Les premiers feux du gouvernement en matière de sécurité sociale
- Lorenzo lanteri
- 5 oct. 2017
- 8 min de lecture

La ministre des Solidarités et de la Santé, Agnés Buzin et le ministre de l’Action et des comptes publics Gérald Darmanin ont présenté vendredi dernier le contenu du Projet de loi de financement de la sécurité (PLFSS) pour 2018.
Pour les deux ministres ce premier PLFSS doit incarner l’esprit de « solidarité et de transformation » du projet présidentiel en redonnant du pouvoir d’achat dans une trajectoire de modération de la dépense publique. Occasion pour nous de se pencher sur les mesures et de vérifier si les injonctions contradictoires assignées à ce PLFSS sont tenables.
Avec un déficit porté à 4.4 milliards d’euros, les chiffres communiqués indiquent que même si l’horizon d’un rétablissement des comptes de la Sécurité Sociale est à portée de main l'équilibre n’est pas encore atteint.
La bascule CSG -cotisation la mesure phare du PLFSS
La mesure phare de ce texte concerne le volet recettes puisqu’il réside en la conversion de points de cotisations en points de Contribution Sociale Généralisée (CSG). Le PLFSS propose de revoir le mode de financement de notre protection sociale, au travers d'un transfert des cotisations salariales, maladie et chômage, vers 1,7 point de CSG. Sans coût supplémentaire pour l'employeur, elle permet d'abord d'augmenter le salaire net de tous les salariés.
Ce n'est d'ailleurs pas la première fois que cette piste est évoquée. Ces changements sont l’aboutissement d’un processus à l’œuvre depuis de longues années et qui a débuté avec la création de la couverture maladie universelle en 1999. Le PLFSS souhaite ainsi aller au bout de la logique de Michel Rocard, inventeur de la CSG qui consistait à universaliser et étatiser l'assurance maladie et l'assurance chômage en les fiscalisant.
Nous passons en effet d’une protection sociale pensée sur des bases professionnelles à une protection sociale sur des bases universelles. La logique sous-jacente étant que l'emploi, devenu plus rare et plus volatil, ne peut plus rester le principal contributeur de notre modèle social. Il n’y a donc pas d’obstacle à élargir à tous la contribution au plus grand nombre la contribution à des risques dont tout le monde bénéficie à l'identique (frais de santé, famille).
La CSG apparait donc comme l'outil le plus légitime pour prendre en compte les parcours de vie en dehors du travail salarié et financer durablement et efficacement notre système de protection sociale.
Ce transfert des cotisations salariales, maladie et chômage n'est pas si neutre pour les fiances publiques du fait des nombreuses compensations attendues pour les catégorie de personnes qui verront la CSG augmentée sans allègements de cotisation.
Ces dispositifs de compensation liés à la hausse de la CSG à venir pour les indépendants, les retraités, les français de l'étranger et les fonctionnaires font peser de sérieuses incertitudes sur le rétablissement des comptes sociaux.
En plus des nombreuses baisse de prélèvements sociaux accordés aux indépendants, le plafond de chiffre d'affaires en dessous duquel s'applique le régime social simplifié va doubler. Le doublement du plafond risque de tirer vers le bas les standards sociaux et fiscaux appliqués à l’ensemble du tissu des entreprises artisanales de ce pays.
Cette extension du statut d’auto-entrepreneur va de plus aggraver les dérives déjà induites dans de nombreux secteurs par ce régime, utilisé de manière totalement incontrôlée par les entreprises pour obliger les personnes qui travaillent pour elles à se déclarer comme auto-entrepreneurs au lieu de devoir les embaucher comme des salariés classiques.
Et cela alors qu’actuellement le régime social des indépendants creuse son besoin de financement. En termes d’objectif de rééquilibrage des comptes sociaux, on est en droit d’émettre de sérieuses réserves.
Maladie : la continuité dans le changement
Concernant l’Assurance-Maladie, certes le déficit se réduit à 3,6 milliards d’euros, mais cette résorption provient au trois quart de l’affectation d’une recette non-pérenne. Il faut espérer que ce PLFSS ne comporte pas de nouveaux biais de construction et de présentation. Ces éléments d’insincérité nuisent à la crédibilité des efforts de la branche. En effet, depuis 2010, l’ONDAM est respecté et ce dans contexte de resserrement progressif.
