Aider les aidants (3): Les réponses que peuvent apporter les pouvoirs publics
- Lorenzo Lanteri
- 6 oct. 2020
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 févr. 2021

Les aidants sont éprouvés, épuisés, physiquement et psychologiquement. Si des dispositifs existent (lieu d’information, accueil temporaire, visite de professionnels…), l’aide se révèle insuffisante. Les pouvoir publics ont un rôle de premier plan à jouer dans le soutien aux aidants pour que la conciliation des temps de vie devienne une réalité pour tous les salariés, pour que les responsabilités familiales et sociales qui pèsent sur les proches aidants soient enfin reconnues à leur juste valeur.
On estime à environ 1,5 millions personnes de plus de 60 ans vivant à domicile étaient en perte d’autonomie. Il convient d’y ajouter 584 000 personnes vivant en établissement, soit un peu plus de 2 millions. Le nombre de personnes de plus de 60 ans bénéficiant de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) s’établi à 1,265 million. Le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie (au sens de bénéficiaires de l’APA) passerait ainsi de 1,3 millions de personnes en 2015 à 1,6 millions en 2030 et 2,3 millions de personnes en 2050. La hausse serait de l’ordre de plus 20 000 personnes par an jusqu’en 2030, mais accélérerait franchement à près de 40 000 personnes par an entre 2030 et 2040, du fait de l’arrivée en âge avancé des premières générations du baby-boom.
Selon le compte de la dépendance de la DREES, les dépenses liées à la perte d’autonomie des personnes âgées représentent 1,4 % du PIB soit 30 Md€ en 2018, dont 23,7 Md€ de dépenses publiques (79 %) et 6,3 Md€ de dépenses à la charge des ménages. Elles ne prennent pas en compte le travail informel des 3,9 millions de proches aidants auprès des personnes âgées, dont la valorisation atteindrait 7 à 18 Md€.
Les principales dépenses d’accompagnement de la perte d’autonomie des personnes âgées sont : les dépenses de soins pour environ 12,2 Md€ financées à 99 % par la dépense publique via l’assurance maladie, leur prise en charge est ainsi universelle ; les dépenses dites de « dépendance » (aides humaines, techniques et d’aménagement du logement pour compenser la perte d’autonomie) pour 10,7 Md€, et les dépenses d’hébergement en établissement, soit 7,1 Md€ (auxquelles peuvent être ajoutées 4,4 Md€ de dépenses dites de gîte et de couvert).
La conciliation vie professionnelle/vie personnelle doit aller bien au-delà car la conciliation des temps de vie ne pourra se faire sans les entreprises, sans un dialogue social constructif au service des travailleurs et sans une impulsion des pouvoirs publics. En effet, pour que la conciliation des temps de vie devienne une réalité pour tous les salariés, pour que les responsabilités familiales et sociales qui pèsent sur les aidants familiaux et proches aidants soient enfin reconnues à leur juste valeur, cela exige une véritable politique publique de prise en charge des aidants.
La question est de se demander où placer le curseur entre le public et le privé. En effet, promouvoir la prise en compte des aidants au sein des négociations d’entreprise, n’est-ce pas une façon de renvoyer la responsabilité aux acteurs privés, face aux carences des politiques publiques et à la pénurie des crédits ?
La question du curseur devra donc être tranchée dans les prochaines années après un véritable débat large et démocratique sur la question de la construction d’un cinquième risque lié à la dépendance.
La construction d'un haut niveau de couverture universelle
La création d'une cinquième branche est l'occasion d'aller vers un financement fondé sur un socle élevé de solidarité nationale : assis sur tous les revenus (quelle que soit leur origine : travail, capital), sans recours sur succession, sans obligation alimentaire et surtout sans encouragement aux couvertures privées.
Les prestations sont aujourd’hui complexes, peu lisibles. Si le reste à charge est maîtrisé à domicile, on l’a vu il reste important en établissement. L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile doit être rénovée pour assurer l’effectivité des droits, faciliter l’accès à des solutions de répit pour les proches aidants et à des aides techniques pour mettre l’innovation technologique au service de la personne âgée. L’enjeu actuel est donc de veiller à garantir une aide substantielle dans le but de diminuer le coût de la perte d’autonomie pour les familles et de ne pas faire la part belle au marché de l’assurance privée. Une privatisation serait défavorable aux personnes concernées dans la mesure où les assurances dépendances privées se révèlent à l’heure actuelle, peu transparentes, imprévisibles à long terme et particulièrement chères. Leurs promoteurs ont des difficultés à définir une tarification optimale en raison de la faible lisibilité de l’évolution à long terme des probabilités d’occurrence du risque de perte d’autonomie.
Depuis la loi d’adaptation de la société au vieillissement (2015), le montant de l’APA peut être majoré lorsqu’une personne assure le rôle de proche aidant auprès du bénéficiaire de l’APA. Le plan d’aide peut ainsi être majoré jusqu’à 500 € par an afin de lui permettre de prendre un temps de répit. Le déplafonnement de l’APA peut être décidé par l’équipe médico-sociale d’évaluation (ou le comité départemental des financeurs) en fonction des besoins de la personne aidée, bénéficiaire de l’APA. En pratique l’aide humaine représente 92% des plans en moyenne contre 2 % pour le financement de l’accueil temporaire (y compris accueil familial) et 6 % pour les aides diverses (essentiellement les aides techniques). La prépondérance de l’aide humaine rend souvent complexe l’accès au financement des autres prestations qui sont pourtant de nature à améliorer l’accompagnement de la personne, diminuer la pénibilité de certaines tâches pour les professionnels ou relayer les aidants.
