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La prochaine réforme des retraites devra tenir compte des inégalités d'espérance de vie

  • Photo du rédacteur: Lorenzo Lanteri
    Lorenzo Lanteri
  • 3 mai 2021
  • 6 min de lecture

Dernière mise à jour : 20 janv. 2023





A un moment où la réforme des retraites est affichée comme la pierre angulaire du redressement des comptes publics, la possibilité d’un avancement de l’âge de départ en retraite est télescopé par la question des inégalités d’espérance de vie.


La réforme des retraites est suspendue mais il ne fait nul doute qu’elle reviendra sous une forme différente de la réforme « cathédrale » de 2020. Le Président de la République n’a pas fait une croix sur sa réforme et le ministre de l’Économie en a fait son cheval de bataille du redressement des comptes publics.


Pour rappel, le chantier, suspendu le 16 mars en raison de la crise sanitaire, comportait deux aspects : des mesures destinées à rétablir les comptes, dite paramétriques et une refonte systémique visant à créer un régime universel. Seul ce dernier volet correspond au projet du candidat Macron. Le Président s’était laissé convaincre de la nécessité d’une réforme financière.


Cette réforme financière devrait donc comporter un volet paramétrique avec des mesures d’âges. Le gouvernement ne semble pas vouloir toucher aux deux autres paramètres d’équilibre : la hausse des cotisations ou la baisse des pensions.


Avant de se lancer dans une quelconque réforme des retraites, les pouvoirs publics devraient prêter une attention particulière aux derniers travaux de l’INSEE sur les inégalités d’espérance de vie.


Des fortes inégalités sociales face à la mort

Au moment où l’âge légal de départ en retraite est pointé du doigt comme étant un des plus bas d’Europe, la tentation est grande de vouloir relever la borne actuelle de 62 ans. Seulement voilà…un relèvement de l’âge légal de départ à la retraite pourrait accentuer le caractère inégalitaire de notre système de retraite face à l’espérance de vie.

Aujourd’hui, les écarts entre cadres et ouvriers s’élèvent à un peu plus de 6 ans pour les hommes et un peu plus de 3 ans pour les femmes. Les écarts selon le diplôme, entre diplômés du supérieur et non diplômés, apparaissent un peu plus importants que les écarts selon la catégorie socioprofessionnelle : 7 ans ½ pour les hommes et un peu plus de 4 ans pour les femmes.


Les écarts selon le niveau de vie, entre les 5% les plus pauvres et les 5% les plus aisés, apparaissent encore plus importants : environ 12 ans pour les hommes et 8 ans pour les femmes. A diplôme égal, il subsiste un écart de 7 à 8 ans pour les hommes et d’environ 5 ans pour les femmes entre les 10% les plus pauvres et les 10% les plus aisés.


C’est surtout la pauvreté qui est liée à une espérance de vie faible : aux alentours du seuil de pauvreté (1000 euros par mois et par unité de consommation), 100 euros supplémentaires, soit 10% de revenus supplémentaires, sont associés à 0,9 an d’espérance de vie en plus chez les hommes et 0,7 an chez les femmes ; au fur et à mesure que l’on s’élève dans l’échelle des niveaux de vie, l’impact de 10% de revenus supplémentaires sur l’espérance de vie tend à s’amenuiser.


Des inégalités sociales qui peuvent renforcer le caractère inégalitaire du système de retraite

Le niveau de vie est fortement corrélé à l’espérance de vie en bonne santé. Le niveau de vie a une influence directe sur la plus ou moins bonne santé des personnes. La question des restes à charge et les coûts de certains soins sont des obstacles financiers essentiels à une santé de qualité. On sait que les personnes qui n’ont pas une complémentaire ont des espérances de vie plus faible que le reste de la population. Par ailleurs, le niveau de vie peut-être aussi la cause indirecte d’une santé plus ou moins bonne. Par exemple, les personnes diplômées ont une tendance à, moins fumer que les personnes non diplômées. Or, le tabagisme a un effet important sur l’espérance de vie. Inversement, le niveau de vie peut être aussi la conséquence d’une santé défaillante (une mauvaise santé peut empêcher la poursuite des études ou le maintien dans l’emploi).



A la lumière de ces données, on comprend pourquoi il est important qu’un système de retraite comprennent des éléments de solidarité (retraites anticipées, pénibilité, validation de droits chômage) car un système essentiellement contributif aurait pour conséquence de renforcer les inégalités. En effet, sans éléments de solidarité les personnes les plus aisés avec une plus forte espérance de vie vivraient plus longtemps avec les cotisations des plus pauvres à faible espérance de vie. C’est l’effet Matthieu. Il faut rappeler cette référence à l’évangile selon Saint Matthieu « Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance, mais à celui qui n’a pas on ôtera même ce qu’il a ». Le système de retraite deviendrait un instrument de redistribution inversée des revenus, profitant davantage aux riches qu’aux pauvres alors qu’elle serait financée en grande partie par les petits et moyens revenus.



