Contributivité vs redistribution : quels objectifs pour le futur système de retraite?
- Lorenzo Lanteri
- 20 mars 2018
- 6 min de lecture
Passer à un régime par points conduirait à modifier les règles de calculs et, de ce fait, à remettre en question un pan de la redistribution intragénérationnelle opérée par le système de retraite actuel. Il faudrait de plus définir des dispositifs de solidarité adaptés à la logique des régimes en points et en comptes notionnels. La transition vers un nouveau régime peut être l'occasion de redessiner la frontière entre redistribution et contributivité tout en préservant les éléments de solidarité.
Contributivité et redistribution: de quoi parle-ton?
Les deux objectifs du système de retraite français allient contributivité et solidarité (intergénérationnelle). La contributivité se définit comme la relation entre les pensions et les cotisations. L’idée c’est que toute cotisation supplémentaire engendre un droit supplémentaire. Un système est défini comme purement contributif si le rendement des cotisations est identique pour tous les assurés d’une même génération.
La notion de redistribution renvoie, quant à elle, à un écart par rapport à cette proportionnalité entre les pensions et les salaires perçus au cours de la carrière. La notion de solidarité se caractérise également par le sens dans lequel cette redistribution s’opère, ascendantes, descendantes, les publics visés et les objectifs qui lui sont impartis.
Les modes de calculs de notre système de retraite notamment, la règle des annuités s’écarte plus ou moins d’une forme de « contributivité pure ». En effet, les règles d’acquisitions des droits à la retraite et de calcul des pensions opèrent sans le vouloir des redistributions entre assurés.
Yves Guégano[1] parle alors de « redistribution implicite » dans la mesure où celle-ci n’avait pas été intentionnellement prévue. Les résultats des études de ces mécanismes à l’œuvre dans le cœur de notre système de retraite montrent que s’il y’a bien redistribution, celle-ci ne bénéficie pas forcément aux plus défavorisés. En effet, les personnes connaissant des faibles durées de carrière ou de niveau de salaire sont en partie pénalisées par ces règles d’acquisition de droit.
Occasion pour nous de nous pencher sur ces mécanismes de redistribution « cachés » ou « affichés » et d’établir leurs modalités de perfectionnement à l’aune d’un éventuel passage vers un système de retraite universelle.
Les mécanismes de redistribution "cachés" et leurs effets
Plusieurs mécanismes opérant une redistribution implicite sont à l’œuvre dans le cœur du système français de retraite
La formule de calcul de la durée validée dans les régimes de base français en annuités est non-linéaire et s’écarte donc d’une logique de « contributivité pure ». Par exemple, la règle des 150 SMIC horaires pour valider un trimestre au titre des droits à retraite au régime général ne correspond pas à la durée effectivement travaillée et constitue une forme de redistribution. Le système est donc favorable aux faibles salaires, mais il l’est moins pour les salaires encore plus faibles. En effet, les véritables perdants sont ceux qui se situent en dessous du seuil de 150 smic horaires. Un système plus contributif comme les régimes par points aurait pris en compte cette rémunération aussi faible soit-elle dans le calcul de la retraite.
En outre, le barème du taux de liquidation est fonction à la fois de l’âge de liquidation et de la durée d’assurance tous régimes ce qui l’écarte d’un régime purement contributif.
Enfin, le salaire ou revenu d’activité de référence dans les régimes de base n’est pas calculé sur l’ensemble de la carrière. Il ne retient ainsi que les 25 meilleures années (sous le plafond de la sécurité sociale). Cette règle de calcul du salaire de référence en plus de s’éloigner du principe de contributivité pure, opère des effets redistributifs importants au sein du système. En effet, le calcul du salaire de référence fonctionne bien pour les carrières ascendantes mais également heurtées. En revanche, il a un effet anti-redistributif pour les petits salaires.
Il sera donc important de veiller à ce que la règle de calcul qui sera instaurée dans le nouveau régime continue de jouer en faveur des carrières heurtées tout en éliminant les effets anti-redistributifs sur les petits salaires.
Enfin, l’effet de superposition base et complémentaire dans le secteur privé induits également des redistributions qui varient énormément selon le statut de cadres et non-cadres. Cette distinction sera amenée à disparaitre dans le futur régime de retraite au regard des évolutions du marché du travail et de la disparition de cette séparation dans les régimes complémentaires.
