France vs Allemagne: le match des systèmes de santé
- Lorenzo Lanteri

- 22 juil.
- 5 min de lecture
Alors que l’équipe de France féminine de football vient de subir une nouvelle élimination douloureuse face à l’Allemagne en quart de finale de l’Euro, un autre duel franco-allemand se joue en dehors des terrains : celui des systèmes de santé.
Commandée par le Haut Conseil du financement de la protection sociale (HCFIPS), cette étude de 2024, signée par Sarah Minery et Zeynep Or pour l’IRDES, dresse une comparaison de l’organisation, du financement et des performances hospitalières et ambulatoires en Allemagne et en France. Au menu : des stratégies opposées, des points forts respectifs, quelques similitudes… et des perspectives communes de réforme. Voici les principaux enseignements que l’on peut tirer de cette étude comparative :
Des bases communes, des logiques différentes
Les systèmes de santé français et allemand reposent tous deux sur un modèle d’assurance sociale garantissant une couverture universelle.
Le système de santé allemand s’appuie sur le modèle bismarckien, né à la fin du XIXe siècle, fondé sur une logique d’assurance sociale contributive. De son côté, le système français, né en 1945, s’est initialement largement inspiré du modèle bismarckien, avant d’évoluer vers un modèle beveridgien, en étendant progressivement la couverture à l’ensemble de la population via la Protection Universelle Maladie (PUMa), et en intégrant des taxes au-delà des seules cotisations sociales dans son financement.
En Allemagne, l’assurance maladie légale (GKV) coexiste avec l’assurance maladie privée (PKV), couvrant ainsi 87 % de la population dans un système mixte public/privé.
Contrairement à l’Allemagne, l’affiliation à l’assurance maladie est automatique en France, sans concurrence entre régimes. En Allemagne, les assurés peuvent librement choisir leur caisse d’assurance maladie, qui se livrent une concurrence tarifaire.
Une gouvernance plus décentralisée en Allemagne
Le système de santé allemand repose sur une gouvernance tripartite entre l’État fédéral, les Länder (États régionaux) et les corps intermédiaires (caisses d’assurance et prestataires de soins). Les gouvernements des Länder sont responsables de la planification hospitalière et des services de santé publique. Cette décentralisation implique une forte culture de la négociation régionale… mais elle peut aussi freiner les réformes structurelles.
En France, la gouvernance est plus centralisée, partagée entre le ministère de la Santé et l’Assurance maladie. La Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) agit comme un payeur unique. Au niveau local, la régulation de l’offre de soins est assurée par les Agences Régionales de Santé (ARS), créées en 2010. Cette gouvernance centralisée pose des problèmes de pilotage, et les ARS sont souvent critiquées pour leur éloignement du terrain et leur manque de coordination avec les autres acteurs locaux.
Hôpital : la cigale allemande et la fourmis française
L’Allemagne consacre plus de ressources à la santé que la France, en partie en raison d’un vieillissement démographique plus marqué. Elle se distingue aussi par un excédent structurel de lits hospitaliers : 50 % de plus par habitant qu’en France. Cette surcapacité entraîne des hospitalisations plus fréquentes, parfois peu pertinentes, à rebours du virage ambulatoire amorcé par la France. Le taux d’hospitalisations y est très élevé : en 2022, il était inférieur de 25 % en France par rapport à l’Allemagne.
L’Allemagne a tenté d’encourager la chirurgie ambulatoire en élargissant progressivement la liste des actes réalisables en dehors de l’hôpital. Mais cette stratégie a échoué, car le mode de financement des hôpitaux favorise toujours l’hospitalisation complète, plus rémunératrice.
Un talon d’Achille commun aux deux pays reste la question des ressources humaines. Les hôpitaux allemands souffrent d’un manque chronique de personnel soignant, malgré des réformes imposant depuis 2019 des ratios minimums par lit. Le problème d’attractivité des métiers infirmiers y est plus aigu qu’en France. Côté rémunération, les écarts tendent à se réduire, sauf pour les internes allemands, qui gagnent plus du double de leurs homologues français.
