Retraite : quel est le « modèle suédois » auquel se réfère Emmanuel Macron ?
- Lorenzo lanteri
- 22 nov. 2017
- 8 min de lecture
Les modalités techniques actuelles de calcul des pensions (régimes en annuités) dans les régimes de base pourraient dans la réforme voulue par le Président de la République être remplacées par la méthode des comptes notionnels. Ce modèle a été mis en place en Suède au cours des années 90, quand le pays s'est attelé à transformer en profondeur son Etat-providence.
La Suède a transformé en profondeur son système de retraite public par une réforme votée en 1994 après près de 3 années de débats. On parle de réforme systémique alors qu’en France et Allemagne les modifications périodiquement apportées (1993,2003 notamment) sont des réformes dites paramétriques.
La réforme poursuivait un double objectif : obtenir un équilibre financier absolu et établir une meilleure transparence de la situation financière de chaque assuré ainsi que de la situation globale du système.
Le système de retraites suédois est présenté comme un exemple à suivre par plusieurs organisations internationales et plusieurs pays s’en sont ouvertement inspirés (Italie, Pologne, Lettonie, Roumanie…)
Clé de voûte du nouveau système de retraite Suédois, les comptes notionnels ne correspondent toutefois qu’à une partie de la réforme. D’autres éléments ont accompagné l’introduction de ce dispositif et notamment « l’enveloppe orange » mentionnant le montant cotisé par l’assuré, son employeur et l’Etat ainsi que « rapport orange » sur l’équilibre financier du système de retraite.
A noter également que le régime contributif en comptes notionnels ne constitue que l’un des trois étages du système de retraite public suédois. Le modèle de financement qui demeure est celui de la répartition. (Comme en France, les actifs aujourd’hui financent les pensions aujourd’hui).
Le système suédois comporte un deuxième élément de retraite par capitalisation. Chaque assuré détient un compte individuel d’épargne retraite en capitalisation. Ce régime à la particularité d'être public et obligatoire. Il s'agit d'une d'une d’expérience assez singulière dans a mesure ce régime collectif par capitalisation est géré par une interface public le nationales originales, que ce soit par l’organisation du marché de l’épargne retraite, avec une interface publique, la Premium Pension Authority (PPM).
Les régime par capitalisation et celui par comptes notionnels sont complétés d’un troisième dispositif qui consiste en une pension minimum garantie. La personne dont la pension totale est inférieure à ce minimum bénéficie de cette prestation différentielle financée par l’impôt.
Enfin, les pensions de veuvage et d’invalidité ont été remplacées par des régimes distincts.
Le régime des comptes notionnels est conçu de telle sorte que :
- le taux de cotisation est stabilisé (système à cotisations définies et fixes de 16% du salaire plafonné)
- le montant des retraites au fil des générations prend en compte les gains d’espérance de vie
- un mécanisme correcteur automatique permet d’ajuster la masse des prestations à celle des cotisations
Les comptes notionnels pendant la vie active
Chaque assuré est titulaire d’un compte individuel où sont créditées annuellement ses cotisations retraite (salariales et patronales). En plus des périodes d’activité professionnelle, certaines périodes pendant lesquelles l’assuré ne cotise pas donnent lieu à augmentation de ce capital par le biais d’un versement de cotisations par l’Etat. La somme des cotisations inscrites en compte est revalorisée annuellement.
Quelle est l’assiette des cotisations retenue ?
L’assiette des cotisations est extensive puisqu’elle comprend toutes catégories de ressources qui concourent au niveau de vie de l’individu. Deux types d’assiette sont distingués :
- les revenus permettant d’acquérir directement des droits car ils donnent lieu à cotisation : salaires, revenus activité non salariée, aides perçues lors des études, prestations maladie, chômage, familiales, invalidité
- le revenu dit notionnel qui n’a pas été effectivement perçu mais qui permet tout de même d’augmenter le capital virtuel. Concrètement pour certaines périodes telles que les années de l’éducation du jeune enfant, les périodes de service national, les périodes d’invalidité, un revenu sensé représenter le niveau de vie du bénéficiaire est reconstituer. Les cotisations (16%) appliqués à ce revenu fictif sont créditées au compte individuel et prise en charge par le budget de l’Etat
Quelle est la durée d’assurance retenue ?
