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Innover en santé: un nouveau mode d'emploi

  • Lorenzo Lanteri
  • 4 juin 2019
  • 5 min de lecture

L'article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2018 ouvre la possibilité à des financements novateurs, dérogatoires aux règles actuelles de tarification pour des expérimentations organisationnelles innovantes du système de santé. Concrètement comment ça marche?



Notre système de santé connait de multiples problèmes: déserts médicaux, complexité d’accès aux services, inadaptation de la démographie médicale et absence de coordination des différentes professions. Une partie de ces problèmes s’explique par la fragmentation des prises en charge entre les divers acteurs : fragmentation ville-hôpital, fragmentation entre les intervenants sanitaire/social/médico-social et ainsi de suite. Or, ce que nous devons rechercher, c’est la coordination de ces acteurs, et ce, au service du patient.


Quelle est l’utilité de l’article 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018 dans ce domaine ? En France, l’organisation des parcours et l’articulation des différents acteurs de terrain sont freinées et rendues compliquées par la tarification à l’acte et, plus généralement, par la réglementation


La France dispose d’une multitude d’offres toutes très règlementées : l’offre en ville (généraliste ou spécialisée), l’offre des professionnels de santé paramédicaux en ville, l’offre des soins à domicile (plus complexes et qui répondent à des besoins spécifiques), l’offre dans les établissements médico-sociaux et celle dans les hôpitaux.


L’article 51 ouvre de nouvelles opportunités pour tester de approches innovantes, puisque ce dispositif permet de déroger à de nombreuses règles de facturations et de financement, applicables en ville comme en établissement hospitalier ou médico-social.


Cet article est le fruit d’un travail collectif entre de multiples acteurs, dont l'Assurance maladie et les professionnels de santé (infirmiers, médecins etc).


L’article 51 constitue une rupture car il met en place deux nouveautés: il crée un cadre dérogatoire aux expérimentations tout en instaurant également un fonds national pour financer ces expérimentations.


Avec l’article 51, ce sont autour des initiatives de terrain que vont venir s’articuler des offres. La ministre de la santé, Agnès Buzyn est absolument convaincue qu’une approche comme celle-là va générer des gains importants, aussi bien en termes de qualité de pratique, d’amélioration des services à la population qu’en termes financiers.


Quelles innovations sont concernées par l'article 51?



La loi crée ainsi un cadre pour toutes les expérimentations et c’est une grande première : on a une loi, une fois pour toutes, et il n’est plus nécessaire de passer par des vecteurs législatifs pour chaque expérimentation, comme précédemment. L’article 51 définit deux grands types d’expérimentations, avec un même socle de dérogations mais des nuances dans les procédures.


Le premier socle concerne les organisations innovantes.


Par exemple : la création d’équipes mixtes, composées de professionnels hospitaliers (cardiologue, neurologue, pharmacien et infirmiers) et de professionnels exerçant en ville (médecins, pharmaciens et infirmiers) pour le suivi intensif des patients victimes d’accident vasculaire cérébral et d’infarctus du myocarde, pour prévenir et dépister les complications et récidives. (le cf : projet d’expérimentation DiVa Dijon Vascular Project)



Le second socle comprend les produits de santé (médicaments et dispositifs médicaux).


Par exemple : des projets ont pour objet d’améliorer l’observance thérapeutiques par le biais d’objets connectés.



Les expérimentations peuvent être proposées, soit en réponse à un appel à projet, soit à l’initiative des acteurs. C’est l’une des grandes innovations : le dispositif ne sert pas seulement à favoriser les appels à projet des pouvoirs publics ; il permet aussi de faire remonter les initiatives de terrain, les bonnes idées via les ARS.


L’article 51 introduit 4 critères de sélection des projets :

  • la faisabilité de l’expérimentation,

  • sa reproductibilité, c’est-à-dire que ce que l’on teste sur un territoire va être généralisable à l’ensemble du territoire national,

  • son caractère innovant,

  • son efficience.


On peut d’ailleurs estimer que le critère de reproductibilité n’est pas vraiment pertinent dans la mesure où chaque projet n’a pas forcément vocation à être généralisé à l’échelle nationale. Penser que tous les territoires sont identiques est une erreur fondamentale alors que l’essence même de l’article 51 est de donner la priorité au acteurs locaux pour apporter l’innovation.


Quelles sont les expérimentations en santé permises?



Les règles de dérogations au financement de droit commun


Ce sont les plus nombreuses. Il s’agit :

  • des règles de facturation pour les professionnels ou les établissements de santé,

  • des règles de tarifications des établissements de santé et les règles de remboursements, c’est-à-dire de la prise en charge par l’assurance maladie pour les patients,

  • des règles de prise en charge des produits de santé,

  • des règles de paiement direct des honoraires par le malade.

Par exemple : la création d’un paiement à l'épisode de soins consistant à ne plus financer au coup par coup un acte et un professionnel mais l'ensemble des professionnels de santé publics et privés impliqués dans le parcours de soins du patient de façon forfaitaire avec une enveloppe unique, incluant tant l'acte chirurgical en lui même, que les consultations de préhospitalisation, les soins et le suivi postopératoire ou le matériel médical.


Les règles de dérogation aux règles d’organisations de l’offre de soins


Elles sont moins nombreuses. Il s’agit :

  • du partage d’honoraires entre professionnels de santé,

  • de la définition des missions des établissements de santé en ce qui concerne les prestations d’hébergements non médicalisés (communément appelées hôtels hospitaliers),

  • les autorisations d’activité de soins et d’équipements de matériels lourds (cette dérogation permet d’autoriser des groupements d’établissements de santé, de professionnels ou une combinaison des deux),

  • la dispensation à domicile des dialysats qui déroge au régime juridique des pharmacies.


L’article 51 n’impose pas d’autres exigences au-delà de ce cadre juridique afin de laisser de la liberté aux acteurs qui souhaitent faire financer leurs projets. On le comprend bien, l’objectif de l’article 51 n’est pas seulement de simplifier les expérimentations, mais de faire évoluer lever l’obstacle résultant de la connexion organisation/financement, lequel bloque la transformation du système.


Un dispositif encore difficile à évaluer



De par la jeunesse de ce dispositif, il est encore difficile d’évaluer les effets de ces innovations organisationnelles sur l’amélioration du système de santé. Dans tous les cas, l’article 51 a suscité de l’enthousiasme de la part des acteurs de santé qui s’en sont massivement emparés. Ainsi, on recensait plus de 374 projets formalisés auprès des ARS en décembre 2018.


Plus intéressant encore, ces projets semblent vouloir s’attaquer aux insuffisances profondes de notre système de soins, pour une prise en charge cordonnée des maladies chroniques, une amélioration du parcours de soins et de la communication ville/ hôpital.


Toutefois, si l’on veut que ces dispositifs fonctionnent efficacement, établissements de santé (privés ou publics), associations, professionnels de santé, patients ou encore entrepreneurs, devront véritablement travailler main dans la main et surtout avoir une visibilité financière sur une période suffisamment longue.


Enfin, ce signal très positif envoyé aux acteurs de terrain ne doit pas s’enfermer dans une logique d’évaluation technocratique. Or le risque plane toujours dans ce type de dispositif que les ARS et le comité technique se substituent aux acteurs eux-mêmes.



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