La Ministre des Solidarités et de la Santé, a annoncé vouloir prendre le virage de la prévention. Beaucoup de professionnels du secteur sont devenus dubitatifs sur les grands effets d’annonce, les expressions « soigner mieux avec beaucoup moins d’argent » et « plus de prévention » n'ont rarement débouché sur une politique digne de cette ambition.
Une véritable politique de promotion de la santé ne se réduit pas à la hausse des prix du tabac, d'autant plus que la prévalence du tabagisme est la plus élevée chez les inactifs et les chômeurs. En effet, on observe un accroissement sensible des taux de fumeurs dans les catégories sociales les moins favorisées alors que la baisse est largement amorcée dans les groupes sociaux les plus favorisés. Il aurait été plus opportun de déployer des politiques ciblées à destination de ces populations plutôt qu’une hausse générale des prix du tabac qui risque d’accentuer les inégalités sociales de santé.
La réforme qui consiste à passer de 3 à 11 vaccins obligatoires est bienvenue dans la mesure où l'on assistait depuis un certain nombre d'années à une résurgence de maladies infantiles. Néanmoins, cette extension de la vaccination obligatoire ne suffira pas à assurer le virage préventif que notre pays attends depuis longtemps. Une prévention efficace ne se réduit aucunement à la pratique isolée et spontanée d’actes considérés comme de nature préventive (vaccination, dépistage, conseils hygiéno-diététiques...). Seuls des programmes de prévention planifiés, aux objectifs explicites, contrôlés tout au long de leur réalisation et évalués en permanence, peuvent prétendre à une véritable efficacité.
Le PLFSS 2018 prévoit la hausse du forfait journalier hospitalier de 18 à 20€ par jour. Si Madame la ministre de la santé a justifié cette mesure par le rattrapage de l’inflation depuis 2010, (année de la dernière revalorisation de ce forfait), elle devrait se traduire par une charge supplémentaire de 200 millions d’euros pour les complémentaires santés. Le gouvernement le répète ce transfert de charge n’aura pas de conséquence pour l’assuré en termes de hausse de cotisations car les mutuelles ont encore des marges de manœuvres. On peut cependant en douter, dans un contexte où les complémentaires santé vont devoir absorber, les augmentations tarifaires de la nouvelle convention médicale et la taxe pour financer le forfait patientèle médecin traitant.
En ce qui concerne les produits de santé, ce PLFSS prolonge ces prédécesseurs en matière d’accès de tous au progrès médical et notamment aux innovations thérapeutiques. Il est en effet nécessaire de maîtriser le prix de certains médicaments pour réaliser des économies sur le coût des prescriptions. Cependant il n’est pas certains que les économies découlant de la pertinence des soins suffisent pour faire face à l’accroissement des prestations dû pour l’essentiel à l’allongement de la durée de la vie et au progrès médical.
Ces dernières années, les gisements d’économies dans le cadre de la maîtrise médicalisée se sont épuisés. Pour gagner encore en efficience, il faut lever les obstacles à la coopération entre acteurs et enfin aller vers de nouveaux modes de prise en charge. Ce PLFSS crée justement un fonds dédié aux innovations organisationnelles pour déverrouiller les d’expérimentation de nouveaux dispositifs de paiement aux parcours de soins. Il s’agit de mettre en place des forfaits couvrant à la fois les frais hospitaliers et les soins de ville en intégrant des objectifs de qualité. Néanmoins, l’élaboration de ce cadre juridique devra être au plus proche des acteurs de terrain. Les décrets réglementaires ne devront pas fixer un cadre national qui écrase l’émergence de structures locales et génère le plus souvent des coquilles vides.
Le PLFSS 2018 prévoit d’inscrire des actes de télémédecine dans le droit commun. Beaucoup d’acteurs du secteur considèrent le modèle économique de la télémédecine comme un moyen de mieux recomposer l’offre de soins et d’améliorer la qualité de la prise en charge des patients. Les récentes expérimentations de téléconsultations dans les Etablissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) semblent confirmer les espoirs placés dans ce nouveau modèle.