Comme le préconisait le rapport Libault, il faut créer une nouvelle prestation « perte d’autonomie » qui distingue trois «volets»: aides humaines, aides techniques, répit et accueil temporaire. Chaque volet ferait l’objet d’un plafond spécifique. L’idée c’est qu’à l’inverse d’aujourd’hui, les personnes puissent mobiliser des aides pour leurs proches aidants Le rapport Libault estimait que cette mesure coûterait 0,6 Md à l’horizon 2024.
Mettre en place une couverture complémentaire dépendance
Dans le même temps, et afin de ne pas faire peser l’intégralité du risque de la dépendance uniquement sur la solidarité (l’impôt), il faut mettre en place une généralisation d’un étage complémentaire d’assurance dépendance. Les branches professionnelles ont depuis mai 2019 la question des aidants dans leur champ de négociation.
Le risque la dépendance peut être mutualisée, avec un premier niveau pris en charge par la collectivité nationale, afin de couvrir le gros des dépenses, suivi d’un étage complémentaire d’assurance dépendance, où les institutions de prévoyance/mutuelles ont un vrai rôle à jouer.
Ce système pourrait être en point afin de l’intégrer dans le Compte personnel d’activité (CPA) et pour des soucis de lisibilité. Cette cotisation pourrait se déclencher à partir d’un certain âge (40/55 ans) pour des soucis d’acceptabilité.
Les jeunes actifs ne souhaiteraient pas s’acquitter de cette cotisation pour un risque encore jugé lointain. le salarié aidant bénéficierait alors d’une indemnité supplémentaire à celle prévue par les pouvoirs publics lorsqu’il demande un congés proche aidant. Ensuite, cette couverture garantirait l’accès à un nombre important de services d’accompagnement (plateforme psychologique, aide administrative, aide à domicile, garde de nuit…). Enfin, cette couverture dépendance déboucherait sur une rente en capital pour que le salarié aidant puisse un jour faire face au risque de dépendance lorsqu’il se trouvera lui-même en situation de perte d’autonomie (Solvabilisé une place dans une maison de retraite).
La mise en place d’un système collectif et mutualisé pour les séniors et les actifs proches de la retraite pourrait permettre de limiter les difficultés actuelles liées à la sélection des risques. Cette assurance obligatoire et mutualisée relèverait de la gestion des assureurs privés en concurrence sur la base d’un contrat qui serait défini par la puissance publique.
Une politique publique territoriale en faveur des aidants
Au-delà de ces aides qui sont des attentes concrètes des citoyens concernés, Il faut déployer des services aux proches aidants sur l’ensemble du territoire. Étant entendu que les différences entre les territoires doivent être prises en compte. En effet, besoins et ressources ne sont pas les mêmes entre un territoire urbain de métropole et un territoire rural enclavé.
Sur ce point, on ne part pas d’une page blanche. Il existe déjà des dispositifs (Maia, Clic, Ehpad, associations, etc.) pour informer les aidants et faciliter leurs tâches. Mais ces dispositifs pluriels brouillent de ce fait la lisibilité de l’offre et restent marginaux. Les questions qui se posent sont celles du recensement préalable (aujourd’hui inexistant) des besoins sur un territoire donné et de l’articulation des acteurs et de leurs financements à l’échelle de ce territoire. Aujourd’hui, l’aide aux aidants est essentiellement financée par les conseils généraux (départements) sous la forme d’appel à projets. Cependant, ceux-ci ont peu de moyens et offrent peu de certitudes et de visibilité quant au financement des projets. Ce qui est donné aujourd’hui ne pourra peut-être plus l’être à l’horizon de quelques mois. En outre, la méthode par appel à projets est très chronophage pour les porteurs… À tel point que cela occupe une part disproportionnée de leur temps au regard de leur mission première. Enfin, le fonctionnement par appel à projets conduit généralement à accorder les financements aux acteurs déjà reconnus ou aguerris aux rouages administratifs. Cela freine l’émergence de nouveaux services sur le territoire.
La généralisation des Maisons Départementales de l’Autonomie permettraient de constituer une porte d’entrée unique, simple et facilement identifiée par les aidants. Sur la base d’un principe de subsidiarité, elles auraient pour missions l’accueil, l’information, l’appui aux aidants, les orientations et mises en relation des acteurs, les évaluations multidisciplinaires et l’appui à la coordination de la prise en charge par les acteurs sociaux, sanitaires et médico-sociaux ainsi que la gestion des situations complexes dans les territoires.
Les Maisons Départementales de l’Autonomie pourraient abriter les services d’évaluation des conseils départementaux ou d’autres services destinées aux personnes âgées. Ces services pourraient s’inspirer du modèle qui existe déjà dans les MDPH : les CDAPH. Les proches aidants accèderaient ainsi, dans un cadre homogène, à un site internet d’information territorialisé, un numéro de téléphone unique et un dispositif d’inscription en ligne pour des actions d’accompagnement.
L'autonomie doit être au cœur de toutes les politiques publiques
Le rapport Vachey a le mérite de bien dessiner le périmètre et la gouvernance de la nouvelle branche. Il nous cependant aller bien au-delà du périmètre actuel. L’enjeu de l’autonomie est d'articuler des politiques publiques qui aujourd’hui sont disjointes (transports, logements) avec des pertes de performances dans la capacité à mobiliser les financements publics et donc de répondre aux besoins de la population.
Idéalement, il faut aller au-delà du périmètre classique de la protection sociale composé de 66 milliards d’euros (30 milliards d’euros pour la dépendance et 36 milliards d'euros pour le handicap). Dans l’esprit, il faut aussi consolider les efforts de politiques publiques qui intéressent la question de l'autonomie et qui aujourd’hui ne sont pas convoqués comme le logement.
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