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Faut-il réformer l'ONDAM?

  • Lorenzo Lanteri
  • 11 avr. 2017
  • 9 min de lecture


Le candidat de la France Insoumise, Jean Luc Mélenchon a inscrit dans son programme la suppression de l’Objectif National d’évolution des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM) mettant en lumière les dissensions qui entourent ce puissant outil de régulation de la dépense publique de santé.




Un instrument mal connu du grand public



Mal connu du grand public, l’Objectif National d’évolution des Dépenses de l’Assurance Maladie (ONDAM) reste pourtant le principal instrument de régulation du système de santé. Il est la traduction d’une volonté politique forte. Il s’agit d’un objectif de dépenses établi au niveau national avec une déclinaison régionale dont le but est d’influer sur l’évolution « naturelle » des dépenses de l’assurance maladie. Par exemple, si rien n’était fait en 2017, les dépenses de santé compte tenu de plusieurs déterminants tels que le vieillissement, le progrès technique ou la demande de soins progresserait de 4,3%, or la trajectoire de l’ONDAM prévoit une trajectoire de 2,1% d’augmentation des dépenses de santé.


L’ONDAM est donc bel et bien un outil de contrôle des dépenses de santé. Il a d’ailleurs été introduit par les Ordonnances du 24 avril 1996 quand les dépenses d’assurance maladie entrainaient un déficit permanent au sein de la branche dédiée de la sécurité sociale. L’ONDAM fait l’objet d’un vote annuel par le Parlement, dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale afin de conférer un caractère démocratique à ce puissant levier qui agit sur une masse financière qui avoisine 191 milliards d’euros. Cependant, il ne constitue pas un budget mais plutôt un indicateur de maîtrise des dépenses de santé. En effet, ce n’est pas une enveloppe fermée et l’objectif fixé n’est pas limitatif. Quand bien même les dépenses sont plus importantes que prévues initialement, les remboursements perdurent.


On distingue deux périodes pour l’ONDAM. Une période qui s’étend de sa mise en œuvre en 1997 à 2010 où l’ONDAM a été systématiquement dépassé. Depuis cette date, s’est ouverte une deuxième période où l’ONDAM a été sous-exécuté, c’est-à-dire que les dépenses constatées y ont été inférieures à celles qui avaient été initialement prévues. Cette capacité à tenir cet objectif depuis 7 années, doit être salué dans la mesure où le périmètre de l’ONDAM n’a cessé de s’élargir pendant cette période et ce, à un moment où les dépenses de santé étaient plus dynamiques et les objectifs nationaux de plus en plus strict et resserré.


Néanmoins, après, une existence de plus de 20 ans, l’ONDAM est aujourd’hui sous le feu des critiques. Dans sa construction l’ONDAM n’effectue qu’une distinction par acteurs institutionnels, sans tenir compte des dynamiques des activités poursuivies. Tel qu’il est construit l’ONDAM se structure de la manière suivante : soins de ville, établissements de santé, établissements médico-sociaux (pour les personnes âgées et les personnes handicapées), Fonds d’intervention régional (FIR). Ajoutons, une dernière nomenclature réservée aux « autres prise en charge ».





Un instrument "à bout de souffle "




S’il a permis de préserver le périmètre solidaire du financement des dépenses de santé, il s’avère insuffisant pour accompagner les transformations de notre système de santé : explosion des maladies chroniques, logique de parcours de soins ambulatoire. Son mécanisme d’enveloppe présente un certain nombre d’inconvénients. Ils fixent des « parts de marché » aux différentes composantes du système sur une base historique et non selon des besoins de santé. L’architecture en différentes enveloppes soutient la tendance à la spécialisation et ne favorise pas les évolutions vers moins de cloisonnement entre les composantes du système de santé et vers une pratique plus interdépendante des différents intervenants.


