Le modèle sanitaire français : une promesse inachevée
- Lorenzo Lanteri
- 11 avr. 2018
- 6 min de lecture
« Notre système de santé est en train de connaître des évolutions lourdes qui s’inscrivent dans un cadre structurellement inchangé » Ce constat du Haut Conseil pour l’Avenir de l’Assurance maladie résume bien les contradictions que connait actuellement notre modèle social de santé publique. Les réformes n’ont jamais été à la hauteur de ces évolutions. Des tentatives de réponses ont été apportées mais elles sont restées embryonnaires et mal définies générant frustration, épuisement et perte de sens pour les professionnels de santé. Du coté des usagers du système de santé, l’absence de structuration suffisante de moyens pour répondre à ces évolutions génère un sentiment de régression de notre modèle sanitaire. L’idée que nous ne serons plus aussi bien soignés qu’avant est en train de s’installer dans la population française. Ce sentiment rejoint la réalité quand dans certains territoires, on assiste à un véritable effondrement de l’offre des soins. Les différentes tentatives de réforme n’ont jamais vraiment su trancher dans une direction et se sont contentées de colmater les brèches.
Les ambiguïtés du virage ambulatoire
Tous les gouvernements ont souhaité donné une impulsion au « virage ambulatoire » pour des raisons aussi bien économiques que médicales. L’ambulatoire consiste à chaque fois que cela est possible, à écourter ou à éviter les séjours en milieu hospitalier, en offrant les services au patient au plus près de son milieu de vie. Cette évolution permet ainsi de répondre aux attentes de la population, qui aspire de plus en plus à une prise en charge des soins à domicile tout en générant des économies par l’utilisation optimale des plateaux techniques hospitaliers.
Or sauf exception, les dispositifs et les budgets de fonctionnement pour accompagner ce « séjour hospitalier à domicile » restent du domaine expérimental ou résultent de bonnes volontés. Accélérer le virage ambulatoire, comme l’appel de ses vœux l’actuelle Ministre des solidarités et de la santé implique aussi de définir ce qu'est l'ambulatoire. L’ambigüité que recouvre cette notion n’a toujours pas été levée : Parle-ton d’activité hospitalière sans nuitée ou de prise en charge en dehors de l’hôpital? Se mettre au clair sur la conception française que l’on souhaite donner à l’ambulatoire pourrait permettre de définir la ligne stratégique en termes d’offres de soins à développer. Doit-on aller vers une réorganisation des établissements hospitaliers ou une organisation plus structurée de la médecine de ville ?
Tout le volontarisme du monde sur la question du virage ambulatoire et le recentrage de l'hôpital sur ses missions se heurtera à la réalité actuelle de l’organisation de l’offre de soins. L'objectif affiché de 70% de chirurgie ambulatoire d'ici 2022 reste du domaine de l’incantatoire quand on sait que la temporalité nécessaire à la réalisation de cette cible n'est pas bonne. Les soins de ville ne sont pas assez organisés en amont. C’est cette désorganisation persistante de la ville qui explique, pour partie, la crise que traverse le monde hospitalier.
L'engorgement des urgences
L’explosion du recours aux urgences constitue une évolution inquiétante qui entre en contradiction avec les ambitions affichées de transformation de notre système de santé. Comme le relève récemment dans une interview pour le quotidien Libération, Agnès Buzin « Aujourd’hui encore, il y a un afflux invraisemblable aux urgences de patients qui n’ont rien à y faire. Au moins 30% d’entre-eux pourrait être pris en charge par la médecine de ville ». Malgré un discours de rupture avec le modèle hospitalo-centré et la volonté de sortir du tout hôpital force et de reconnaître qu’on continue d'attendre de lui, la réponse à tous les problèmes de notre système de santé. La capacité de la médecine de ville à prendre en compte les soins non-programmés est encore trop erratique créant ainsi cet effet de déversement sur l’hôpital. Ce dernier est à la croisée des chemins de tous les dysfonctionnements des prises en charges sociales et médico-sociales. C’est tout le paradoxe de cet hôpital positionné à tous les niveaux de recours alors que c’est en dehors de ces murs que s’effectuent les grands enjeux de santé publique pour lesquels nous sommes pressés d’agir (vieillissement, chronicité des maladies, prévention). Mais à l’heure actuelle, la médecine de ville ne fait pas le boulot et l’hôpital devient un recours par défaut. Les réformes qui se sont succédées ont tenté en vain de reporter ce rôle d’aiguillage sur la figure du médecin traitant. Malheureusement ce dernier n’est jamais devenu le pivot incontournable de l'orientation du patient. La dynamique démographique en berne des généralistes et le flou qui demeure sur le positionnement qu’on souhaite donner au médecin traitant dans le futur système de santé ne nous laisse pas présager d’un avenir meilleur sur ce sujet.
