Capitalisation vs Répartition : un faux débat
- Lorenzo Lanteri
- 2 févr. 2021
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 févr. 2021

Le débat sur la capitalisation ressurgit régulièrement en France et il connait un regain devant les perspectives financières du système de retraite. Les arguments avancés par les défenseurs de « la capi » sont le plus souvent l’absence d’effet des chocs démographiques qui impactent les systèmes par répartition ou encore la performance en terme de taux de remplacement. En réalité, lorsqu'on regarde les choses de plus prés, rien ne laisse penser que la capitalisation soit la mieux armée pour surmonter ces chocs démographiques et faire face à une crise sanitaire et économique.
Fin 2020, notre système de retraite a fait l’objet de deux « assauts » rapprochés tendant à remettre en cause aussi bien le choix résolu de la répartition effectué après-guerre que la façon dont il est géré. Dans un article publié le 12 octobre dernier, le think tank libéral et européen IREF livre une attaque en règle contre notre système de retraite complémentaire (Lire ici). L'ajournement de la réforme des retraite et le contexte de crise économique sur fonds de dégradation des déficits de la sécurité sociale constituent une rampe de lancement idéale pour les pourfendeurs de la retraite par capitalisation. Ensuite dans un documentaire paru le dimanche 17 janvier, le magazine Capital a mené l’enquête sur la gestion des régimes de retraite complémentaire au cours duquel il met en lumière les faiblesses persistantes des 37 caisses de retraite a mené de façon transparente la gestion des cotisations des assurés.
Gestion et pilotage de la retraite complémentaire
Les reformes à répétition intervenues depuis 1993 étaient toutes nécessaires avec un partage a peu près égal des sacrifices entre les actifs, les retraites et les entreprises, elles ont permis de préserver tant bien que mal le niveau des pensions. Selon la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (drees), le taux de remplacement par rapport au dernier salaire d’activité était encore en 2016 en France de 74,7 % pour les salariés du privé contre 53 % en Suède et au Royaume-Uni et 47 % en Allemagne. Même si, comme c’est probable, une légère dégradation s’est produite depuis, la situation française reste incomparablement meilleure que celle de ses voisins.
Cette situation n’a été rendue possible que parce que les réformes décidées et appliquées parles partenaires sociaux dans les années 1990 et suivantes ont permis l’accumulation d’importantes réserves dont le montant s’élève à 65 milliards d’euros en 2020. Cette stratégie de pilotage a permis d’assurer le paiement des retraites sans jamais recourir à la dette. C’est cette bonne gestion qui a permis de faire face à la bosse géographique à partir de 2006b
et c’est encore ce pilotage de long-terme qui permet à la fédération de faire face à la crise économique et sanitaire actuelle.
Enfin, l’Agirc-Arrco participe pleinement à la vie économique de notre pays puisqu’une partie de ses placements finance les petites et moyennes entreprises ainsi que les entreprises de taille intermédiaires fortement créatrice d’emploi.
Enfin, le régime Agirc-Arrco a fait preuve d’une extrême réactivité en actionnant une série d’aides extraordinaires à destination de ces ressortissants pendant la crise. C’est par cette vision originale et élargie du risque vieillesse que l’action sociale du régime Agirc-Arrco a pu mettre en œuvre des aides à destination des retraités (aides aux courses) et services d’écoute psychologique aux résidents en Ehpad.
Le choix de la répartition un financement solide qui surmonte les crises
Un récent rapport du Conseil d'Orientation des retraites consacré à un panorama des systèmes étrangers et français est riche d’enseignements sur le financement par la capitalisation des systèmes de retraite.
Dans les années 90, deux idées se sont répandues sous l’influence des travaux des organisations internationales. Il était entendu que les premiers étages des régimes de retraite devaient reposer sur la répartition et les deuxièmes étages sur la capitalisation. De plus, il était considéré comme opportun de réduire la place des premiers au profit des deuxièmes. C’est pourquoi nombre de pays ont alors pris des mesures pour développer la capitalisation, par exemple en réduisant les prestations fournies par les régimes en répartition. Par ailleurs, les pensions issues de régimes en capitalisation étaient censées progresser plus vite que les autres, qui évoluent comme la masse salariale.
