Maisons de retraite pourquoi le système est-il au bord de l'implosion?
- Lorenzo Lanteri
- 30 janv. 2018
- 6 min de lecture

La mobilisation de ce mardi 30 janvier des personnels des maisons de retraite est une première mais ne constitue pas une surprise. Voici des années que les personnels des EHPAD, (établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes), terme technocratique et impersonnel qui a remplacé l’expression de « maison de retraite », alertent sur la dégradation de leurs conditions de travail et les répercussions logiques qui en découlent sur l’accompagnement des résidents.
«Je bâcle et agis comme un robot » témoigne au journal le Monde, Mathilde Basset infirmière de25 ans, seule en poste pour 99 résidents dans un EHPAD dans l’Ardèche. Dans le quotidien libération du lundi 29 janvier, on peut lire ce témoignage d’une jeune infirmière « je presse les résidents pour finir péniblement à 10h15 ma distribution de médicament, je suis stressée donc stressante, et à mon sens maltraitante ».
Sur les réseaux sociaux, le hashtag balance ton EHPAD se fait l’écho d’un monde professionnel très déstabilisé par l’absence de moyens et d’un système à bout de souffle qui a perdu le sens de ses missions.
Depuis trop longtemps des études démontrent que ce sont les professionnels du monde de la santé qui sont le plus « usés » au moment de partir en retraite, ils ont pris la place des professionnels du bâtiment en termes de détérioration de santé.
Il est reconnu que les services prenant en charge les personnes âgées sont les plus difficiles physiquement et parmi les plus éreintants psychologiquement.
Le deuxième volet de la loi sur l'adaptation de la société au vieillissement, qui devait traiter notamment des établissements a été ajourné « à des jours meilleurs ». Bien évidemment, tous les acteurs du secteur n’avaient, à l’époque, pu que déplorer les reports successifs de ce dossier. La grande réforme sur la perte d’autonomie était dès sa naissance marquée du sceau de l'incomplétude dans la mesure où elle n'a focalisé ses efforts que sur l’aide à domicile en ajournant la question des personnes en établissement. La loi "d'adaptation de la société au vieillissement" n’a, ainsi, fait que repousser l'implosion de la cocotte-minute qui couvait depuis un certain nombre d’années.
Cette mobilisation doit être l’occasion ou jamais de se pencher sur la question des « maisons de retraite » et cela implique absolument de se pencher sur deux grandes problématiques :
- Celle des personnes âgées et de leurs familles: défendre pour elles une de qualité de vie en institution.
- Celle des professionnels : la nécessité de respecter les qualifications, de mettre en place une organisation du travail qui respecte une harmonie entre vie privée et vie professionnelle.
La problématique des personnes âgées en institution
La France manque de structures d’accueil des personnes dépendantes. Le secteur public et le secteur associatif, qui représentent actuellement les ¾ de l’offre n’arrivent plus à financer les investissements nécessaires. Les groupes privés qui connaissent déjà, un taux d’occupation de leurs établissements d’environ 95% captent l’essentiel de la demande d’hébergement des personnes qui peuvent se les offrir, créant ainsi, un système à deux vitesses dans l’accompagnement des derniers moments avant l'extinction de la vie.
Même les établissements privés sont tenus à un cahier des charges minimum (service minimal hôtelier) pour acquérir le statut d’EHPAD cantonnant ces lieux à des antichambres de la mort. Dans le but de préserver, une égalité minimum de traitement, il faudrait proposer une augmentation du cahier des charges des EHPAD privés (commercial) et public qui inclurait un panier de services obligatoires allant du coiffeur à des activités hebdomadaires de gymnastiques etc.
Ces résidents que l’on n’écoute plus sont placés dans ces établissements rarement de leur plein gré et vivent cette situation comme un emprisonnement. Il faut développer des environnements intérieurs et extérieurs agréables et motivants. La vie d’un résident ne doit pas être cloisonnée. Leur donner de quoi « nourrir » leurs journées est capital. A cet égard, il faut repenser certaines normes d’habitation.
Ainsi, il faut développer des espaces communs à l’intérieur des maisons de retraite mais aussi en plein air (jardins thérapeutique etc.).
La problématique des personnels
Il faut revoir en profondeur les conditions de travail pour redonner du sens à l’engagement des personnels.
Les plannings doivent être organisés en toute transparence sur la base des négociations des 35 heures et la charge de travail doit être répartie en concertation avec les professionnels. Les plannings doivent être respectés afin de préserver les repos et l’harmonisation entre vie au travail et vie privée.
