Assurance-maladie : le risque d'un retour à un déficit structurel
- Lorenzo Lanteri
- 17 févr.
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 févr.

Le déficit de l’Assurance-maladie continue de se creuser en l’absence de crise qu’elle soit économique ou sanitaire. Cette situation inédite met en lumière les fragilités structurelles du système. la question de l'avenir financier de la branche se pose avec acuité, exigeant un partage des efforts entre ménages, acteur du soin et entreprises.
L’assurance maladie joue un rôle central dans le système de protection sociale en étant un puissant stabilisateur économique en cas de crise. Toutefois, la branche maladie connait un creusement continu du déficit. son financement connaît des tensions croissantes en raison de facteurs démographiques, économiques et des évolutions de la consommation de soins.
La situation inédite dans laquelle se trouvent les comptes de la branche maladie ne peut que conduire pouvoirs publics, professionnels de santé et partenaires sociaux à refonder les instruments de régulation de la dépense de santé.
La crise sanitaire a exacerbé certaines faiblesses déjà identifiées de longue date en matière de régulation macro-économique de notre système de santé (financement des hôpitaux, articulation AMO/AMC, compensation de certaines mesures). Dans ce contexte, la question de l’évolution des outils de gestion de la dépense de santé ne s’est sans doute jamais posée avant avec autant d’acuité.
Une situation déficitaire fluctuante mais quasi-permanente.
Les déficits des régimes obligatoires de base de la Sécurité sociale, y compris le Fonds de Solidarité Vieillesse (FSV), sont devenus une constante depuis plusieurs années. Deux grands pics de déficit se distinguent particulièrement : en 2009-2010, suite à la crise économique des subprimes, et en 2020, en raison de la crise sanitaire liée à la pandémie de Covid-19. En dehors de ces moments de crises, la Sécurité sociale connait un léger déficit structurel, léger au regard de son niveau de dépense et surtout en comparaison avec la situation financière de l’État qui est désormais en dehors de contrôle.
On entrevoyait alors un retour à l'équilibre de la Sécurité Sociale en 2018-1019, l'Etat envisageant même de capter les recettes de la sphère sociale en cas de solde positif des régimes obligatoires de Sécurité Sociale. Cependant la crise sanitaire a fait voler en éclat cette perceptive de retour à l'équilibre. Depuis, la Sécurité Sociale est en déficit et ce dernier est principalement porté par la branche maladie.L'assurance maladie connait un niveau de déficit , atteignant des niveaux similaires à ceux observés en 2012-2013.
Selon les prévisions de la Commission des comptes de la Sécurité sociale, En 2024, le déficit de la branche se creuserait à 14,7 M€. Les charges progresseraient de 4,0 %, tandis que les produits n’évolueraient que de 2,6 %. En 2025, le déficit de la branche se creuserait à 18,7 Md€ sans nouvelles mesures du PLFSS 2025. Les charges progresseraient de 3,9 %, contre 2,5 % pour les produits. Cette situation conduit nombres d’observateurs à considérer qu’il existe un déficit structurel à l’Assurance maladie. un déficit structurel en dehors d'une période de crise ce qui doit fortement nous interroger.
Les origines du déficit actuel : une multiplicité de facteurs
Le déficit de la branche Maladie ne peut pas être expliqué par un seul facteur. Il est, en réalité, le fruit de cinq grandes causes.
L’éléphant est au milieu de la pièce et, pourtant, l’explication commence à peine à être assumée aux plus hauts niveaux de l’Etat : le coût pérenne du Ségur de la Santé, dont la mise en œuvre n’a pas été accompagnée par des ressources nouvelles. Ce plan nécessaire et impératif de revalorisation des soignants et des agents hospitaliers décidé au sortir de la première vague épidémique représente une enveloppe de 12 milliards d’euros par an qui reste en grande partie non compensée.
Les pertes recettes non-rattrapées en 2020. Ce potentiel de croissance non réalisé, demeure une problématique centrale, car le redressement de l’appareil productif n’est pas encore complet et pourrait désormais se volatiliser sous les effets du retournement de la conjoncture économique et géopolitique.