La construction de l’ONDAM révèle l’absence de priorités de santé et de « modèle » d’organisation ». Il n’existe en effet pas de fongibilité réelle en cas de transfert d’activité, on est dans ce qu’il est convenu d’appeler une gestion « en silos ».


De par sa gestion strictement budgétaire par le bais des sous-enveloppes, l’ONDAM est déconnecté des mesures structurelles visant à introduire des incitatifs auprès des professionnels de santé. Il n’offre aux acteurs et structures de soins aucune perspective en dehors d’une pression continue sur les tarifs. Au moment où notre système de santé doit absorber plus vite des nouvelles innovations thérapeutiques, l’ONDAM ne délivre pas de vision transversale de la dépense de médicaments et des besoins de régulation dans ce domaine.



Se pose donc aujourd’hui, la question de la réforme de cet instrument. Les différentes options qui se présentent à nous, comportent des leviers d’efficience mais pose également des difficultés qu’il convient d’aborder.




Options 1 : une enveloppe « médicaments » transversale




Une première option consisterait à créer une enveloppe « médicaments » transversale. Le contenu de l’enveloppe engloberait l’ensemble des médicaments, quels que soient les prescripteurs, quels que soient les lieux de délivrance. Il inclurait, le fonds innovation, les ATU[1] ainsi que les remises de prix négociées au plan national. Chaque année, les autorités sanitaires effectueraient un calcul du tendanciel incluant les effets volume / structure / prix afin de dresser des hypothèses sur l’évolution de ces facteurs, par classe thérapeutique. Cette évaluation comprendrait également les effets prix et les innovations attendues grâce à un travail de veille prospective. Une des conditions de réussite tient à la mobilisation des bases de données médico-administratives pour contrôler le respect des bonnes pratiques. En cas de dépassement de l’enveloppe prévue, il pourrait être décidé des baisses de prix qui pourraient même éventuellement survenir en cours d’année.


Cette solution aurait l’avantage de permettre une gestion cohérente du médicament qui fait défaut dans le système actuelle. L’oncologie serait gérer de manière transversale et les innovations thérapeutiques seraient explicitement prises en compte dans ce système. Cette option serait également propice à la suppression des incitatifs contre-performants (maintien en hospitalisation MCO pour cause de prescriptions sur liste en sus[2], etc.).


Néanmoins, il subsiste des obstacles à la mise en place d’un tel système. D’abord, la complexité de calcul des Groupes homogènes de séjour GHS[3] en milieu hospitalier constituerait un obstacle technique quasi-insurmontable. Ensuite, cette option donnerait au secteur du médicament une visibilité particulière, pouvant conduire à proposer d’autres sous-enveloppes portant sur les dispositifs médicaux, ou les transports. Ce système contribuerait alors à « resegmenter » l’ONDAM plus qu’il ne l’est aujourd’hui.



Option 2 : une enveloppe activité



Dans cette configuration, l’enveloppe rassemblerait l’ensemble des activités hospitalières et de ville, hors FIR. Elle inclurait ainsi les activités et prescriptions des professionnels de ville, et des structures hospitalières, voire des structures médico-sociales. En parallèle, des actions volontaristes d’accompagnement et de structuration des soins primaires et d’incitations au transfert d’activités vers la ville devraient être mises en place afin de garantir l’efficience de l’enveloppe « activité ».


Les autorités sanitaires auraient en charge le calcul du tendanciel en incluant des hypothèses sur les transferts d’activité. Ce mode calcul tiendrait compte de l’évolution liée au virage ambulatoire de notre système de santé avec une inflation initial du coût des facteurs puis l’apparition des gains de productivité à posteriori. Parallèlement, une telle réforme implique de mobiliser les outils de régulation professionnel à des fins de maîtrise des volumes et d’harmoniser les tarifs ville-hôpital à prestations identiques.