Il faut rappeler que la France, pour des raisons historiques, a fait le choix d’une répartition quasi- pure, qui prélève un peu moins de 14% du revenu national. Dans ce domaine, il paraît peu réaliste de chercher à défaire ce qui a été fait, et on peut donc considérer que ce prélèvement constitue un plancher en dessous duquel il est difficile de descendre.
Les pourfendeurs de la retraite par capitalisation avancent souvent l’argument que cette dernière est moins sensible aux chocs démographiques. Dans un contexte de vieillissement de la population il est donc opportun de basculer dans un modèle moins dépendant des cotisations de la population active. Cet argument est inexact car capitalisation et répartition sont affectées de manière assez parallèles par l’augmentation de l’espérance de vie. Depuis, une vingtaine d’années les systèmes de retraite par capitalisation et par répartition ont chacun entrepris des réformes visant à atténuer ce choc démographique en relevant l’âge de de départ à la retraite ou en augmentant les prélèvements (Les Pays-Bas ont un taux de cotisation de 26%).
Il est d’ailleurs intéressant de relever que les pays ayant développé des dispositifs par capitalisation (Canada, États-Unis, Royaume- Uni, Suède) les font évoluer de régimes à prestations définies vers des régimes à cotisations définies. C’est également le cas aux Pays- Bas mais de manière plus récente, puisqu’en juin 2020, le gouvernement néerlandais et les partenaires sociaux ont passé un accord visant à remplacer, à l’horizon 2026, les régimes à prestations définies par des régimes à cotisations définies.
Les pro « capi » ont alors mis en avant un autre élément, à savoir le fait que, à démographie donnée, elle présenterait un meilleur rendement à long terme et constituerait donc un système globalement plus efficace pour maintenir des taux de remplacement élevés. Le taux de remplacement est le rapport entre le montant de la retraite à percevoir et la dernière rémunération perçue en activité. Il s’exprime en pourcentage.
Or, si l’on se reporte aux données de l’OCDE (2020), les régimes de retraites par répartition continuent d’offrir des taux de remplacement sensiblement plus élevés que les régimes par capitalisation. Par exemple, les pays qui ont un régime de retraite par répartition prépondérant ont des taux de remplacement but de 60,1% pour la France, de 79,5% en Italie et 72,3% pour l’Espagne. A l’inverse, les pays où la retraite par capitalisation est prépondérante ont des taux de remplacement bruts plus faibles avec respectivement de 27% pour l’Irlande et 39,4% pour les Etats-Unis. Il est vrai que des régimes par capitalisation comme les Pays-Bas où le Danemark ont des taux de remplacement bruts élevés avec respectivement 71,2% et 74,4% mais on oublie souvent de préciser que ces pays ont un haut-niveau de pension forfaitaire (la pension est quasiment la même pour tous) assuré par le système public.
Il est vrai que les taux de remplacement baisse sensiblement pour les années générations nées dans les années 1950 et au début des années 1960 mais cette diminution découle des règle de revalorisation des salaires portés aux comptes pour les salariés du privé et de la hausse de la part des primes dans le traitement de la fonction publique. Deux causes distinctes et indépendantes de la répartition produisent les mêmes effets. On est davantage confrontée à un problème de pilotage du système qu'une modalité de financement du risque vieillesse.
Par ailleurs, il est intéressant de relever que les pays qui ont introduit un étage généralisé de capitalisation pour corriger la répartition comme c’est le cas pour l’Allemagne en 2001 et la Suède en 1999 ont des taux de remplacement plus faibles que la France (38,7% pour l’Allemagne et 54,1% pour la Suède).
Enfin, on omet souvent de cette préciser que le développement de la capitalisation présente un coût à court et moyen terme (provisions/ajustements fiscaux). Quant à savoir si ce coût transitoire est compensable par les gains à long terme, du point de vue des générations présentes. Il se trouve que la réponse à cette question est en général négative.