Des prévisions de recettes trop optimistes, notamment en matière de TVA, dont les élasticités par rapport au PIB ont été sous-estimées. Cette mauvaise anticipation a faussé les hypothèses et ainsi retardé les efforts de redressements.
L'absence de maîtrise des dépenses de soins de ville, qui, en 2024, dépassent l’objectif fixé par l’ONDAM (Objectif National de Dépenses d’Assurance Maladie) de 1,2 milliard d’euros. Le retour à un contrôle strict semble difficile, notamment dans un contexte où les déterminants de cette évolution sont flous. En outre, les acteurs du système de santé ont encore de fortes attentes pécuniaires vis-à-vis de l'Assurance maladie qui pourraient freiner les tentatives de régulation.
Des recettes attentistes, avec des remises conventionnelles et les effets en décalage des mesures de régulation sur le médicament comme la clause de sauvegarde, qui risquent d’amplifier les dépassements de l’objectif, menaçant la stabilité des prévisions.
La situation financière est d’autant plus préoccupante que plusieurs facteurs sont venus minorer l’affichage comptable du déficit de l’Assurance maladie. Ainsi, les récents transferts de recettes entre les branches ont été en faveur de l'Assurance maladie avec un transfert de charge des indemnités journalières au titre du congés maternité vers la branche famille. En outre, les déficits dans le financement de certaines institutions (comme la CNRACL pour les collectivités territoriales et les hôpitaux publics) ont contribué à masquer une partie des difficultés financières.
De plus, les déficits des établissements de santé publics représentent un point de fuite majeur pour les finances de l’Assurance maladie, notamment avec des estimations de déficit dépassant les 2 milliards d’euros.
Risques de dérapage pour 2025
En 2025, l'Assurance Maladie devrait continuer de creuser son déficit. Alors que l’horizon demeure incertain pour 2025, les risques de dérapage du déficit sont multiples. Le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) estime que la prévision de croissance du gouvernement est trop optimiste, et ce constat pourrait avoir des répercussions sur les recettes attendues. Par ailleurs, les prévisions de l’ONDAM pour 2025 sont en forte augmentation (+3,4 %), traduisant une hausse importante des dépenses, surtout dans les établissements publics de santé. Cette situation exacerbe la tension entre les ressources disponibles et les besoins de financement.
Les pouvoirs publics continuent d'agir comme s’ils avaient tout le temps du monde mais l’horloge des finances sociales tourne de plus en plus vite, il devient urgent d'agir. La perspective d’un nouveau creusement du déficit pourrait poser un problème de liquidité majeur pour l’ACOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) dans un contexte où les taux d’intérêt sont redevenus positifs. L’accumulation des déficits mène inexorablement à une hausse de l’endettement. Le poids de la dette sociale, portée par l’ACOSS, représente un risque non seulement pour la stabilité financière de la branche Maladie, mais également pour l’ensemble du système de santé. En 2028, le montant des déficits non repris par la CADES (Caisse d’Amortissement de la Dette Sociale) pourrait dépasser les 110 milliards d’euros, générant une pression supplémentaire sur les capacités d’emprunt à court-terme. Cette spirale de la dette nous amène à nous poser la question suivante: est-il possible d’attendre l’après élection de 2027 pour rouvrir la CADES et allonger la durée d’amortissement de la dette ? Doit-on attendre 2027 pour affecter de nouvelles ressources à la Sécurité sociale ?
Les fausses solutions miracles
Les solutions miracles, comme la tentation de démanteler la CADES ou d’affecter les ressources de la CADES (CGS et CRDS) à la branche maladie ne sont ni viables ni durables. Elles risquent d’affaiblir l’autonomie financière de la Sécurité sociale et d’aggraver les tensions budgétaires entre l’État et la Sécurité sociale.
Autres tentation, celle de multiplier les ajustements paramétriques. Les augmentations des tickets modérateurs permettent de baisser mécaniquement les dépenses d'Assurance maladie mais ils un fort "effet anti-redistributif" en reportant les dépenses sur les assurances complémentaires ou les ménages.