> Toute la carrière est prise en compte
> Il n’y a pas d’âge légal de retraite
> L’âge minimal de liquidation des droits est 61 ans
En conséquence, le niveau de la pension résulte de l’effort de cotisation réalisé tout au long de la vie et non plus pour une fraction de la carrière professionnelle (en France on prend les 25 meilleures années). Plus la carrière professionnelle est longue, plus important est le capital virtuel de cotisation à partir duquel est calculé le montant de la pension. Il n’y a pas parallèlement d’âge légal de départ à la retraite.
Ce choix est censé fournir des incitations fortes pour que les salariés prolongent spontanément leur activité sans passer par des mesures légales de recul de l’âge de départ. Seul un âge minimal de liquidation des droits a été retenu et fixé à 61 ans pour la pension liée à la rémunération (premier étage : « premium pension »). Au delà le départ à la retraite est flexible. En revanche, La liquidation du droit à une retraite garantie (troisième étage –minimum vieillesse) est possible à partir de 65 ans. La retraite garantie maximum est acquise après 40 années de résidence ; pour des durées plus courtes, elle est réduite au prorata.
Comment est revalorisé le « capital » virtuel ?
L'index de revalorisation du capital virtuel est appliqué annuellement. Il est revalorisé chaque année selon un indice égal à la moyenne des trois dernières années du taux de croissance du revenu réel moyen par tête auquel on ajoute le taux d’inflation des douze derniers mois.
Les comptes notionnels au moment de la retraite
Lors de la liquidation de la retraite, la somme inscrite au compte ou le capital virtuel qui représente la somme des cotisations de toutes les années de carrière, augmentée des revalorisations, est convertie en pension.
Quel est la formule de calcul pour la liquidation ?
Le montant du capital virtuel se voit appliquer un coefficient de conversion (en pension annuelle) qui intègre l’espérance de vie ainsi qu’une norme de rendement qui correspond en Suède au revenu moyen par tête attendu
Le capital formé au moment de la retraite se voit appliquer un coefficient qui tient compte de l’espérance de vie de la cohorte à laquelle appartient le nouveau retraité. Concrètement, pour une même génération et à capital égal, un individu qui part plus tard qu’un autre à la retraite, disposera d’une pension annuelle plus élevée car la durée de sa retraite sera théoriquement plus courte.
La formule de calcul intègre également une norme de rendement. La réforme suédoise a tablé sur un taux de croissance attendu du revenu moyen par tête à 1.6% et a ainsi retenu cette norme de rendement. Concrètement cela signifie que le montant de la pension fixé au moment de la liquidation intègre dès le départ une revalorisation de 1.6 % .et que les retraités reçoivent par avance une part de la croissance future.
Comment s’applique la revalorisation des pensions chaque année ?
La revalorisation se fait par l’intermédiaire d’un index qui intègre le taux de croissance de salaire moyen par tête constaté.
Le taux de revalorisation des pensions au cours de la période de retraite est égal au taux d’inflation augmenté de l ‘écart entre le taux de croissance observé du salaire réel moyen par tête et d’autre part le taux de croissance attendu de ce salaire réel moyen par tête fixé à 1.6 % en Suède.
Concrètement cela signifie que les pensions ne bénéficient de gain de pouvoir d’achat qu’à la condition que le taux de croissance réelle du revenu par tête soit supérieur à la norme de 1.6%.
Dans le cas contraire, les pensions enregistreront des pertes de pouvoir d’achat (revalorisation inférieure à l’inflation)
Les pensions sont donc indexées sur l’inflation en moyenne, mais peuvent évoluer plus ou moins vite que cette dernière.
Les suédois ont donc choisi un taux de revalorisation plutôt faible fondé sur une inflation moyenne avec un montant élevé de pensions liquidé ce qui a pour conséquence de favoriser les personnes ayant des espérances de vie plus faibles.
Index = taux d’inflation + (taux de croissance réelle – 1.6 %). Si taux de croissance réelle est inférieur à 1.6 %, l’index est inférieur à l’inflation puisque la somme additionnée est négative.