L'impensée stratégique de la spécialisation médicale
Autre évolution impactante, pour notre système de santé : celle de la démographie médicale. Depuis les années 90, les spécialistes ont dépassé en nombre les généralistes et nous n’avons pas tiré les conséquences de cette évolution. Nous vivons une forme de myopie collective sur cette question en cantonnant les questions de démographie médicale à celle du numerus clausus. Sur les quinze dernières années, le nombre des spécialistes n’a cessé de croître et a augmenté beaucoup plus rapidement que celui des généralistes : + 44% en 25 ans pour les spécialistes contre 9% pour les généralistes, dont le nombre décroît sur la période récente. Cette spécialisation de la médecine découle des progrès scientifiques et technologiques qui ont connu une formidable accélération ces dernières années. Or ce segment devenu majoritaire de la médecine est l’objet de peu de réflexions et d’actions collectives pour le positionner clairement dans l’architecture future du système de soins. Notre système de santé doit être en mesure de proposer des évolutions de la médecine spécialisée en adéquation avec les besoins de la population (maladies chroniques) et les orientations impulsées pour structurer les soins primaires. Tout le monde s’accorde pour affirmer que le développement du travail en équipe doit permettre d’assurer des soins complexes en relais de l’hôpital et d’améliorer la coordination autour des patients chroniques. Ce mode d’exercice correspond aux aspirations des jeunes générations qui souhaitent travailler en équipe. Ces regroupements de professionnels de santé autour de petites unités autonomes peuvent constituer un levier pour attirer les jeunes médecins dans les zones délaissées de notre territoire. C’est dans cette perspective que se sont créées les maisons de santé pluridisciplinaires de santé (MSP). Ces établissements réunissent des professionnels de la santé exerçant plusieurs disciplines différentes (médecins, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures-podologues...) et sont en partie financées par la puissance publique via le Fonds d'intervention régional (FIR) et l'Agence régionale de santé (ARS). Seulement, le saupoudrage de moyens et l’absence de cadres clairs sur leur perspective de développement en font un instrument encore marginal de notre système de santé.
Une prise en charge de la dépendance fragmentée
Quatrième et dernière évolution pour laquelle notre système de santé se trouve impréparé celui du vieillissement de la population. Du fait de son accélération, le vieillissement démographique contribuera davantage à la hausse des dépenses dans les décennies à venir que par le passé. Malgré une volonté de développer les services au domicile pour les personnes âgées dépendantes, force est de constater que les politiques publiques mises en place pâtissent d’une structuration des moyens insuffisantes pour répondre à l’évolution des besoins. Le mouvement de convergence entre sanitaire et médico-social ne s’est jamais vraiment effectué. Notre système de santé est organisé en silos. L’architecture en différentes enveloppes soutient la séparation entre sanitaire et médico-sociale. Les tentatives de décloisonnement restent au stade expérimental et peinent à émerger comme des modèles de pratique plus interdépendantes des différents intervenants et composantes du système de santé. La pérennisation de notre modèle de soins dépendra aussi de notre capacité à sortir du Yalta historique qui sépare soins et médico-social.
Des choix clairs pour se projeter dans l'avenir
Cet absence de choix clairs conduit à des réformes inachevées dont le résultat est un système de régulation aux objectifs multiples et parfois contradictoires et aux instruments surabondants et en partie inadaptés. Aujourd’hui, usagers comme professionnels de santé payent cette incurie des moyens et des décisions qui n’ont pas été prises face à ces évolutions. Il faut resserrer les objectifs autour de 4 ou 5 axes pour éviter la dispersion. Dans un contexte de budget contraint et devant une fragilisation d’une partie de la population, l’enjeu n’est pas de faire un nouveau big bang de notre système de santé mais de s’accorder collectivement et de manière transparente sur la direction que l’on souhaite donner à notre système de santé. Abandonner l’idée de maintenir une offre en proximité ne peut se faire qu’en constituant des nouvelles lignes de prise en charge soucieuse de l’exigence première d’égalité. Recentrer l’hôpital comme un instrument de 3éme recours demande une approche volontariste pour que la ville joue enfin son rôle dans rôle de prise en charge des soins primaires et secondaires. Enfin, il faut renforcer notre capacité d’anticipation du système de soins de demain pour nous projeter dans ce que sera la démographie médicale à venir et modèles de prises en charge qui en découleront. Cette vision prospective est également nécessaire du côté des attentes et des besoins de la population. Quelles réponses donner à l’afflux de maladies chroniques et de personnes âgées dépendantes qui composeront l’essentiel des besoins de santé de demain ?
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