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La télémédecine, c'est pour demain!

  • Lorenzo Lanteri
  • 14 sept. 2018
  • 6 min de lecture


En avril dernier, un accord conventionnel était trouvé entre l’assurance-maladie et les syndicats représentant les médecins libéraux sur les modalités de déploiement de la télémédecine en France dès le 15 septembre prochain. La télémédecine va devenir une réalité.



La télémédecine bouleverse les pratiques médicales



À partir des années 1990, la révolution des technologies de l’information et de la communication (TIC) a bouleversé l’organisation de nos sociétés. Le développement de la micro-informatique accompagné de l’accélération et de la diversification des moyens de communication ont transformé les systèmes de santé de nombreux pays. Aujourd’hui, les hôpitaux sont connectés entre eux par de puissants réseaux de communication, les professionnels de santé transmettent des données sur leurs patients via l’interconnexion de bases de données : les nouvelles technologies ont colonisé la pratique médicale quotidienne.


Cette révolution va aujourd’hui bouleverser la relation patient/médecin via le déploiement de la télémédecine et des consultations à distance sur tout le territoire français. Or très peu d’acteurs sont prêts à ce type de révolution numérique et technologique. Et ce, alors que la télémédecine est une réalité juridique depuis près d’une dizaine d’années.


Un concept large aux frontières réglementaires précises



En juillet 2009, la télémédecine faisait son entrée en France avec l’adoption de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoires (HPST) qui lui conférait une définition légale au sein du Code de la santé publique.


La télémédecine peut se définir comme des actes médicaux "réalisés à distance, au moyen d'un dispositif utilisant les technologies de l'information et de la communication". Entrent ainsi dans le champ de la télémédecine les actes de télémédecine suivants :


1° - la téléconsultation, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de donner une consultation à distance à un patient. Un professionnel de santé peut être présent auprès du patient et, le cas échéant, assister le professionnel médical au cours de la téléconsultation. Les psychologues portant diverses dispositions d’ordre social peuvent également être présents auprès du patient ;


2° - la télé-expertise, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical de solliciter à distance l’avis d’un ou de plusieurs professionnels médicaux en raison de leurs formations ou de leurs compétences particulières, sur la base des informations médicales liées à la prise en charge d’un patient ;


3° - la télésurveillance médicale, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d’interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical d’un patient et, le cas échéant, de prendre des décisions relatives à la prise en charge de ce patient. L’enregistrement et la transmission des données peuvent être automatisés ou réalisés par le patient lui-même ou par un professionnel de santé ;


4° - la téléassistance médicale, qui a pour objet de permettre à un professionnel médical d’assister à distance un autre professionnel de santé au cours de la réalisation d’un acte ;


Télémédecine : le top départ



Les gouvernements qui se sont succédé depuis lors ont tous misé sur la télémédecine pour lutter contre les déserts médicaux, désengorger les urgences et améliorer globalement l’offre de soin aux meilleures conditions économiques. Cependant, le modèle de la télémédecine est resté verrouillé et limité à quelques embryonnaires expérimentations sur le territoire français.


Son déploiement, notamment en ville, se heurtait à l’absence d’un cadre stable et pérenne. Pour permettre de déployer plus rapidement la télémédecine, la loi de finances de sécurité sociale 2018 a fait en sorte que le financement des actes s’inscrive dans le cadre tarifaire de droit commun. Une négociation menée par l’Assurance maladie s’en est suivie dans le cadre d’avenants aux conventions actuelles conclues avec les professions de santé. Cette négociation a débouché sur l’accord du 18 avril 2018.


La téléconsultation est désormais accessible à tous les médecins à la date du 15 septembre 2018.


Pour la télé-expertise, le déploiement est programmé en deux étapes : à partir du 1er février 2019 pour certains patients (ALD, maladies rares, patients en zones sous denses n'ayant pas de médecin traitant, résidents en EHPAD et détenus) et en 2020 pour l’ensemble des patients (en fonction du bilan d'étape).



Quel cadre général ?


La téléconsultation est ouverte à tous les médecins, quelle que soit leur spécialité, et à toute situation médicale compatible, y compris pour les consultations psychiatriques. Le praticien qui souhaite recourir à cette pratique engage sa responsabilité, c'est à lui de déterminer si la consultation peut être réalisée à distance. On ne peut pas avoir recours à la pour certains actes complexes ou très complexes nécessitant l'examen physique du patient.


L’avis ponctuel du consultant est également hors du cadre. La téléconsultation représente un puissant levier d’aménagement de l’offre de soins sur notre territoire. Nous ne manquons pas à proprement parlé de médecins mais c‘est leur répartition sur le territoire qui demeure problématique. En abolissant les distances, la téléconsultation permettra de simplifier l’accès à un médecin pour des patients ayant des problèmes de mobilité.