Les temps de pause sont très importants, ils sont indispensables à l’équilibre physique et psychologique des professionnels et donc à la qualité de la prise en charge des personnes âgées mais, trop souvent non pris en compte dans l’organisation de travail, ils ne peuvent être respectés.
La prise en compte des risques à travers le compte professionnel de prévention devrait être étendue au personnel soignant en EHPAD au titre des facteurs suivants : Le travail de nuit et le travail en équipe successive alternante.
Préserver la santé des personnels est un droit fondamental dont la responsabilité incombe à l’employeur. Trop longtemps les services départementaux ont fait l’amalgame entre la maltraitance intentionnelle et les maltraitances issues des restrictions financières ne permettant pas aux personnels de répondre à la qualité et à la bientraitance recherchée envers les personnes âgées.
La formation doit, elle aussi, être au cœur d’un futur pacte républicain avec les maisons de retraite. La formation promotionnelle qualifiante est un des éléments moteurs de motivation pour les personnels. Cependant, elle est trop souvent mise de côté faute de financement concernant le remplacement des professionnels en formation. Il est nécessaire de constituer un véritable fonds de réserve promotionnelle pour les aides-soignants en établissement.
La formation continue doit être entretenue voire développée afin de maintenir un haut niveau de compétences professionnelles y compris dans les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD).
Pour les petites structures, les déroulements de carrière doivent être soutenus car faute de financements adaptés ils sont bloqués en particulier pour les services administratifs et techniques. Pour exemple, les emplois d’avenir qui avaient été créé auraient du pouvoir s’inscrire dans la durée avec à terme des emplois à part entière.
Repenser l'organisation des EHPAD
Enfin, c’est également l’organisation interne des EHPAD qu’il faut revoir, la question cruciale de la qualité du personnel en EHPAD constitue également un point de négociation. Le manque de cadres infirmiers est à l’origine des difficultés organisationnelles rencontrées au sein des EHPAD. Le personnel de ces établissements est essentiellement composé d’Infirmières Coordinatrices qui se retrouvent rapidement débordées par la technicité et la polyvalence des interventions. Les Infirmières Coordinatrices, dont la charge est lourde, n’ont toujours pas de reconnaissance véritable. Elles assurent des fonctions de cadre, mais n’en ont pas le statut. Elles sont tenues d’être les garantes de la qualité des soins et de l’accompagnement de la personne âgée dépendante, gérer le matériel, gérer les plannings, promouvoir des relations de qualité avec les familles et les intervenants extérieurs.
Les EHPAD les plus isolés sont les établissements les plus vulnérables alors que les établissements qui fonctionnent le mieux sont ceux rattachés à une chaîne gériatrique. Les EHPAD ne peuvent pas être poly-experts, ils sont un maillons incontournable dans la chaîne des soins -il faut donc veiller à les rattacher systématiquement aux hôpitaux.
En ce qui concerne le secteur public, il faut également repenser la direction des EHPAD, la situation actuelle, donne tout pouvoir au directeur qui agit seul en tant que gestionnaire. Sa mission principale est d’assurer la sécurité économique de son établissement.
Il faut favoriser les directions communes entre le « gestionnaire-comptable » et les médecins coordinateurs.
Enfin, pour l'avenir, il faudra penser à des formes de logement alternatives au domicile et à la maison de retraite. Le développement de véritable « résidence plate-forme de quartier » peut y contribuer. Ces résidences seraient positionnées en-deçà de l'EHPAD mais au-delà du logement-foyer.
Elles mêleraient hébergement, aide à domicile, consultations mémoire, point d'information, restauration et animation pour l'ensemble des seniors d'un quartier.
"La dépendance mérite mieux qu'une politique de bricolage"
Malgré le fait que la dépendance des personnes âgées fasse l’objet d’une large reconnaissance sociale, les politiques publiques à destination de nos aînés se sont toutefois traduites par une superposition de prestations et d’institutions aux logiques diverses, conduisant à un ensemble encore non stabilisé et pour partie inabouti. C’est cette situation de "bricolage" que les professionnels du secteur subissent aujourd’hui et qui les conduit à se mobiliser. Espérons que le message soit entendu et ne débouche pas sur une énième enveloppe financière pour faire office de colmatage.
Cette refondation de la prise en charge en établissement du grand âge nous concerne tous, jeunes comme vieux. Comme l'écrivait Dino Buzzati dans le « K », « Le vieux a été jeune, et le jeune a de grandes chances de devenir vieux. De sorte qu’une lutte des âges reviendrait à une lutte contre soi-même ».
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