Le Président de la République pendant sa campagne s’était donné pour ambition de solutionner la question du reste-à-charge dans le secteur dentaire, véritable angle mort de notre système de soins. A cet égard, on peut s’étonner que le PLFSS acte le recul d’un an de l’application du plafonnement des dépassements sur les soins prothétiques.
Si les axes du gouvernement apparaissent consensuels on est en droit de s’interroger là encore sur le niveau des ressources de la branche et sur l’impact de la contrainte exercée sur le fonctionnement des hôpitaux et plus généralement des établissements de santé. Le dernier documentaire de Jérôme Le Maire dans le « ventre de l’hôpital » est à cet égard très révélateur.
Vieillesse : temporiser avant de réformer
Concernant, la branche vieillesse, si le tendanciel montre un excèdent de 1,5 milliard d’euro pour 2017, le prévisionnel en revanche (hors mesures PLFSS) montre un déficit de 800 millions d’euros pour 2018.
Les effets de la réforme Fillon concernant le décalage de l’âge légal de départ à la retraite s’essoufflent alors que ceux de la réforme du 20 janvier 2014 n’ont pas encore commencé. Les charges de la Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse (CNAV) vont donc progresser dans un contexte où elle devra dans le même temps accélérer la compensation démographique à destination de régimes en déséquilibre (comme le Régime Sociale des Indépendants).
Comme ses prédécesseurs, ce PLFSS est assez maigre dans le domaine de la retraite.
Le gouvernement ne préférant sans doute pas s’aventurer dans ce domaine à l’aune de la grande réforme systémique qu’il compte mener. Le Projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2018, a présenté le calendrier de mise en œuvre de la majoration de l’ASPA.
Actuellement d’un montant de 803,20 €/mois pour une personne seule, l’ASPA connaîtra une série de revalorisations pour atteindre 903,20 €/mois en 2020. On peut considérer l’augmentation de l’Allocation de Solidarité pour les Personnes Agées (ASPA) comme un signe positif en faveur des retraités les plus précaires.
Cependant le report de la date de revalorisation des retraites d’octobre à janvier est une mesure qui – en plus de la hausse de la CSG -va renforcer la dégradation du pouvoir d’achat de ses bénéficiaires et susciter de l'incompréhension quand arriveront les premières ponctions au mois de janvier 2018.
Famille: la solidarité nationale pour les plus modestes
Concernant la famille, le gouvernement met en place une mesure de soutien en faveur des familles monoparentales en augmentant de 30% le plafond du complément de libre choix du mode de garde (CMG). Cette mesure doit permettre aux parents qui élèvent seuls leurs jeunes enfants d’être mieux aidés financièrement lorsqu’ils recourent à un assistant maternel, une garde à domicile ou une micro-crèche.
Le montant de l’allocation de soutien familial sera revalorisé de 6 euros au 1er avril 2018. Néanmoins, les financement de ses nouvelles mesures par l'alignement des conditions de ressources et des montants de l'allocation de base de la Paje et du complément familial aura pour effet de réduire l'accès à la Paje des familles de la classe moyenne supérieure alors que cette allocation permet aux parents de financer les modes de garde des jeunes enfants dont le coût pèse déjà lourdement sur le budget familial.
En outre, l’aide ne concerne que 78.000 familles monoparentales alors que les familles modestes ne sont pas concernées et que la réforme entraînera une perte pour un nombre considérable de familles. Au final, les 500 millions économisés seront financés une fois encore par les familles déjà largement sollicitées au cours du précédent quinquennat.
Un PLFSS de transformation?
Au final, l’essentiel des dispositions de ce PLFSS de début de législature s’inscrivent dans une grande continuité des lois de finances de la sécurité sociale précédentes.
L'approche esquissé pendant la campagne présidentielle, d'une refondation de la protection sociale pour les indépendants débouche finalement sur une simple intégration du tant décrié Régime social des indépendants (RSI) au régime général.
Il est encore tôt pour savoir si ce PLFSS marque un infléchissement ou une continuité dans le mouvement d'universalisation de la protection sociale à l'oeuvre depuis un certain nombres d'années.
Le changement de financement de l'assurance-chômage préfigure le début d'un régime chômage plus universel et conduit à s'interroger sur le rattachement -ou non- de ce risque au périmètre de gestion de la protection sociale.
Comments