favorables de rétablissement financier ». Or chaque nouvelle décennie marque un palier à la baisse et la crise sanitaire que nous traversons ne devrait pas inverser cette tendance.
Il est en effet souhaitable que les hypothèses de productivité soient revues à la lumière de celles constatées ces dernières années. Les hypothèses de croissance potentielle devraient être ramenées à la baisse afin d’éviter toute nouvelle mauvaise surprise. Compte tenu du vieillissement et de la crise économique et sanitaire que nous traversons il serait intéressant de disposer d’une hypothèse basse de croissance annuelle de la productivité du travail de +0,5%. Le scénario central du Conseil d’orientation des retraites pourrait davantage être en conformité avec la situation économique des années à venir. Les cibles de long terme des scénarios définiraient un éventail des possibles que nous pourrions juger suffisamment large pour apprécier les perspectives des retraites en France. La question n’est pas de noircir le tableau mais nous devons pouvoir nous appuyer sur les bonnes hypothèses si nous voulons consolider notre système par répartition. Le Conseil d’Orientation des retraites a d’ailleurs lancé une consultation auprès d’un large panel d’experts, afin de garantir la richesse des débats et la variété des points de vue sur ce sujet.
Encore une fois, le Comité de Suivi des retraites à travers une argumentation fine et étayée a su envoyer quelques messages forts à destination du gouvernement et des responsables du système de retraite. Si l’épidémie nous oblige pour le moment à être focalisé sur le terrain de l’urgence sanitaire et du rétablissement économique, les questions et solutions posés par ce rapport devront être vite discutée afin de trouver une voie de passage pour le rééquilibrage du système de retraite et l’avenir du risque vieillesse.
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