Système Universel de retraite : les départs anticipées
- Lorenzo Lanteri
- 24 juin 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 févr. 2021

Au-delà du débat sur l'âge de départ, la réforme des retraites, actuellement en discussion, doit être l'occasion d'adapter notre modèle social aux évolutions socio-économiques. Le tag social propose sa version de la réforme.
Aujourd’hui, notre système de retraite comporte plusieurs dispositifs visant à compenser les difficultés de maintien dans l’emploi liées aux problèmes de santé, que ce soit pour permettre aux assurés de valider des droits supplémentaires ou pour autoriser des départs à la retraite avant l’âge légal de 62 ans.
Tout d’abord, il existe la retraite anticipée pour pénibilité. Le compte professionnel de prévention (C2P) permet aux salariés exposés à certains facteurs de risques professionnels de bénéficier de points pour majorer leur durée d’assurance et envisager un départ plus tôt. En parallèle un salarié victime d’une maladie professionnelle consécutive à un facteur de risque parmi 4 facteurs (sortis du C2P à la faveur de l’une des ordonnance « Macron ») bénéficie d’une procédure allégée de départ à la retraite à 60 ans sous certaines conditions.
Ensuite, il y a le départ anticipé pour catégories actives. Les catégories actives de la fonction publique concernent les fonctionnaires qui occupent un emploi qui présente un risque particulier ou des fatigues exceptionnelles. Cette catégorie permet des départs anticipés dès 52 ou 57 ans selon les emplois. Elle concerne des agents des trois volets de la fonction publique (d’État, territoriale et hospitalière);
Enfin, il existe des départs anticipés pour carrières longues réservés aux personnes ayant commencé à travailler jeune (entre 14 et 20 ans). La retraite pour carrière longue permet à ces personnes de partir à la retraite avant l'âge légal de 62 ans, à certaines conditions de durée de carrière effective
A la lumière de ces 3 dispositifs, on voit très bien que dans le système de retraite actuel, la durée d’assurance est un paramètre central et constitue une variable de pilotage essentielle.
La prise en compte de la pénibilité
Dans un régime en points, le niveau de la pension est directement lié à l’effort contributif, c’est-à-dire au montant total des cotisations versées, quelle que soit la durée de versement de ces cotisations. Conséquence : la durée d’assurance disparaît entraînant avec elle les dispositifs de départ anticipé.
Il convient donc d’aménager ces dispositifs de solidarité et de prise en compte du travail pénible dans la réforme à venir.
On peut d’abord interroger la pertinence de ce type d’aménagement. Certains plaident pour que les impacts de la pénibilité au travail soient traités avec les employeurs, dans l'emploi et non être reportés sur le système de retraite.
Il est vrai que la reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité dans le système de retraite conduit de facto le futur régime universel à se satisfaire des situations de travail pénibles. Dans un monde idéal l'approche à privilégier en ce domaine est celle de la mise en œuvre d'une politique de prévention de ces situations, notamment par l'amélioration des conditions de travail, dans le secteur privé comme dans le secteur public.
Cet argumentaire bien que judicieux s’effondre devant un principe de réalité : être exposé à la pénibilité de façon durable obère les chances de vivre une retraite sans incapacité et peut avoir des conséquences sur l’espérance de vie.
Le futur système devra donc comprendre
un mécanisme équivalent à la validation de trimestres permettant l’anticipation du départ via la collecte de points dans le cadre du C2P (réintégrant idéalement certains facteurs de risque : port de charges lourdes, vibrations mécaniques, postures pénibles, travail de nuit)
dans le cas d’une incapacité permanente : une possibilité de départ anticipé à 60 ans avec suffisamment de points dans les conditions à minima équivalentes du système actuel.
Des dispositifs universels
La deuxième évolution nécessite que ces dispositifs soient généralisés à l’ensemble des cotisants au nom du principe d’égalité. Si la même profession est exercée dans le secteur public ou privé ou si l’exposition à des facteurs de risque est similaire, les règles devraient être identiques pour garantir l’ambition d’universalité du système de retraite.
En effet, le cas des fonctionnaires de « catégorie active » et celui des agents de conduites SNCF nous amènent à repenser la pénibilité qui est envisagée de manière trop statutaire dans ces régimes.
L’extension du Compte personnel de prévention (C2P) élargi à toutes les catégories de travailleurs pourrait dé-rigidifier le caractère statutaire de ces catégorie d’agents. Cette compensation par le C2P permettrait une meilleure reconnaissance de la pénibilité et ouvrirait des pistes de reconversion professionnelles pour ces travailleurs.
De cette façon on éviterait la coexistence dans le régime universel d’un système de prise en compte de la pénibilité avérée et d’un autre prenant en compte la pénibilité supposée (approche par catégorie plutôt que par situation réelle de travail).
Reconnaitre les longues carrières
La troisième évolution concerne l’évolution et le sens que nous souhaitons donner au dispositif de type carrière longue dans le futur système de retraite Universel.
Comme on l’a vu la notion de durée d’assurance et de trimestres disparaitraient dans un système en points – ou du moins cesseraient d’être un paramètre central - la durée n’est donc plus théoriquement requise pour définir des conditions de départ. Cependant, rien n’empêche que le futur régime de retraite universel de conserver des éléments qui permettent de prendre en compte une «carrière longue»
En Allemagne l’adoption d’un système en point au début des années 1990 n’a pas empêché, en 2014, l’introduction d’un dispositif permettant des départs anticipés sans décote dès 63 ans pour les personnes justifiant d’au moins 35 ans de durée d’assurance.
En Suède dont le système de retraite est en compte notionnel, des réflexions sont en cours pour donner la possibilité à ces affiliés ayant eu 44 ans d’activité de pouvoir bénéficier d’une pension garantie à un âge inférieur à l’âge légal de départ à la retraite.
Il serait tout à fait possible dans le cas français de permettre aux personnes ayant 35, 40, ou 45 années de cotisation effective de donner d’une allocation différentielle de type GMP[1] pour atteindre le niveau du SMIC à la retraite.
Philosophiquement, ce dispositif est cohérent avec la logique du système universel de récompenser les efforts du travail et donc les longues carrières.
Il serait donc tout à fait possible de permettre aux personnes ayant cotisé suffisamment longtemps de partir sans décote à 62 ans. Les personnes ayant effectué ces durées effectives de cotisations n’auraient pas à atteindre l’âge pivot pour annuler leur décote.
Même si la notion de durée d’assurance et de taux plein devrait disparaitre dans un système en point, il n’est pas interdit d’imaginer des mécanismes qui prennent en compte la carrière pleine et la rétribue justement soit en annulant la décote avant l’âge pivot, soit en garantissant une allocation différentielle qui permette d’atteindre le SMIC.
On pourrait ainsi autoriser un départ l’âge pivot de 64 ans sans décote pour compenser une moindre espérance de vie. En théorie, il suffit de modifier la formule de calcul des droits à pension afin que les points rapportent plus que la normale.
Ces dispositifs compliqueraient certes le pilotage financier du système de retraite et s’écarteraient du mantra selon lequel « un euro cotisé donne les mêmes droits » mais ils auraient le mérite d’être juste et de récompenser le travail.
[1] Garantie minimale de points
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