Que retenir du discours d’inauguration d'Édouard Philippe pour le Ségur de la santé?
- Lorenzo Lanteri
- 27 mai 2020
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 févr. 2021
Le Premier Ministre a inauguré le Ségur de la Santé ce lundi. Les concertations destinées à tirer les enseignements de la pandémie pour réformer le système de santé devront déboucher « début juillet ». Edouard Philippe, a promis davantage de moyens mais pas un « changement de cap»
Après un hommage appuyé au Plan Santé 2022 porté par l'ancienne ministre Agnès Buzyn, Édouard Philippe est revenu sur « les enjeux » qui, selon lui, doivent guider les travaux de cette concertation réunissant 300 participants.
Le Premier Ministre a tout d'abord insisté sur la nécessité de faire des choix forts après cette crise. Il a également insisté sur la nécessité d’impulser des changements radicaux pour dénouer les blocages du système.
Ensuite, Edouard Philippe a effectué un retour sur « ma Santé 2022 » qui se voulait une stratégie long terme sur 10 ans pour transformer l’organisation. Cette Stratégie qui avait débuté en 2018 se donnait pour ambition d’en finir avec le système cloisonné actuel et de casser la logique en silos qui sévissait dans l’organisation et le financement des différents acteurs. Selon le Premier Ministre, il n’y a pas eu d'erreur stratégique, le diagnostic reste d’actualité. Les concertations qui s’ouvrent devront établir s’il est nécessaire d’accélérer fortement la mise en œuvre de Ma santé 2022.
Déjà en novembre 2020, sur ce même blog (Quelles solutions pour résoudre la crise de l’hôpital public?), j’estimais qu’il fallait répondre en deux temps à la crise profonde que traverse l’hôpital et plus généralement le système de santé. Une réponse de court terme pour desserrer l’étau qui pèse le fonctionnement quotidien de l’hôpital public et une réponse de long-termes portant sur la transformation de l’organisation de notre système de soins. Une temporalité de transformation sur le long-terme qui passe par l’amélioration de la coordination des soins de ville pour soulager l’hôpital est mieux prendre en charge les patients. Une temporalité immédiate pour résoudre la crise de l’hôpital en redonnant immédiatement de l’oxygène aux établissements publics de santé et médico-sociaux avec une hausse significative de l’enveloppe financière allouée en 2020.
Les 3 enseignements de la crise.
Pour le Premier Ministre, trois enseignements sont à retenir de cette crise
1/ Le système de santé a tenu. Malgré sa complexité et l’hétérogénéité des acteurs qui le composent le système de santé a globalement tenu. Ce système de santé a su mobiliser ces différents acteurs et les divers rouages qui le composent pour apporter des réponses innovantes, diversifiées et efficaces au moment de la crise sanitaire.
2/ Des obstacles au changement qui paraissaient jusqu’alors insurmontables ont pu être levés. La Crise a révélé que des réformes dont la mise en en œuvre semblaient difficile ont pris leur essor pour le plus grand bénéfice des patients (cf: la télémédecine). La crise a créé un choc de simplification. Pour le gouvernement, l’enjeu c’est de sortir du mode de gestion de crise tout en conservant les simplifications.
3/ Une organisation de soins « vraiment » territoriale a vu le jour. Dans chaque territoire sous l'impulsion des ARS, les acteurs de proximité ont su s’organiser pour répondre aux besoins spécifiques des populations sur le territoire.
Les 5 enjeux clés du "Ségur de la Santé"
Le Premier Ministre présente ensuite les 5 enjeux clés :
1/ La reconnaissance aux soignants pour avoir "gardé intact leur vocation et leur motivation". La rémunération et la revalorisation seront significatives dans les années à venir. Reste deux grandes inconnues, le montant et le calendrier d’entrée en vigueur.
Déjà en novembre 2020, quand le gouvernement optait pour une politique de la prime, les personnels soignants avaient fait remarquer qu’ils étaient davantage partisans d’une politique de revalorisation globale du point d’indice de la fonction hospitalière. Beaucoup estimait que les critères d’attribution de cette prime pouvaient être sources de nouvelles tensions entre les différentes équipes en charge du patient dans les établissements.
