L'Assurance-maladie dévoile ses propositions pour économiser 2 milliards d'euros
- Lanteri Lorenzo
- 5 juil. 2017
- 5 min de lecture
Le document de l’Assurance maladie tant attendu de l’année vient d’être communiqué. Dénommé «Charges et produits», ce rapport liste à la fois les économies envisagées et les propositions de l'Assurance-maladie pour améliorer la prise en charge des assurés. 2018 devrait donc être une année très contrainte économiquement. Près de 1,94 milliard d’euros d’économies sont attendues, soit 300 millions d’euros de plus que l’an dernier à périmètre comparable. L'Assurance maladie fait le pari des innovations organisationnelles dans le parcours de soins pour dégager des marges d'efficience.
Tout d’abord remarquons préalablement, que l’Assurance maladie a accentué sa connaissance des dépenses par groupe de pathologies. On est aujourd’hui en mesure d’évaluer précisément et par pathologie l’évolution des effectifs de patients, des dépenses moyennes par patient, des dépenses par poste.
Ensuite, soulignons que les dépenses de santé sont contrôlées depuis plusieurs années : le déficit décroît, mais au prix d’une tension croissante sur les acteurs du système. La France est parvenue à réduire le rythme d’évolution des dépenses de santé à un rythme autour de 2%.
L’Assurance maladie a essentiellement agi sur les prix ces dernières années et les acteurs ont cherché une compensation en augmentant les volumes. La structuration du système de soins doit donc être approfondie pour freiner cette tendance. L’autre défi de l’Assurance maladie sera de répondre à la situation sanitaire de notre pays marqué par la hausse des inégalités de répartition géographique de l’offre de soins.
L'accent est mis sur l'ambulatoire et le parcours de soins
Le principal levier d’économies passe par l’augmentation de l’activité ambulatoire, ces actes réalisés de jour, sans hospitalisation. L’économie attendue, avec une meilleure orientation des patients serait de 470 millions d’euros pour 2018. Cette stratégie, lancée voilà plusieurs années, part du postulat que la France compte encore trop de lits et qu’il faut réduire les durées d’hospitalisation. Le système est insuffisamment structuré : il est trop cloisonné, le virage ambulatoire n’est pas encore assez marqué.
Certes, la chirurgie ambulatoire et l’hospitalisation de jour ont progressé de manière significative et certaines pathologies traditionnellement prises en charge à l’hôpital commencent à l’être par la médecine de ville mais il faut approfondir le phénomène en développant les prises en charge à domicile.
Cette évolution requiert une meilleure coordination des professionnels de santé, qui est encore insuffisante, aussi bien pour ce qui concerne les modes d’exercice que le partage des informations.
Les propositions de l'Assurance-maladie visent d’ailleurs à développer des mesures valorisant la coordination entre professionnels et à généraliser l’utilisation des outils et système d’information.
L’évolution du modèle de rémunération reste encore trop liée aux actes pour la médecine de ville et aux séjours pour la médecine hospitalière. D’autres modes de rémunération sont susceptibles d’encourager la prise en charge coordonnée des patients chroniques entre la ville et l’hôpital, entre les médecins et les auxiliaires de santé.
Il faut aller vers la mise en place des dispositifs innovants (prise en charge globale annuelle par exemple) plutôt que de financer des actes ponctuels. L’Assurance-maladie compte d’ailleurs expérimenter des dispositifs de paiement aux parcours de soins. Il s’agit de mettre en place des forfaits couvrant à la fois les frais hospitaliers et les soins de ville en intégrant des objectifs de qualité. De tels modes de rémunération favorisent automatiquement la coordination et l’efficience.
Des économies importantes sont également attendues encore en 2018 du côté de la pertinence des soins (510 millions d’euros). Jusque-là, la maîtrise médicalisée a donné des résultats tout à fait satisfaisants, notamment grâce aux actions relatives aux médicaments menées auprès des généralistes et à la substitution des médicaments génériques. La situation risque désormais plus difficile. Certes, les actions qui se rapportent aux médicaments de médecine générale peuvent être poursuivies mais les enjeux se situent maintenant plutôt autour des médicaments de spécialité, ce qui suppose de nouvelles actions pour l’Assurance maladie auprès des spécialistes et surtout des établissements de santé.