Des mécanismes de solidarité perfectibles
Il existe en dehors du « cœur de système » des mécanismes de redistribution explicite dont le but affiché est de corriger les inégalités de revenus entre retraités ou les distorsions du marché du travail. Bien que les mécanismes de solidarité ou de redistributions explicites aillent évidemment dans le sens d’une nette réduction des inégalités, certaines règles de ces dispositifs peuvent poser question et seront sans doute amenées à être modifiées dans le futur régime.
Les régimes de base du secteur privé assimilent certaines périodes d’inactivité à des périodes de cotisation en cas notamment de maladie, maternité et d’accident du travail, d’invalidité, de chômage. Pour ces périodes assimilées (PA), des trimestres sont alors validés dans la limite de quatre par année civile, sans qu’un salaire soit reporté au compte de l’assuré. L’interaction des mécanismes de solidarité avec les règles de calcul des pensions peut produire des effets indésirables. Par exemple, les périodes assimilées au titre du chômage interagissent avec les modalités de calcul du salaire de référence au régime général, les fameuses « 25 meilleures années) » prise en compte dans le calcul de la retraite. si bien que la compensation du chômage est plus ou moins élevé selon que la période de chômage se situe ou non parmi les 25 meilleures années dans le calcul final de la retraite.
Les mécanismes de droits familiaux retraites sont en effet perfectibles. Le nouveau système de retraite devrait conduire à réinterroger la question de l'adéquation des droits familiaux aux objectifs poursuivi.
La bonification pour 3 enfants profite aux femmes comme aux hommes qu’elle favorise encore plus compte tenu de son caractère proportionnel (et non forfaitaire). En effet, cette bonification prend la forme d’une majoration de pension de 10% accordée à tous les parents de 3 enfants. Elle est favorable aux pensions les plus élevées, en ce qu’elle est proportionnelle à la pension d’abord et donc plus importante pour les pensions élevées). Elle contribue à accroître les écarts de pension entre hommes et femmes, puisque les hommes ont en moyenne, avant cette majoration, une pension déjà plus élevée. Cet avantage familiaux joue donc en quelques sortes un rôle anti-redistributif dans notre système de retraite.
Nos mécanismes de solidarité accordent également des trimestres de durée d’assurance (MDA), pour chaque enfant, principalement aux femmes, au titre de l’incidence sur la carrière de l’accouchement et de l’éducation. Cet avantage familiaux, par le jeu de la décote et de la proratisation, à ce que la MDA soit proportionnelle au montant de la pension de base : en valeur absolue, l’avantage monétaire lié à la MDA est donc supérieur pour les assurés à pension élevée.
Dans le cadre de la future réforme, il pourrait être envisagé de réformer en profondeur notre système de droits familiaux. Il serait envisageable de construire un système nouveau visant d’une part à compenser la réduction ou l’interruption d’activité (même courte) et, d’autre part, à compenser l’écart de pension et donc de salaire au cours de la vie active entre les hommes et les femmes.
Préserver le voile d’ignorance entre contributivité et redistribution
Il faut avoir conscience que notre système actuel, bien que parfois décrié opère une ingénieuse redistribution. Au total, il y a moins d’inégalités de pension que d’inégalités de salaires est ce résultat est dû aux nombreux dispositifs de solidarité existants pour pallier aux interruptions de carrières. Néanmoins, comme nous l’avons vu, le système reste partiellement imparfait dans la mesure où il accroit parfois les pensions élevées et crée des effets de seuil, pour les très faibles salaires.
L’annonce faite lors de la campagne présidentielle « d’un euro cotisé donne les mêmes droits » préfigure l’avènement d’un système plus contributif qu’il ne l’est actuellement. Tout ce qui relèvera de la solidarité sera par conséquent en dehors du système de retraite. Cela impliquera donc un financement externe qui sera sans doute assis sur la solidarité nationale, soit l’impôt.
On peut légitimement s’interroger sur l’opportunité d’un système de retraite qui mettrait en exergue la solidarité nationale car elle ne serait plus cachée à l’intérieur même des mécanismes propre à ce système. Rendre explicitement visible la solidarité peut nuire à sa pérennisation dans la mesure où certains de nos concitoyens cesseraient de vouloir compenser les différences des autres. Autrement dit, opposer redistribution et contributivité revient à déchirer toujours un peu plus le voile d’ignorance nécessaire à la cohésion d’une société.
[1] Yves Guégano, Les redistribution opérées par le systéme de retraite à deux étages (base et complémentaires), Revue regards EN3S N°49 juin 2016
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