Retraite : Comment l’âge pivot va mettre de l’huile dans les rouages
- Lanteri Lorenzo
- 17 oct. 2018
- 5 min de lecture
62 ans, cela restera l'âge minimum de départ à la retraite dans le prochain système de retraite universel. Toutefois, il se murmure qu’un âge pivot de 63 ans serait à l’étude au sein de cette réforme. Le tag social fait le point sur ce nouveau concept.
La prise en compte de l'espérance de vie dans les systèmes de retraite
Tout d’abord, il nous faut au préalable définir le fonctionnement d’un régime par répartition. Ce dernier lie les générations successives sur leur cycle de vie par l’intermédiaire d’un contrat implicite où les gestionnaires du système s’engagent à verser des pensions aux retraités actuels et futurs en contrepartie de leurs contributions.
Les systèmes de retraite par répartition doivent également veiller sur trois autres grands objectifs : la pérennité financière, un niveau de pension suffisamment élevé pour les pensionnés et l’équité inter et intra générationnelle.
En tenant compte de ces éléments le pilotage consiste alors pour les gestionnaires à choisir et ajuster au fil de l’eau les différents leviers dont ils disposent en vue d’atteindre les objectifs qui lui sont assignés tout en s’adaptant aux aléas d’un univers économique et démographique en constante évolution.
Pour corriger les déséquilibres économiques et démographiques potentiels, les gestionnaires peuvent instaurer un mécanisme d’équilibrage automatique sous la forme d’un coefficient de conversion qui tient compte de l’évolution démographique. Les régimes italiens et suédois ont opté pour cette solution. En effet, qu’ils soient en points ou en comptes notionnels, ces régimes sont essentiellement pilotés par le coefficient de conversion qui ajuste le niveau des pensions en fonction de l’espérance de vie d’une même génération. Le régime est soutenable par nature car le montant des pensions d’une même génération (personnes nées la même année) est défini en fonction des cotisations qu’elle a versées tout au long de la vie active.
Ce système confère de « vrais droits » pour les assurés actifs comme retraités au sens où les conditions d’acquisition en cours de carrière, de liquidation et d’indexation des pensions liquidées sont connues et ne sont pas modifiables. Pour paraphraser le Président de la République pendant sa campagne, l’idée est de « stabiliser les règles du jeu, une fois pour toutes » et d’éviter d’avoir recours tous les 5 ans à des ajustements du système de retraite.
Cependant, ce caractère intangible de la règle du jeu mérite d’être relativiser à la lumière des expériences étrangères.
Doit on stabiliser les règles du jeu, une fois pour toutes ?
En effet, la réforme suédoise de 1998 qui devait figer dans le marbre de règles d’ajustements automatiques n’a pas produit tous les effets incitatifs escomptés. En Suède, les femmes et les travailleurs moins qualifiés partent plus tôt avec des niveaux de pension insuffisants dès qu’ils atteignent l’âge minimum de liquidation à 61 ans. Une réflexion est donc en cours pour augmenter l’âge minimum de liquidation de 61 à 64 ans.
Il est donc préférable d’opter pour le recours à l’intelligence collective pour réguler le système plutôt qu’aux stabilisateurs automatiques qui offrent une moins grande souplesse de pilotage et ne permettent pas forcément de prendre en compte l’augmentation de l’espérance de vie.
Imposer un coefficient de conversion automatique peut également paraître irréaliste dans la mesure où cela suppose que dans le futur les gestionnaires accepteront de se conformer aux règles du système et de contenir leurs interventions sur le système de retraite. Ce qui pourrait être ressenti par les citoyens comme une forme de dépossession de la décision politique en matière de retraite.
Une autre difficulté liée à un coefficient de conversion automatique pourrait se poser – celle d’engendrer une dispersion inégalitaire dans l’âge de départ en retraite − les personnes les plus qualifiées partants le plus tard et maximisant ainsi leur pension comme c’est le cas actuellement en Suède. Les autres cotisants partiraient dès l’âge minimum de départ en retraite de 62 ans au risque de toucher une toute petite pension. En outre, l'équilibre financier de la sécurité sociale serait menacé car si tout le monde prenait sa retraite à 62 ans, cela voudrait dire moins de cotisations et donc moins de recettes pour la protection sociale.