De même, en ce qui concerne, les indemnités journalières, les médecins vont devoir freiner la prescription des arrêts de travail pour permettre faire économiser 100 millions d’euros à l'Assurance-maladie. La pratique de mise sous accord préalable de certains praticiens très va ainsi s’intensifier. De même, le non recours à certains actes inutiles ou redondants en biologie ou en kinésithérapie, doit permettre de réduire la facture de 130 millions d’euros.
Médicaments : la politique de la continuité
La prescription plus efficiente des médicaments et soins et la promotion des génériques doivent produire l’an prochain la plus grosse réduction de dépenses (750 millions d’euros). L’inflation des prix fait peser des risques de remise en cause de l’égalité d’accès des patients au traitement du cancer. Cette inflation des prix ne se limite plus au seul traitement du cancer mais s’étend désormais à d’autres traitements comme ceux de l’hépatite C ou encore du diabète.
Si nous voulons éviter les logiques de « panier de soins sélectifs » et de durcissement des modalités de financement des nouveaux traitements, il faudra aller plus loin dans la recherche de gisements d’économies.
Les innovations thérapeutiques ne sont pas qu'un coût elles constituent aussi une source potentielle d’efficience mais notre système de santé manque d’agilité pour pouvoir en tirer des gains de productivité. Le manque de dispositifs pour identifier les bonnes pratiques entraîne des difficultés dans l’accompagnement des changements de prise en charge notamment dans le domaine de la cancérologie.
Une inflexion en matière d'innovation organisationnelle
L’Assurance maladie fait donc un ensemble de propositions pour mieux prendre en compte les innovations organisationnelles. Ceci va dans le bon sens mais il faudra néanmoins dans les années à venir intensifier la stratégie sur la responsabilité populationnelle. Apparue en 2003 dans la réforme du système de santé et des services sociaux du Québec, la responsabilité populationnelle implique se donne pour principal obligation de maintenir et d’améliorer la santé et le bien-être de la population d’un territoire donné.
L’approche populationnelle veille à rendre accessible un ensemble de services sociaux et de santé pertinents, coordonnés, qui répondent de manière optimale aux besoins exprimés et non exprimés de la population. Cette approche se fonde sur l’accompagnement des personnes et le soutien requis de ces dernières. Enfin, elle agit en amont, sur les déterminants de la santé
En ce qui concerne les innovations médicamenteuses, il faut se doter d’outils pour mieux évaluer l’utilité thérapeutique de certains traitements. L’Assurance maladie compte donc favoriser l’évaluation en vie réelle de l’efficacité des médicaments couteux et la révision des prix en fonction des indications et des résultats de ces études.
Les choix opérés par l’Assurance maladie, avec 1,94 milliard d’économies prévues l’an prochain, soit 500 millions d’euros de plus que l’année précédente (300 millions à périmètre comparables) montre que nous sommes encore dans un environnement très contraint financièrement.
Compte tenu à la fois de la difficulté croissante à réduire la progression des dépenses et de la nécessité d’atteindre des résultats de plus en plus élevés, l’Assurance maladie choisit d’adopter de nouvelles méthodes d’intervention. Il faudra concevoir de nouveaux instruments de maîtrise médicalisée et renouveler les relations avec les professionnels de santé pour pouvoir tenir les budgets sans compromettre la qualité de l’offre de soins.
La réussite des propositions de l’Assurance maladie risque cependant de se heurter à l’architecture en différentes enveloppes par acteur de l’ONDAM. Cette construction budgétaire soutient la tendance à la spécialisation et ne favorise pas les évolutions vers moins de cloisonnement entre les composantes du système de santé et vers une pratique plus interdépendante des différents intervenants.



Commentaires