La construction d’une telle enveloppe budgétaire aurait pour avantage de faciliter les transferts ville/hôpital et médico-social. Cette enveloppe permettrait d’atténuer les ruptures de prise en charge dues au cloisonnement qui existe aujourd’hui. Cette refondation de l’ONDAM autour des « activités » permettrait également de développer les soins de proximité. Les largesses autorisées par l’enveloppe grâce aux transferts entre segments du système rendrait plus aisé la tenue de l’objectif de dépense.


Cette option permettrait également de fluidifier les activités et de mettre en place de facto une fongibilité avec une facilité des transferts ville-hôpital. La mise en place d’un tel système présuppose un effort de pédagogie aujourd’hui complexe des acteurs (professionnels de santé, gestionnaires d’établissements de santé et industriels du médicament). En cas de mauvaise estimation des possibilités de transfert et/ou de lacunes dans la structuration des soins de premier niveau, cette option présente cependant un risque de déclenchement de la procédure pour dépassement excessif.



Option 3 : la médicalisation de l’ONDAM


Il existe une autre voie qui consiste à fonder l’exercice sur une compréhension plus grande des dynamiques pathologiques et médicales à l’œuvre dans le système de santé.


Comme le relevait, le rapport Coulomb en 2003:


« Il a été reproché à juste titre que cet objectif fût fixé en fonction de considérations principalement économiques. Cette manière de fait n’est pas satisfaisante. Elle fait peser des contraintes sur les professionnels de santé qui leur apparaissent arbitraires. Elle méconnaît la logique propre de croissance des dépenses de santé où interviennent progrès technique, allongement de l’espérance de vie, aspirations au bien-être ».


Si en 2003 il était difficile voire impossible de traduire des besoins de santé pour en déduire une enveloppe financière, de grandes inconnues ont été levés depuis. L’Assurance maladie a accentué sa connaissance des dépenses par groupe de pathologies. On est aujourd’hui en mesure d’évaluer précisément et par pathologie l’évolution des effectifs, des dépenses moyennes par patient, des dépenses par poste. Chaque année dans le cadre du rapport « Charges et produits » l’assurance maladie dresse une cartographie médicalisée de la dépense. On peut ainsi voir comment les différents facteurs entrent en jeu de façon différentielle suivant les pathologies que ce soit du point de vue démographique, épidémiologique mais également en termes d’évolutions de prise en charge entre la ville et l’hôpital.


Aujourd’hui, la procédure de construction de l’ONDAM n’utilise pas ces données. Comment apporter plus de médicalisation dans la construction de l’enveloppe budgétaire ? Plusieurs options s’ouvrent à nous aujourd’hui :

  • La première consiste à gérer au moins une sous-enveloppe de manière plus médicalisée.

  • La deuxième suppose d’apporter une « correction » à la marge de l’ONDAM en fonction d’évènements saisonniers ou exceptionnels : par exemple, épidémie de grippe (raisonnement en différentiel).

  • La troisième implique d’identifier des sous-enveloppes par pathologies (cancer, insuffisance rénale chronique).

Dans cette troisième option, les tarifs des professionnels de santé de ville et des GHS sont considérés comme une donnée et non comme un paramètre d’ajustement. Les actions de maîtrise de tel ou tel poste peuvent être ciblées de manière fine et médicalisée en fonction des évolutions prévues et du risque éventuel de dépassement de l’enveloppe. L’équilibre de l’enveloppe supposerait des actions volontaristes en faveur d’une plus grande efficience des prises en charge avec déport sur le domicile d’une partie des soins. En cas de dépassement, on agirait sur les prix des médicaments ou ceux des transports.


Cette troisième option combinerait les avantages sans les inconvénients des deux autres options exposées ci-dessus. Les déterminants de la dépense seraient évalués plus finement pour des affections bien cernées. Fondée sur analyse médicalisée de la dépense, le montant de l’enveloppe serait plus facilement justifiable auprès des acteurs de santé. Ce système permettrait une prise en compte explicite de l’innovation. Enfin, elle faciliterait la gestion des transferts ville-hôpital du fait de la transversalité du champ couvert.