Toute réforme touchant au relèvement de l’âge légal de départ en retraite doit donc être accompagnée de mesures de justice pour que les personnes qui ont des espérances de vie plus faibles puissent partir plus tôt en retraite. Il nous faut peut-être envisager de sortir du caractère statutaire des départs anticipés pour aller vers un système qui prennent encore mieux la réalité sociale des inégalités d’espérance de vie. Le compte pénibilité est un bon outil mais il n’est pas assez généreux et offre en réalité peu de possibilités de partir avant l’âge légal de départ à la retraite. Pire il est centré des facteurs de pénibilité exclusivement liée au travail alors que les inégalités d’espérance de vie découlent de facteurs environnementaux, géographiques, familiaux etc. Le paradigme de l’exposome, élaboré par Christopher Paul Wild en 2005 comme un concept holistique, se définit par : « la totalité des expositions auxquelles un individu est soumis de la conception à la mort. C’est une représentation complexe et dynamique des expositions à laquelle une personne est sujette tout au long de sa vie, intégrant l’environnement chimique, microbiologique, physique, récréatif, médicamenteux, le style de vie, l’alimentation, ainsi que les infections ». Ce concept mériterait d’être au cœur de la prochaine réforme de retraites.



un système souple et plus redistributif pourrait compenser ces inégalités

La révolution du big data accompagnée d’un système de protection sociale plus personnalisé au plus proche des parcours de vie doit nous permettre de corriger ces inégalités d’espérance de vie au plus près des personnes. Par exemple, le fait de ne pas avoir été couvert par une complémentaire santé devrait offrir des droits retraites supplémentaires. On peut imaginer que le fait d’avoir été aidant d’un proche puissent aussi donner le droit à des droits retraites supplémentaires. Ces derniers permettraient d’augmenter la pension ou de partir plutôt. Il faut laisser le libre choix aux personnes. Un système de retraite juste doit prendre en compte très finement les inégalités d’espérance de vie qui touche certaines catégories de la populations.


A l’inverse, les expositions volontaires à des facteurs de réduction de l’espérance de vie comme le tabac et alcool devraient être neutralisés dans le calcul des retraites. Il n’est pas concevable d’accorder un supplément de pension ou une possibilité de partir plutôt en retraite pour des conduites addictives qui fragilise la santé des personnes et présentent un coût pour la collectivité. Reste à déterminer, le financement d’une telle ambition : l’impôt, une sur-cotisation employeur ou une cotisation des autres salariés ?


La crise sanitaire a accéléré la révolution technologique du travail et elle permet d’imaginer des prolongements d’activité pour les métiers télé-travaillables au-delà des actuels 62 ans. Encore faut-il que les entreprises ne se débarrassent pas de leur sénior à la première occasion venue et que ces derniers ne décrochent pas des adaptations technologiques de leurs métiers. La formation professionnelle continue est ici essentielle. Dans les prochaines années, on peut penser qu’une cohorte importante d’actifs puisse travailler jusqu’à 67 ans ou encore 69 ans dans des conditions soutenables majoritairement à partir de leur domicile. Il faudrait déverrouiller le modèle de la retraite progressive qui permet à l’assuré de percevoir une partie de ses pensions de retraite tout en conservant une activité professionnelle à temps partiel. Les aménagements de fins de carrières représentent un puissant levier pour éviter la retraite couperet et prolonger l’activité de ceux qui le veulent et surtout le peuvent.



Ce surplus de cotisation résultant de la hausse de l’activité des personnes en âge avancée augmenterait les ressources de notre système de retraite. Ce surplus de ressources financerait les droits à une retraite anticipée avec un revenu adéquate des personnes risquant de connaitre une espérance de vie plus faible. Le système serait équitable dans a mesure où il corrigerait les inégalités de destin et d’espérance de vie. Il demande aussi à la collectivité d’assumer des écarts importants d’âge de départ à la retraite au sein d’une même génération. Aujourd’hui, la petite différence de deux ans entre l’âge légal de départ la retraite (62 ans) et l’âge d’ouverture des droits à une retraite anticipée (60 ans) est peut-être justifiable pour maintenir la cohésion entre assurés mais elles ne reflètent pas la réalité des écarts d’espérance de vie et de temps passé à la retraite entre les différentes catégories socio-professionnelles.

Enfin, la question des inégalités d’espérance de vie dépasse le seul fait des retraites.


Les leviers d’amélioration et de corrections des inégalités actuelles résident en partie dans le système de santé. L’approche française privilégie encore trop le curatif en reléguant la prévention et la promotion de la santé au second plan. Le versant social et la question des inégalités de santé sont encore trop timidement pris en compte dans les priorités d’action publique sur la santé. Un système de santé qui consacre davantage de moyens à la prévention et à la lutte contre les inégalités de santé réduirait considérablement les inégalités d’espérance de vie. Le coût des mécanismes compensatoires précédemment exposées ici pour la retraite serait naturellement réduit puisque les écarts d’espérance de vie entre les plus riches et les plus démunies tendraient à se réduire.


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