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Quelles solutions pour résoudre la crise de l’hôpital public?



Ce mercredi 20 novembre, Edouard Philippe a livré un «plan de soutien» à l’hôpital avec des moyens supplémentaires, pour répondre à la colère du personnel hospitalier. Le gouvernement entend répondre à la multiplication des grèves à l’hôpital public. En effet, personnels, infirmiers, médecins et même directeurs de structures hospitalières ont plusieurs fois dénoncé un système à « bout de souffle ». La pression financière sur l’hôpital public s’est intensifiée, d'autant que parallèlement aucune réforme de structure, qui aurait pu rendre les plans d’économies supportables, n'a été mise en œuvre. L’horizon des réformes de moyen-long termes « ma santé 2022 » ne pouvait constituer la seule réponse. La question de l’hôpital n’était pas uniquement problème d’organisation mais une question de moyens également.


En réalité, il faut se placer sur deux temporalités pour résoudre la crise de l’hôpital:


1/ Une temporalité de transformation sur le long-termes qui passe par l’amélioration de la coordination des soins de ville pour soulager l’hôpital et mieux prendre en charge les patients.


2/ Une temporalité immédiate pour résoudre la crise de l’hôpital en redonnant immédiatement l’oxygène aux établissements publics de santé et médico-sociaux avec une hausse significative de l’enveloppe financière allouée en 2020.



 

Aux origines de la crise du monde hospitalier


Deux réformes ont consacré le système hospitalier tel que nous le connaissons aujourd’hui: les ordonnances Debré de décembre 1958 qui ont donné à la médecine française son élan vers l’excellence, et la loi Boulin de décembre 1970 qui a notamment créé le service public hospitalier. Ces réformes marquent la consécration de l’hôpital public comme le « pivot du système de santé ». Au fil des ans, l’hôpital public a pris une importance croissante dans notre système de santé. Ce dernier est devenu le principal acteur des soins d’urgence et des soins hautement spécialisés, lieu de développement des missions de soin, d’enseignement et de recherche, site des plateaux techniques les plus lourds et lieu d’exercice des équipes soignantes les plus prestigieuses. La conjonction de ces éléments a conduit, de fait, à une concentration des moyens et des ressources et à l’hospitalo-centrisme qui a été décrié par la suite.


Malgré un discours de rupture avec le modèle hospitalo-centré et la volonté de sortir du tout hôpital force est de reconnaitre qu’on continue d'attendre de lui, la réponse à tous les problèmes de notre système de santé. La capacité de la médecine de ville à prendre en compte les soins non-programmés est encore trop erratique créant ainsi cet effet de déversement sur l’hôpital. Ce dernier est à la croisée des chemins de tous les dysfonctionnements des prises en charges sociales et médico-sociales. C’est tout le paradoxe de cet hôpital positionné à tous les niveaux de recours alors que c’est en dehors de ces murs que s’effectuent les grands enjeux de santé publique pour lesquels nous sommes pressés d’agir (vieillissement, chronicité des maladies, prévention). L’hôpital n’est pas à la bonne place actuellement compte tenu des modifications de la carte sanitaire. C’est à l’extérieur de ses murs que se dessinent les grands enjeux de santé de publique


Les réformes successives entamées depuis le début des années 2000 ont été d’inspiration libérale. Elles ambitionnaient de moderniser l’hôpital public et de l’adapter à son nouvel environnement en le dotant des outils de management de l’entreprise (financement, gouvernance). En reliant les moyens budgétaires et financiers à l’activité, la T2A a incité les établissements à devenir « efficients », c’est-à-dire à obtenir de bons résultats tout en minimisant leurs dépenses. Accroître les recettes suppose de maximiser l’activité en répondant à la demande de soins, tout en se spécialisant dans les domaines où l’établissement est le plus rentable. Il faut également minimiser les dépenses, et notamment celles de personnel qui en représentent environ les deux tiers.


En 2013, le rapport Couty constatait déjà que « les hospitaliers se sentent sous pression constante et toujours plus forte entre contrainte économique d’une part, qualité et quantité des prises en charge d’autre part ». Selon ce rapport, il en résulte une perte de confiance et de repères pour l’hôpital public, ainsi qu’un sentiment de dégradation des conditions de travail et d’exercice.


L’introduction de la T2A depuis 2006 et le resserrement de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) pour les établissements de santé ont placé le système sous tension permanente. La France à un haut niveau de dépense de santé : 7,9 % de son PIB pour la santé, contre 6,9 % en moyenne en Europe. Mais prises isolément, les dépenses hospitalières ne réprésentent en France que 3,6 % du PIB, contre 4,1 % en moyenne en Europe. Il y a donc bien une rigueur exceptionnelle imposée à l’hôpital, et une plus grande mansuétude sur la médecine de ville. C’est le choix qui a été fait par les pouvoirs publics depuis un certains nombres d’années pour faire émerger le virage ambulatoire »


L’hôpital connait également des dysfonctionnements dans sa gouvernance. Aujourd’hui, se juxtapose au sein de l’hôpital 3 hiérarchies (médical, infirmiers, gestionnaires) dont les rôles ne sont pas clairement définis entrainant ainsi des situations de conflictualité et de perte de sens.