Le mécanisme de correcteur automatique
un mécanisme de correction automatique de la revalorisation annuelle du capital virtuel et de la pension annuelle de retraite est prévu en cas de perspective de déséquilibre financier du système
La réforme du système de retraite a été conçue pour que l’équilibre financier du système soit réalisé à l’avenir à taux de cotisation inchangé.
Deux facteurs sont susceptibles d’entraîner un déséquilibre du système financièrement.
a) La norme de rendement retenu pour les calculs de pension peut être inférieure au taux de croissance de la masse salariale.
b) Les gains d’espérance de vie qui interviennent dans le coefficient de conversion peuvent avoir été sous évalués
En conséquence, un mécanisme dit « correcteur automatique » instauré en 2001 en Suède permet de prévenir les déséquilibres à long terme. Ainsi lorsque le ratio d’équilibre défini comme le rapport entre l’actif et le passif du régime est inférieur à 1, cela signifie qu’il y a un risque que les ressources du régime s’avèrent insuffisantes pour honorer les engagements du système.
Dans cette hypothèse, le taux de revalorisation du capital virtuel et des pensions est ajusté de telle sorte que le régime financièrement soutenable.
Le corollaire de cette restauration de l’équilibre financier du régime est qu’elle représente un risque social inhérent puisque le pouvoir d’achat des pensions peut durablement baisser.
Il est à noter qu’en Italie, la norme de rendement intégrée à la formule de calcul est un taux de croissance de PIB prévisible de 1.5 %. Aucun mécanisme correcteur n’a été prévu, d’où un risque économique d’accumuler des déficits à terme.
Quel bilan?
Le nouveau régime a permis de limiter de manière importante la hausse des dépenses de retraite, elle ne devrait croître que de 1 point de PIB à l’horizon 2050, ce qui est relativement faible au regard du vieillissement de la population suédoise. Les pensions sont globalement élevées, l’emploi de seniors a été en constante augmentation.
La Suède, qui avait été fortement impactée par la crise de 2008, a dû recourir au mécanisme du coefficient d’équilibre car les charges dépassaient de loin les ressources dans les projections à long terme. Les retraités suédois ont donc vu la valeur nominale de leurs pensions baisser en 2010, 2011 et à nouveau en 2014.
Les pensions auraient même dû baisser de 4,5% pour l’année 2011 mais le Parlement Suédois a introduit un mécanisme de lissage de la valeur du fonds de réserve sur les trois dernières années qui a conduit à atténuer la baisse des pensions ( 3% au lieu de 4,5%).
Beaucoup d’observateurs se demandaient quelles seraient les réactions des assurés suédois dans une phase conjoncturelle moins favorable qui conduirait à une dévalorisation des pensions. Dans l'ensemble, les suédois n'ont pas remis en cause le modèle des comptes notionnels dans les enquêtes d'opinion sur le sujet.
La raison? Les effets de la baisse des pensions ont été atténués par l’existence de la pension garantie (troisième étage) qui a fait office de bouclier pour les assurés aux plus faibles niveau de retraite.
Dans le même temps, le gouvernement suédois a introduit des mesures fiscales en faveur des retraités pour modifier l’effet net des réductions des pensions.
Peut-on transposer le modèle?
La France a transposé une partie du modèle suédois notamment sur le plan de l’information, elle possède également un régime AGIRC-ARRCO par point au niveau du deuxième étages des salariés du privé. A l'instar, des comptes notionnels ce régime est plus contributif que le régime de base car il prend en compte l'ensemble de la carrière.
Même si on observe une convergence des règles entre les différents régimes de retraite, le chemin reste long pour aboutir à un modèle de retraite universelle comme en Suède. La France est encore trop caractérisée par l'extrême hétérogénéité de son modèle de retraite : les taux de cotisations sont dispersés, les règles de calculs et le périmètre des droits non-contributifs varient selon les régimes.
Enfin, à l'aune de la future réforme une question se pose: celle de la méthode choisie pour équilibrer les retraites. La Réforme à venir choisira-t-elle à l’instar du modèle suédois des stabilisateurs automatiques pour réguler le système ou fera-t-elle confiance à la capacité des acteurs (Etat-partenaires sociaux) à ajuster humainement les paramètres en cas de difficultés conjoncturelles ?



Commentaires