Le dernier rapport annuel du Conseil d'Orientation des retraites fait apparaitre un besoin de financement du système de retraite qui ne se résorberait qu’au milieu des années 2030 ou 2040 selon les perspectives de croissance de la productivité.
Dans le cas de la France, ce besoin de financement consiste largement en une augmentation de la population en âge de retraite et à une baisse de la fécondité. Une conséquence de ceci est que la déformation de la structure par âge qui en résultera sera largement irréversible et non temporaire (sauf à supposer une reprise de la fécondité à des niveaux peu réalistes ou une immigration également très importante et irréaliste). Dans ce contexte, il est particulièrement
clair que les régimes par répartition et capitalisation feraient face au même problème démographique, et devraient tous consentir à des hausses durables de prélèvements ou à un recul de l’âge de départ en retraite.
Enfin, dans un contexte économique mondial marqué par une très grande incertitude, les régimes par répartition sont plus solides pour affronter les fluctuations du marché.
Un régime de retraite qui sait faire preuve de souplesse quand survient la crise
L’Agirc-Arrco est intervenu tant au titre de l’action sociale que de la préservation des droits futurs. L’action sociale s’est déployée tant au point de vue des retraités que des actifs. Un service d’écoute psychologique destiné aux proches des résidents des établissements médico-sociaux (dont Ehpad) gérés par l’Agirc-Arrco a été mis en place. Parallèlement, l’Agirc-Arrco a créé, au bénéfices des actifs, une aide exceptionnelle pour les salariés qui pouvaient connaitre des difficultés d’ordre financiers du fait de la crise sanitaire. Cette aide pouvait aller atteindre 1500 euros en fonction de la situation du demandeur.
Pour leur éviter d’avoir à sortir et limiter autant que possible les risques de contamination, l’action sociale du régime de retraite complémentaire Agirc-Arrco expérimente dès le 25 mars un dispositif d’aide aux courses destiné aux retraités isolés de 70 ans ou plus.
Enfin, les règles de calcul du régime –adoptée avant l’épidémie de Covid 19 – prévoyaient des points de retraite complémentaires pour les périodes d’activité partielle. Cela a été rendue possible sans modification législative en vertu de l’accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017 qui prévoyait l'attribution de points « gratuits » (sans paiement de cotisations) pour les périodes de chômage partiel. Les assurés ont obtenu les mêmes droits que s’ils avaient travaillé à temps plein. Pour rappel aucun droits n’était généré au titre des régimes de base avant qu’un décret ne paraisse en avril.
Un dispositif d'action sociale conforté malgré les critiques de la cour des Comptes
Les Institutions de Retraites Complémentaire (IRC) ont pour mission de gérer la retraite complémentaire obligatoire des salariés du secteur privé. Les IRC sont rassemblées au sein de la fédération Agirc-Arrco. Il s’agit d’organismes privés à but non lucratif chargés d’une mission de service public. Les IRC, peuvent, en complément de la gestion des retraites complémentaires, mettre en œuvre au profit de leurs membres une action sociale.
Les 4 orientations prioritaires de l’AGIRC ARRCO sont :
1/ agir pour bien vieillir ;
2/ soutenir et accompagner les proches aidants ;
3/accompagner l’avancée en âge et la perte d’autonomie ;
4/ soutenir le retour à l’emploi des actifs les plus fragiles.
La Cour des Comptes avait critiqué ces orientations notamment au titre du fait qu’elle était endehors des missions du champ strict de la retraite, en englobant des questions telles que l’emploi des seniors ou la dépendance. La crise sanitaire a mis en lumière la porosité de ces champs avec la hausse du chômage et la question des Ehpad, la CFTC se félicite que l’action sociale du régime Agirc Arrco est une vision large du risque vieillesse, c’est cette vision élargie qui lui permet d’intervenir avec souplesse et imagination rapidement auprès des publics les plus fragiles (aidants, personnes vulnérables, personnes en chômage partiels etc).
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