Et si on repensait la retraite à l’aune des inégalités d’espérance de vie ?
- Lorenzo Lanteri
- 3 mai 2021
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 11 juil.

Alors que la réforme des retraites est souvent présentée comme pierre angulaire du redressement des comptes publics, une donnée essentielle semble rester à la marge des débats : les inégalités d’espérance de vie. Derrière les grandes déclarations sur le report de l’âge légal, se cache une réalité plus complexe, plus injuste aussi.
La réforme dite “cathédrale” de 2020 a été suspendue en pleine crise sanitaire. Mais le sujet est loin d’être enterré. Emmanuel Macron n’a jamais renoncé à sa réforme, et Bruno Le Maire en a fait son cheval de bataille. Le retour du dossier sur la table ne fait aucun doute.
À l’époque, deux volets composaient le projet : un pilier “paramétrique”, centré sur les équilibres budgétaires, et une réforme “systémique” visant à créer un régime universel. Ce dernier correspondait à l’ambition initiale du candidat Macron. Mais à la faveur de la crise, l’argument financier a pris le dessus.
Le vrai tabou : l’injustice face à la mort
Avant de modifier les curseurs de l’âge de départ, il serait sage de relire les derniers travaux de l’INSEE. Car les écarts d’espérance de vie sont considérables. Un ouvrier a aujourd’hui 6 ans d’espérance de vie en moins qu’un cadre (chez les hommes), et plus de 12 ans d’écart séparent les 5 % les plus pauvres des 5 % les plus riches. Ces inégalités se creusent selon le diplôme, le niveau de vie, l’environnement ou l’accès aux soins.
Et le système de retraite, s’il ne prend pas cela en compte, risque d’accentuer les injustices. Allonger la durée de cotisation ou reculer l’âge de départ sans tenir compte de ces écarts revient à subventionner la retraite des plus favorisés avec les cotisations de ceux qui vivront moins longtemps. C’est l’illustration parfaite de l’“effet Matthieu” : « à celui qui a, il sera donné ; à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a ».
L’illusion d’un système neutre
Un système de retraite purement contributif – c’est-à-dire basé uniquement sur les cotisations versées – peut sembler neutre. En réalité, il est profondément inégalitaire si on oublie les écarts de santé et de durée de vie. Il bénéficie davantage à ceux qui vivent plus longtemps, c’est-à-dire les plus riches, les plus diplômés, les moins exposés.
C’est pourquoi il est essentiel de maintenir, voire d’élargir, les mécanismes de solidarité dans notre système : départs anticipés, prise en compte de la pénibilité, validation de périodes de chômage ou d’aidance. Mais il faut aller plus loin.
Intégrer la réalité sociale dans la réforme
Aujourd’hui, le “compte pénibilité” existe, mais il est loin d’être à la hauteur. Il ne prend en compte que les contraintes physiques du travail, laissant de côté des facteurs tout aussi déterminants : précarité, environnement, stress, exposition à des polluants, absence de couverture santé…
C’est là qu’intervient un concept encore trop peu évoqué dans le débat public : l’exposome. Développé par le chercheur Christopher Paul Wild, il désigne l’ensemble des expositions subies par un individu tout au long de sa vie : chimiques, biologiques, psychologiques, sociales… Intégrer cette approche permettrait d’avoir une vision beaucoup plus fine – et plus juste – des parcours de vie, et donc d’adapter l’âge de départ à la retraite en fonction de la réalité vécue par chacun.
Et si le big data venait à la rescousse ?
La révolution numérique offre de nouveaux leviers. Grâce aux données de santé, d’emploi, de revenus, il devient techniquement possible d’individualiser les droits. Par exemple, ne pas avoir eu de complémentaire santé pourrait ouvrir droit à un départ anticipé. Avoir été aidant d’un parent dépendant aussi.
Un tel système supposerait une profonde réforme de la solidarité. Il faudrait accepter que dans une même génération, les âges de départ soient très différenciés. Non plus deux ou trois ans d’écart, mais parfois dix. Est-ce tenable socialement ? Peut-être. Est-ce juste ? Assurément.
Travailler plus longtemps… mais autrement
Un autre chantier s’ouvre : celui de la prolongation d’activité. La crise sanitaire a accéléré le développement du télétravail. Certains métiers pourraient être exercés bien au-delà de 62 ans, voire jusqu’à 67 ou 69 ans, dans des conditions plus souples. Encore faut-il que les entreprises jouent le jeu, que les seniors soient formés en continu et que la retraite progressive soit réellement accessible.
Cette augmentation de l’activité des seniors pourrait générer des ressources nouvelles pour financer les droits à la retraite anticipée des plus fragiles. Un système redistributif et équilibré, à condition d’en accepter la logique.
prévention et équité pour corriger les inégalités d'espérance de vie
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