Le Premier ministre souligne que la hausse de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) sera également significative dans les années à venir. Cette reconnaissance financière doit aussi s’accompagner d’action sur les déroulés de carrière (RH, formation, coopération, pratiques avancées, compétences). Il faut aller plus loin dans ce cadre et la question du temps du travail n’est pas tabou. Dans les établissements de santé, la plupart des agents accumulent aujourd’hui des RTT sur leurs comptes épargne-temps, faute de pouvoir les prendre. Le gouvernement souhaite débloquer le statut des médecins à l'hôpital. Tel qu’il existe le statut de praticiens hospitaliers n’est pas adapté aux besoins de la jeune génération de médecins. Il faut aussi travailler à une reconnaissance de l'engagement dans des activités non médicales : enseignements, recherche, management.
2/ L'investissement et les modalités de financement de l’hôpital: En plus des annonces de novembre dernier, le gouvernement s’engage à nouveau pour une reprise massive de la dette et un nouveau plan massif d'investissement. Le Premier Ministre précise que cet investissement devra être réorienté prioritairement vers les territoires pour accélérer les coopérations entre la ville/l'hôpital, le médicosocial et entre le public et le privé. On est davantage dans une logique d’accompagnement des hôpitaux pour leur permettre de mieux s’ancrer territorialement et les aider à mener leur campagne de désendettement que la construction de nouveaux projets.
L’autre chantier pour l’hôpital c’est aussi celui de la tarification. La tarification des urgences, des soins de suite et de la psychiatrie devront évoluer dès 2021. Il faut aussi réduire à moins de 50% la part de la T2A dans le financement des établissements dès 2022. La Concertation doit trouver un système plus intelligent pour rémunérer davantage la qualité des soins. Une tarification qui soit moins ancrée sur la multiplication des actes pour engranger des recettes.
Il s'agira de ne pas répéter les erreurs du passé en assignant des objectifs nombreux et contradictoires à ces nouveaux modes de financement : équité, qualité, efficience du financement, attractivité des tarifs pour les professionnels de santé. La prise en compte simultanée de ces différents objectifs crée de la complexité et de l’illisibilité. En tenant compte de cette situation, la réforme du système de tarification doit être porteuse de sens et de valeur afin d’être mieux comprise par les acteurs. Si notre modèle de financement a permis de préserver le périmètre solidaire du financement des dépenses de santé pendant la crise, il s’avère insuffisant pour accompagner les transformations de notre système de santé : explosion des maladies chroniques, logique de parcours de soins ambulatoire. Sa construction actuelle présente un certain nombre d’inconvénients. Il fixe des « parts de marché » aux différentes composantes du système sur une base historique et non selon des besoins de santé. L’architecture en différentes enveloppes (ONDAM) soutient la tendance à la spécialisation et ne favorise pas les évolutions vers moins de cloisonnement entre les composantes du système de santé et vers une pratique plus interdépendante des différents intervenants. La construction de notre modèle de financement révèle l’absence de priorités de santé et de « modèle » d’organisation ». Il n’existe en effet pas de fongibilité réelle en cas de transfert d’activité. On est dans ce qu’il est convenu d’appeler une gestion « en silos » peu propice à générer de la coordination entre acteurs.
3/ L’agilité du système de santé. Pour le gouvernement, il faut lever les freins à la réforme du système de santé. La crise a “permis la matérialisation d’un « choc de simplification ». La crise sanitaire a permis de faciliter les liens entre hôpitaux et les ARS. Pour le Premier ministre, Il faut continuer de développer la médecine de ville. Il faut sur le terrain “remettre le patient au centre du jeu” en mesurant systématiquement la qualité des soins pour mieux évaluer l'implication de chacun. Il n'est pas vraiment sur que ce "mantra" ou plutôt cette "arlésienne" qui survient à chaque réforme du système de santé ne trouve une nouvelle fois d'application opérationnelle. Il y’a également la question de la gouvernance hospitalière. La mission Claris doit prochainement rendre ses conclusions, la concertation devra en tenir compte. Selon le Premier Ministre, il n’est pas sûr que les règles de gouvernance actuelles aient vraiment posé problème. Ce n’est pas les règles de gouvernance mais bien la question du management qui est posé. Ce qui a fonctionné dans la crise c’est un mode de management qui responsabilise chacun. Il faut renforcer cette voie en généralisant les délégations d’enveloppes au niveau des services.