La réforme de l’hôpital doit être pragmatique, il faut être attentif aux fragilités des personnes et des structures. La réforme doit « porter sens » et être « porteuse de valeur » .Pour la philosophe Hannah Arendt, l’autorité s’appuie sur un système de valeur reconnues or les valeurs qui ont fondé l’hôpital sont progressivement en train de disparaitre.


 

Des mesures d'urgences pour desserrer l'étau



Il y a des secteurs d’action publique pour lesquels il est possible de considérer que c’est aux moyens de s’adapter aux besoins, et non l’inverse – l’hôpital public en fait partie. Il n’est pas possible de rénover un système de santé à budget constant.



Beaucoup d’acteurs de la santé avait déjà demandé le desserrement de l’ONDAM pour l’hôpital pour l’établir à 2,5% (contre les 2,1% prévu)[1] lors de la présentation du PLFSS en septembre dernier. Ce desserrement de l’ONDAM permettrait de redonner des marges de manouvres aux hôpitaux avec une hausse significative de l’enveloppe financière allouée en 2020. Cette enveloppe financière pourrait être orientée de manière prioritaire sur les missions d'intérêt général: accueil des plus fragiles, traitement des pathologies les plus lourdes, recherche, dotation financière de la psychiatrie.


Il faut également revaloriser immédiatement des salaires des personnels paramédicaux, infirmiers en premier lieu, et des médecins. Beaucoup demandait une politique de revalorisation globale du point d’indice de la fonction hospitalière. Celui-ci est bloqué depuis trois ans. Le gouvernement a finalement opté pour des primes ciblés sur des exercices particuliers ou des zones géographiques. Ces mesures seront telles suffisantes pour atténuer les écarts de rémunérations entre le privé lucratif et le public ? Le sens du travail est sérieusement érodé par les réorganisations et les rythmes de travail ont dégradé la relation avec le patient. Une réduction plus sensible de ces écarts de rémunérations et de conditions de travail aurait permis d’enrayer les départs vers le privé et de faire face aux difficultés de recrutement qui sont inquiétants pour l’avenir de ce service public.


L’hôpital doit également faire l’objet d’une politique de relance de l’investissement des hôpitaux et EHPAD publics pour le renouvellement des équipements courants mais aussi pour permettre l’émergence de la médecine, chirurgie et psychiatrie de demain. Il faut préparer dès aujourd'hui la médecine de demain qui s’appuiera sur l’intelligence artificielle et le numérique.



Il fallait un plan d’urgence qui prenne en compte la dette des hôpitaux mais aussi revalorise les salaires tout en s’attaquant à l’attractivité des carrières. Le gouvernement y répond partiellement. D’autres questions restent non-résolues comme l’attractivité des métiers à l’hôpital public. L’année 2020 doit voir l’ouverture de nouveaux chantiers destinés à renforcer l’attractivité des métiers pour les infirmiers et les aides-soignants sur le modèle de ce qui a été fait par la mission Myriam El-Khomri pour les métiers du grand âge. Il faut également davantage valoriser les salaires et les compétences des futurs infirmiers en pratiques médicales avancées (IPA)[2]. Ils joueront un rôle de premier plan dans le système de santé de demain.


 

Redéfinir les missions de l’hôpital dans les 20 prochaines années



Le plan « Ma santé 2022 » représente une opportunité pour poser des principes de responsabilités à différents acteurs et à différents niveaux. Elle impose également de tenir compte des différentes configurations locales d’offre de soins afin de ne pas calquer un schéma qui ne laisse aucune marge de manœuvre d’un lieu à un autre.


Cette réforme de long terme doit donc s’appuyer sur un nouveau socle de valeurs communes cohérentes avec les enjeux de notre temps ainsi qu’avec l’organisation proposée.


Ces valeurs devraient s’articuler autour de notions telles que : l’égalité et la justice sociale ; le travail collectif, la coopération entre professionnels ; la primauté et le respect du patient (bien être, autonomie) ; la compétence de chacun et enfin la gestion raisonnée des ressources limitées du système de santé.


Cela passe par le développement de petites structures de premier et de second recours plus autonomes et plus visibles qui gravitent autour d’un centre hospitalier (maison de santé, Communautés professionnelles territoriales de santé, réseaux de soins intégrés)


Dans ce nouveau modèle, l’hôpital deviendrait un point d’appui. Il agirait en coordination avec les acteurs de proximité (CPTS, maison de santé) et ne se projette plus en substitution. Il s’agirait de passer à un modèle en réseau au sein duquel chaque acteur joue son rôle en fonction de son positionnement dans le parcours du patient. Cela permettrait de transférer des missions à caractère social de l’hôpital pour les déléguer aux autres structures de proximité (CPTS, maisons de santé, centre d’examens de santé). Cette vision prospective est également attendue pour répondre aux nouveaux besoins de la population : prise en charge à domicile, fluidité du parcours de soins.

[2] La loi de modernisation de notre système de santé pose le cadre juridique de ce que l’on peut appeler « la pratique avancée » pour les auxiliaires médicaux. L’Infirmier en pratique avancée participe à la prise en charge globale des patients et à l’organisation des parcours. L’idée est de décharger le travail des médecins et de donner un peu plus de responsabilités aux infirmiers dans la prise en charge de certains malades. Cet exercice en santé existe déjà dans de nombreux pays. Ils sont aujourd’hui un petit millier, étalés sur deux promotions en formation.

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