Médecine de ville : efficacité allemande, « laisser-faire » français
Comme en France, la médecine ambulatoire allemande repose sur une structure libérale. La régulation s’appuie sur une contractualisation régionale et des ajustements tarifaires fondés sur les coûts réels, avec une forte responsabilisation des médecins. Les médecins de ville allemands sont soumis à des budgets indicatifs par spécialité et par praticien, alloués chaque trimestre par les associations régionales de médecins (KV). Les volumes de soins sont plafonnés, les tarifs ajustés selon les coûts réels, et les dépassements d’activité sont rémunérés de façon dégressive. Autrement dit, l’efficience y est structurée.
En France, la médecine de ville repose sur le paiement à l’acte. Les honoraires et leurs dépassements sont encadrés par les conventions médicales (secteurs I et II). Des forfaits existent pour la prévention, la qualité et la pertinence des prescriptions, mais ils peinent à corriger les déséquilibres d’un système où la logique de volume prime encore sur celle de la pertinence, sans plafonnement réel ni retour aux coûts. L’actualisation incomplète des nomenclatures entretient des effets d’aubaine sur certains actes techniques, creusant les écarts de revenus entre spécialités.
Le système tarifaire allemand, plus simple, ne comprend qu’environ 1 500 tarifs, contre plus de 13 000 actes en France — un choix assumé pour éviter une complexité contre-productive. En résumé : pendant que l’Allemagne module et ajuste, la France s’en remet encore à la bonne volonté… et à l’autorégulation des médecins.
En Allemagne, les psychothérapeutes sont reconnus comme professionnels de santé conventionnés depuis 1999. En France, malgré le dispositif Mon soutien Psy, leur rôle reste marginal dans le cadre de l’Assurance maladie. Par ailleurs, les écarts de revenus entre spécialités sont plus homogènes en Allemagne, grâce à des revalorisations régulières. En France, certaines spécialités bénéficient de véritables rentes (comme les radiothérapeutes), au détriment d’une répartition plus équitable.
Allemagne : 50 ans d'avance sur les assistants médicaux
En France, les médecins généralistes peuvent encore s’installer librement, tandis qu’en Allemagne, l’installation est soumise à une régulation démographique. Grâce à une planification des besoins (Bedarfsplanung), les autorités bloquent les installations dans les zones surdotées, pour mieux répartir l’offre. Ce système ne résout pas entièrement les déserts médicaux, mais il contribue à limiter les déséquilibres géographiques. Dans les deux pays, les incitations financières donnent toutefois des résultats limités.
La France encourage depuis quelques années l’exercice pluriprofessionnel via les maisons de santé (MSP) et soutient financièrement le recrutement d’assistants médicaux. En 2023, seulement 5 257 contrats étaient signés. Leurs missions restent majoritairement administratives et logistiques, avec un impact encore modeste sur le temps médical.
L’Allemagne, elle, s’appuie depuis les années 1950 sur le binôme médecin–assistant médical. On y dénombre aujourd’hui 340 000 assistants, mieux formés et plus autonomes. Ils réalisent également des actes cliniques simples, ce qui optimise le fonctionnement des cabinets. Résultat : les consultations y sont plus nombreuses (9,8 par habitant contre 5,9 en France), avec une productivité accrue (durée moyenne : 8 minutes en Allemagne, contre 16 en France).
Match nul : deux modèles, deux impasses…
Le système hospitalier allemand est coûteux et peu efficient, avec une qualité de soins perfectible. Son retard dans le virage ambulatoire engendre des hospitalisations excessives, parfois inappropriées. De son côté, la France tente de contenir les coûts en réorientant son offre vers l’ambulatoire, mais se heurte à une mauvaise coordination ville-hôpital et à une démographie médicale en déclin.
Des réformes similaires sont engagées dans les deux pays : transformation de la tarification à l’activité (T2A) pour intégrer des critères de qualité, et développement de l’exercice pluriprofessionnel. L’Allemagne dispose d’un avantage historique avec ses assistants médicaux, tandis que la France ne fait que commencer dans ce domaine.
Enfin, malgré une régulation démographique plus poussée, l’Allemagne n’a pas encore résolu les problèmes d’équité territoriale. Par ailleurs, les deux pays doivent aussi faire face à la financiarisation croissante de certains secteurs, comme la radiologie et la biologie médicale en France, ou les centres de soins ambulatoires pluridisciplinaires (Medizinisches Versorgungszentrum – MVZ) en Allemagne.
Pour aller plus loin:
Comparaison des dépenses de santé en France et en Allemagne Sarah Minery, Irdes Zeynep Or, Irdes







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