L’augmentation des participations forfaitaires et des franchises rapporte peu tout en aggravant les restes-à-charge des plus malades. Si elles ont été instaurées dans les années 2000 pour responsabiliser les assurés, les effets escomptés sur la consommation de soins ne se sont jamais véritablement matérialisés. Pour l'instant le maintien des plafonds protège encore les assurés les plus précaires mais pour combien de temps encore?
Par ailleurs, ces meures paramétriques fragilisent le consentement à la cotisation et l’acceptabilité du système d'assurance maladie solidaire.
Vers un partage des efforts
Le vrai défi intellectuel à réaliser réside dans un partage des efforts entre ménages, acteurs du soins et entreprises tant du côté des recettes que des dépenses. Cela passe par une meilleure mobilisation des ressources fiscales, comme les taxes sur les produits générant des maladies chroniques. Pour améliorer la situation, la branche Maladie doit jouer pleinement son rôle d’assureur, en renforçant les liens entre les recettes et les dépenses. Cela passe par :
L’élargissement du champ des recettes : les droits sur les alcools ou la taxe sur les conventions d’assurance pourraient être mieux affectés à la branche maladie pour en renforcer les financements. Il existe un gisement de recettes ou de moindre dépense dans le verdissement de la protection sociale. Encore faut-il pouvoir mesurer et évaluer ces politiques en dotant les organismes de Sécurité Sociale d'outils de comptabilité durable.
La gestion des recours contre tiers (RCT) : La branche maladie pourrait tirer davantage de recettes de cette source, en élargissant son champ d’application.
L'assurance maladie pourrait récupérer des recettes du coté des entreprises. Une révision des dispositifs d’allégements de cotisations sociales semble opportune. Si les allégements généraux ont indéniablement contribué à la politique de soutien à l’emploi, leurs caractéristiques actuelles, notamment leur forte dégressivité à partir du SMIC posent question. Il existe des effets nuisibles de long terme à masser l’abaissement du coût du travail sur le travail le moins qualifié. C’est tout l’enjeu auquel a tenté de répondre les recommandations de la Mission Bozio-Wasmer[1]. L’instauration de ces allégements étaient très liés au « ressenti » du chômage de masse des années 90. Or, sommes-nous aujourd’hui dans la même situation, eu égard notamment au travail peu qualifié ? Existe-il un risque pour l’économie française à concentrer ces aides vers le travail à faible valeur ajoutée ? Ces questions méritent d’être posées.
Enfin, les ménages pourraient aussi contribuer au redressement à travers une augmentation de la CSG ou une modulation de cette dernière vers les plus hauts revenus. L'élargissement de l'assiette de CSG constitue également une piste de réflexion. Quelque-soit la solution retenue, c'est une question qui doit être préalablement trancher par les citoyens: si ils consentent à payer plus pour être mieux soignés?
Du côté des dépenses, il est indispensable de sortir du cadre actuel encore trop annualisé et d’envisager un plan ONDAM pluriannuel. Il faut aussi être capable de maîtriser durablement les coûts de l’Assurance Maladie, la tache est ardue car la négociation risque de se durcir quand on sait que certains secteurs se financiarisent à grande vitesse comme c'est le cas de la biologie, de la radiologie et d'une partie encore marginale (heureusement!) des soins primaires.
Mais au-delà des aspects financiers, c’est bien la question de la réorganisation du système de santé qui se pose : repenser l’offre de soins, rationaliser les pratiques médicales, et réformer les modes de rémunération des professionnels de santé deviennent incontournables pour sortir de la crise.
Il n’existe pas de solution miracle. La gestion des finances de la branche maladie nécessite de la prudence et de l’intelligence collective. Elles doivent s’appuyer davantage sur la démocratie sociale pour pouvoir justifier légitiment des choix qui seront pris et leurs conséquences sur les entreprises, les ménages et les acteurs du système de soins.
[1] Rapport sur les politiques d'exonérations de cotisations sociales : une inflexion nécessaire (2024).
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