Cependant, à l’instar des autres, cette troisième option présente également des difficultés. D’abord, elle présente le risque de segmenter l’ONDAM de manière de plus en plus complexe. Par ailleurs, il reste des questions de faisabilité technique en suspend comme pour le cas des poly-pathologies. La procédure apparaît difficilement généralisable à toutes les pathologies. Il y a donc un risque de privilégier les pathologies faisant l’objet d’une telle procédure par rapport au reste du champ avec des risques de sortie du panier solidaire de soins de certaines pathologies.




Tenir compte de la nouvelle cartographie sanitaire




L’épidémie de maladies chroniques nous amène à raisonner en termes de pathologies en adoptant une analyse médicalisée des dépenses autour de celles-ci. L’annualisation des dépenses de santé par le biais des lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) ne répond plus aux besoins sanitaires actuels. Cette gestion actuelle de l’ONDAM témoigne d’une forme de faillite intellectuelle, il est plus facile de fixer un taux que de réfléchir aux déterminants de la santé.


Les enveloppes par acteur dans la construction de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM) ne tiennent plus compte de l’évolution sanitaire de notre pays. Il est nécessaire d’adopter une approche par processus de soins en tenant compte de l’évolution des coûts de traitement de certaines pathologies.


Il n’y a aucune articulation ente l’ONDAM et les grandes orientations de la Stratégie Nationale de Santé (SNS). Dans sa construction financière l’ONDAM entre en contradiction avec la logique de parcours de soins, pourtant promu par cette même Stratégie Nationale de Santé.


A un moment où les politiques de santé sont de plus en plus territorialisé, il apparait inopérant de fixer un taux national uniforme sur tout le territoire. On ne peut pas ignorer l’ancrage territorial des politiques de santé alors qu’on continue d’être dans un fléchage à 95% national des dépenses. Il faut donner une respiration régionale à notre système de santé, il y a beaucoup d’innovation organisationnelle qui se font sur le terrain. Ce découpage budgétaire du haut vers le bas ne correspond plus aux aspirations des acteurs du système de santé.


La direction de la sécurité sociale conteste toute idée de réformer l’ONDAM. La réforme de l’ONDAM dépend des objectifs que nous souhaitons collectivement donné à notre système de santé. S’il s’agit de contenir les dépenses de santé restons en-là ! S’il s’agit d’augmenter l’efficience changeons de système. Nous devons sortir de l’approche strictement budgétaire de notre système de santé.


Les options de réformes de l’ONDAM existent ! Elles sont sur la table ! Elles méritent d’être discutées ! Il serait pertinent d’expérimenter l’option 3 autour d’une pathologie, celle du cancer avant d’envisager une mise en œuvre réelle et une éventuelle extension à d’autres pathologies. Au regard du montant de l’enveloppe (de 10 à 15 milliards d’euros selon les estimations de la CNAMTS et de l’INCA[4]) et de la diversité des actes qu’il recouvre (radiothérapie, hospitalisations, transports médicalisés), le cancer constituerait un terrain d’expérimentation propice à cette réforme de l’ONDAM.




[1] L’Autorisation Temporaire d’Utilisation (ATU) est une procédure créée en 1986 et permettant à certaines catégories de malades d'utiliser des médicaments n'ayant pas encore été mis sur le marché.


[2] L’inscription en liste en sus est un dispositif dérogatoire qui permet de garantir le financement des produits innovants et particulièrement onéreux, ce qui permet à la fois d’assurer la diffusion du progrès technique et de prendre en compte des profils de pathologie atypiques au regard de la classification engroupes homogènes de malade (GHM).


[3] Groupes homogènes de séjours (GHS) par exemple l’établissement de santé reçoit un paiement pour un malade qui a été hospitalisé pendant X jours et à qui on a posé une prothèse de hanche plutôt que pour un patient soigné dans le service d’orthopédie


[4] L’INCA : L’Institut National Du Cancer

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