4/ Le quatrième enjeu est "de bâtir une nouvelle organisation du système de santé dans chaque territoire, intégrant l'hôpital, la médecine de ville et le médico-social. Le gouvernement souhaite aller plus loin dans la définition d’une organisation au niveau territorial qui intègre tous les acteurs. Il y’a déjà un début de structuration de la médecine de ville (assistants médicaux/ les CPTS) qu’il faut prolonger/intensifier. D’autres formes de coopérations territoriales vertueuses sont nées dans la crise notamment entre les EHPAD, l’hôpital et l’hospitalisation à domicile. Pour le Premier ministre, la concertation doit identifier ces bonnes pratiques nées de la crise pour les prolonger dans le temps.
5/ Le numérique : les hôpitaux devront bâtir une gouvernance de la donnée. Le gouvernement souhaite donner une nouvelle impulsion à l’espace numérique de santé pour un déploiement efficient en 2022. Tous les patients auront accès à un espace numérique de santé accessible en ligne afin d'accéder à leurs données administratives, leur dossier médical partagé et l'ensemble des données relatives au remboursement de leurs dépenses de santé ;
En conclusion, le Premier ministre rappelle qu’au-delà de ces 5 grands chantiers, il y’a une très grande correspondance entre la carte de la mortalité et la carte des inégalités. La mission n'est pas seulement de refonder l'hôpital mais d'imaginer des politiques de santé publiques de prévention et de promotion de la santé pour mieux prendre en charge en amont (avant l’arrivée à l’hôpital) la santé des personnes.
Qu'attendre du Ségur de la Santé?
L’annonce du desserrement de l'ONDAM et les politiques de revalorisations des rémunérations constituent une inflexion notable. La fenêtre historique nous permet enfin d’envisager une réponse adaptée des moyens aux besoins de santé. Il faudra veiller à ce que ces revalorisations des soignants soient rapidement mise à exécution pour rattraper les écarts de rémunération existants avec leurs homologues européens.
Concernant les autres annonces restantes (organisation de soins, numérique, territoire) on est dans le prolongement de ce qui avait été tracé par le plan « ma santé 2022 » avec néanmoins une volonté d’intensifier les bonnes pratiques nées durant la crise.
Le retour à la normal ne change pas le constat sur les insuffisances de notre système de santé. Il y a de multiples problèmes dans le système de santé français, déserts médicaux, vieillissement, inadaptation de la démographie médicale et absence de coordination des différentes professions. Ces problèmes sont en partie dus à la fragmentation des prises en charge entre les divers acteurs : fragmentation ville-hôpital, sanitaire/social/médico social et ainsi de suite. Or ce que nous devons rechercher c’est la coordination de ces acteurs et ce au service du patient.
Quelle est l’utilité de la crise dans ce domaine? En France, l’organisation des parcours et l’articulation des différents acteurs de terrain est freinée et rendue compliquée par la tarification à l’acte, la réglementation et le manque de moyens plus généralement.
La France est constituée d’une multitude d’offres toutes très règlementées : l’offre en ville (générale, généraliste ou spécialisée), l’offre des professionnels de santé paramédicaux en ville, l’offre des soins à domicile (plus complexes et qui répondent à des besoins spécifiques), l’offre dans les établissements médico-sociaux et celle dans les établissements de santé. Le Ségur de la santé doit déboucher sur un financement simple et lisible pour l’ensemble des acteurs autour d’objectifs prioritaires (prévention, parcours de soins du patient, suivi au long cours du patient). Il faut aussi « sanctuariser » certaines catégories de dépenses (urgences et permanence de soins, prévention, investissements, médico-social...) pour donner de la visibilité à ces acteurs dans le temps et offrir une vraie prise en charge aux populations qu’ils ambitionnent de couvrir.
Kommentare