Il faut donc trouver un équilibre judicieux qui garantisse un balancier entre arbitrage individuel et arbitrage collectif dans le futur système afin d’éviter que les personnes les plus en capacité soient les seules à optimiser leur trajectoire dans le nouveau régime de Retraite Universel.
Pourquoi cette difficulté ne se pose-telle pas dans le système actuel? Parce qu’au-delà de l’âge légal de 62 ans, notre régime en annuité comporte un deuxième étage pour piloter ce risque : l'âge du taux plein, qui dépend du nombre de trimestres cotisés. Quand on part avant, on subit une décote de 5 % par an (10 % des retraités au régime général). Et si on travaille au-delà, on gagne une surcote (13,7 % des effectifs). La décote ne s'annule qu'à 67 ans. Dans un régime en point si « l’âge minimum» (62 ans) demeure, les trimestres, eux, disparaissent. Or, le calcul du nombre de trimestres pour avoir une pension à taux plein détermine aussi l’âge de départ réel et incite à prolonger l’activité au-delà de l’âge minimum de 62 ans.
L'age pivot une alternative au coefficient de conversion?
D’où la piste de créer un âge-pivot, par exemple de 63 ans. L’âge pivot est un moyen de retrouver les vertus de la durée d’assurance qui disparaîtrait dans le futur régime en point. Cette approche alternative permet en effet de prendre en compte l’espérance de vie en instaurant un système de décote/surcote autour d’un âge pivot évoluant par génération.
Cette modalité est neutre en termes financiers et permet d’embarquer collectivement une génération afin d’éviter les effets indésirables liés à la responsabilisation des assurés dans un système en point − chacun devant se sentir responsable de l’équilibre général et de la solidarité du système. L’effort de cotisation et l’âge de liquidation restent ainsi les principaux déterminants du montant de la pension.
La question n’est pas d’augmenter indéfiniment l’âge réel de départ à la retraite. Si les projections montraient une baisse de l’espérance de vie, il serait alors possible de diminuer le coefficient de conversion ou le rendement instantané (toujours via la valeur de service du point) de manière à maintenir constant l’âge pivot.
Néanmoins, fixer un âge pivot à 63 ans devrait conduire au préalable à une politique volontariste de vieillissement actif. On le sait aujourd’hui, les enquêtes montrent que les travailleurs français interrogés se disent plus que les autres européens incapables de continuer à accomplir leur travail après 60 ans et ils sont parmi ceux qui souhaitent arrêter leur carrière le plus tôt.
Dans ce contexte, il est important de proposer des mesures adaptées aux situations particulières des personnes actives tout au long de leur vie pour soutenir leur participation au marché du travail jusqu’ à la retraite. Il existe une multitude de leviers d’action dans ce domaine. Plusieurs caractéristiques du travail et de l’emploi ont un effet avéré sur la santé et le bien-être : la France est à la traîne en matière de prévention primaire des risques professionnels. Il faut aller plus loin dans l’amélioration des conditions de travail (risques liés à l’activité, aux postures, exposition à des facteurs environnementaux, etc.) De plus, l’environnement social n’a cessé de se dégrader avec l’exposition aux risques psychosociaux et notamment l’augmentation des violences au travail, le délitement du soutien social et la moindre qualité du management.
Enfin, l’aspiration à une plus grande liberté dans les choix individuels de départ à la retraite est un enjeu important dans une société où l’espérance de vie devient de plus en plus longue. Cependant, elle concerne aussi bien l’âge du départ à la retraite que les modalités de passage de l’activité à la retraite. Il s’agit d’introduire la possibilité d’un passage plus progressif de l’activité à la retraite afin de rompre comme le disait Jaurès avec « cette organisation barbare qui fait que, jusqu’à un certain âge, jusqu’à une certaine minute, jusqu’à un certain mouvement imperceptible d’une aiguille sur une horloge, l’homme est surmené, et qu’aussitôt que l’aiguille a appuyé sur une petite marque noire, il passe dans le néant du travail.»
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