La télé-expertise doit permettre à un médecin de consulter l'avis d'un confrère face à une situation médicale. Le recours est apprécié au cas par cas par le médecin requérant, et l’opportunité de sa réalisation relève de la responsabilité du médecin sollicité par son confrère. Quel que soit l'acte concerné, il devra donner lieu à la réalisation d'un compte rendu transmis au médecin demandeur. En écourtant les délais, pour des questions ne justifiant pas nécessairement une consultation médicale, la télé-expertise permettra d’accélérer les délais de prise en charge et de suivi, en obtenant plus rapidement un avis de spécialiste.



Quelles conditions ?


La téléconsultation doit s'inscrire dans le respect du parcours des soins, avec une orientation initiale par le médecin traitant. Ce principe ne concerne pas les spécialistes en accès direct (pour certains actes des gynécologues, ophtalmologues, psychiatres, neuropsychiatres, stomatologues, spécialistes en chirurgie orale ou en chirurgie maxillo-faciale) et les patients de moins de 16 ans. Sauf dérogations, le médecin doit avoir vu le patient au cours des 12 derniers mois et obtenir son consentement. Pour les patients sans médecin traitant désigné ou non disponible dans le délai compatible avec sa santé, la téléconsultation peut être proposée par une organisation territoriale (maisons ou centres de santé, communautés professionnelles territoriales de santé – CPTS).



Au niveau technologique, la téléconsultation est obligatoirement réalisée par vidéotransmission, via une plateforme certifiée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL). En pratique, c'est le médecin qui envoie le lien directement au patient, l'invitant à se connecter vers un site ou une appli sécurisés. Le patient non équipé ou peu familier des nouvelles technologies peut être assisté par un autre professionnel de santé équipé (pharmacien ou infirmière venant à domicile).


Concernant la télé-expertise, la connaissance préalable du patient par les médecins est nécessaire au moment de la réalisation de l’acte. En revanche, la télé-expertise n'exige pas un échange vidéo mais elle suppose un échange en direct (synchrone) ou en différé entre deux praticiens via une messagerie sécurisée.



Quels tarifs ?


Les téléconsultations sont facturées aux mêmes tarifs que les consultations classiques de visu (25 à 30 € selon les cas). Les règles de prise en charge sont les mêmes que pour une consultation classique : 70 % pour la part Sécu et 30 % pour la complémentaire ou 100 % pour les soins concernant des ALD. Les règles sont identiques aussi pour l'application du tiers payant intégral (ALD, maternité, CMU-C, ACS). La carte Vitale ne peut être lue à distance, le médecin peut réaliser une feuille de soins en mode dégradé. Il s’agit d’une facture électronique réalisée avec la Carte Professionnel de Santé (CPS) du médecin.


Pour la télé-expertise, l'accord prévoit deux niveaux de tarifs : pour le praticien requis, ce sera 12 euros par acte pour le premier niveau, par exemple la lecture d'un fond d'œil (dans la limite de 4 actes par an, par médecin, pour un même patient) et 20 euros par acte pour le niveau 2, comme la surveillance d'une plaie chronique (dans la limite de 2 actes par an pour un même patient). Le médecin requérant sera rémunéré à hauteur de 5 € par télé-expertise de niveau 1 et 10 € par acte de niveau 2 (dans la limite de 500 € par an et par patient).



Une "économie de la promesse"* qui n'est pas sans risques



Les conditions législatives ont été mises en place pour que notre système de santé profite pleinement des avantages de la télémédecine. L’appropriation la télémédecine dépendra notamment de l’adhésion des solutions aux besoins des utilisateurs, de la capacité de ceux-ci à se projeter dans cette nouvelle configuration de soins et de la qualité des premières expériences entre patients et médecins.


Les technologies ne sont pas neutres, elles ouvrent un champ d'opportunités positives et de risques potentiels. Elles bouleverseront nos modèles organisationnels et économiques. Mais si politiquement on ne prépare pas la totalité des personnes concernées : malades, élus, médecins et gestionnaires, on risque de payer de plus en plus cher pour des soins de moins en moins bons et de ne pas progresser, en termes de prise en charge des soins de santé des malades. Une mise en œuvre sans discernement de la télémédecine peut être autant facteurs d’exclusion des plus faibles que d’améliorations pour ceux qui savent les utiliser.


Il faut par conséquent se donner les moyens d’accélérer cette appropriation technologique pour que cette mutation numérique ne génère ni fracture, ni inégalités dans l’accès aux soins. Pour accompagner l'achat des équipements nécessaires (appareils médicaux connectés et abonnements à un service sécurisé de téléconsultation), une aide forfaitaire est versée aux médecins, via l’ajout d'un nouveau volet au forfait structure, valorisé jusqu'à 525 euros. Est-ce suffisant ?


Quant aux usagers et aux patients ils devront faire entendre leur voix pour vérifier qu’il soit réellement possible d’accéder à des services de télémédecine de qualité pour l’ensemble de la population.


*AUDÉTAT M. (2015), Sciences et technologies émergentes, pourquoi tant de promesses ?, Paris, Hermann.

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