Retraites : derrière les liens financiers complexes, la solidarité
- Lanteri Lorenzo
- 29 mars 2017
- 8 min de lecture

Dans un objectif d'équilibre mais également de solidarité, les régimes de retraite ont tissé des liens financiers complexes. Cet écosystème subtil parfois opaque est d'abord le fruit de la grande dispersion entre les différentes caisses et régimes mais il est également le fruit de l'élargissement du périmètre des missions qui ont été assignés à la retraite.
Il existe trois types de transferts entre les régimes de retraite.
Le premier vise à maintenir une forme de solidarité entre les différents régimes en comblant les disparités géographiques entre les régimes de base. En effet, certains régimes comme ceux des Mines ou des exploitants et salariés agricoles sont caractérisés par un ratio cotisants/retraités défavorable dont la résultante est un déséquilibre financier. Les régimes plus favorisés assurent donc un transfert financier vers les régimes les moins favorisés appelé compensation pour neutraliser l’impact financier des écarts géographiques.
Un deuxième type de transfert financier découle des changements de frontières démographiques entre régime. Des populations affiliées sont ainsi susceptibles de basculer d’un régime à l’autre impliquant des transferts financiers pour des considérations comptables. Par exemple, en 2005, la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) a été adossée au régime général. Des liens financiers se nouent alors entre les régimes pour reconstituer les flux de cotisations et de pensions entre les régimes adossés ou intégrés et le régime dit « d’accueil ».
Enfin, un troisième type de transfert financier existe entre la CNAV et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) qui finance une partie de la solidarité et les régimes de retraite
La solidarité entre les régimes
Instauré par la loi n°74-1094 du 24 décembre 1974, le mécanisme de compensation vise à remédier aux inégalités provenant des déséquilibres géographiques et les disparités contributives entre les régimes. Comme le rappelle, justement le Conseil d’orientation des retraites, il s’agit donc d’une ressource pour certains régimes quant à l’inverse c’est une dépense pour d’autres.
En 2015, la compensation entre l’ensemble des régimes de retraite s’est établie à 7,8 milliards d’euros. Les principaux régimes contributeurs sont le régime général des salariés du privé (CNAV) avec 4,9 milliards d’euros puis celui des agents des collectivités locales (CNRACL) avec 1,4 milliard d’euros. De manière plus marginale, le régime de retraite des professions libérales (CNAVPL) et celui des fonctionnaires d’Etat contribuent à la compensation à hauteur de 0,6 milliard d’euros chacun.
Ces règles de compensation sont légitimes car elles pallient les conséquences financières de l’évolution structurel de certains secteurs d’activité en déclin. Néanmoins, on peut s’interroger sur leur mode calcul parce qu’elles n’englobent qu’un étage celui des retraites de bases quand on connait la myriade de régimes complémentaires et l’importance qu’ils jouent dans le niveau de pension des retraités (plus de 50% du montant de la retraite parfois).
Une étude de la DREES montre que des modifications dans le mode calcul actuel du ratio cotisants/retraités modifieraient sensiblement le diagnostic en termes de régimes favorisés ou défavorisés. Sans rentrer dans les détails, une première modification consisterait à exclure les retraites anticipées spécifique à chaque régime. Une seconde à prendre en compte la durée de passage des assurés au sein des régimes.
Il est intéressant de noter que la liquidation unique des régimes alignés (LURA) dont les pleins effets se mesureront dans une trentaine d’années modifie les niveaux de compensation entre les régimes. Au regard des effets connus sur le niveau de pension des poly-pensionnés. Il est intéressant de voir qu’un instrument d’harmonisation comme la LURA jugée à priori comme neutre a des implications financières qui n’étaient pas visibles au moment de la réforme.
Adossement, intégration : quels différences?
Parmi les nombreux liens financiers entre les régimes de retraite, il y a ceux qui sont liés aux intégrations financières et qui sont de nature comptable.
En 1998, les réserves financières gérées par la CAMAVIC[1] sont transférées au régime général. La CAMAVIC reverse le produit des cotisations à la CNAV et la CNAV verse une contribution pour permettre à la CAMAVIC de continuer à verser les prestations et d’être à l’équilibre financier. En 2015, la CNAV a ainsi dû verser 130 M€ pour équilibrer la CAVIMAC.
La loi de finances pour 1963 a mis à la charge du régime général le déficit du régime des salariés agricoles pour les trois risques maladie, vieillesse et prestations familiales. Afin de faciliter la gestion du régime, les cotisations des salariés agricoles ont été alignées sur celles des autres salariés du secteur privé. Au 31 décembre 2015, la CNAV présente ainsi une créance vis-à-vis de la CAVIMAC de 378 M€. Cette créance est encore supérieure à celle constatée au 31 décembre 2014 : ceci s’explique par le fait que les avances de la CNAV ont plus que couvert les dépenses du régime financièrement intégré.
L'intégration financière du RSI a été décidée par la loi du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2014. L’équilibre comptable de la branche vieillesse du RSI était assuré par l’affectation, à due concurrence du déficit de ce régime, de recettes de contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). L'inquiétude sur cette intégration financière était d’ailleurs vive pour la CNAV car elle s'accompagnait d'un transfert de la contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui devait disparaître en 2017 dans le cadre du pacte de responsabilité. L’extinction de cette recette impliquer d’assurer chaque année qu'une recette ou qu'un panier de recettes soit bien affecté à la CNAV, chose rendue difficile dans un contexte de ras-le-bol fiscal.
Mais en 2016, le Gouvernement a finalement renoncé à supprimer la C3S, confortant ainsi, la soutenabilité financière de cette intégration en levant les incertitudes sur le financement pérenne de nos régimes de retraite.
Un autre type de liens financiers entre les régimes de retraite est l’adossement. Les processus d’intégration et d’adossement présentent au premier regard certaines similitudes. Néanmoins, si l’intégration d’un régime à pour conséquence la disparition du régime intégré, dans le cas de l’adossement, le régime est maintenu. En effet, les assurés restent affiliés à leurs régimes bien que des transferts financiers aient lieu entre le régime adossé et le régime d’accueil pour reconstituer les flux de cotisations et de pensions comme si les assurés du régime adossé relevaient du régime d’accueil. Par exemple, depuis 2005, la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG) a été adossée au régime général.
Le FSV une confusion financière en voie de clarification?
Le FSV a été créé en 1993 pour assurer le financement d’un nombre limité de dispositifs de solidarité. Le fonds de solidarité vieillesse (FSV) est un établissement public d’Etat à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé de la sécurité sociale et du ministre du budget. A sa création le fonds de solidarité vieillesse de distinguer les dépenses de solidarité (non contributive : impôt) et dépense d’assurance (contributive : cotisation)
Les avantages de retraite pris en charge par le FSV sont des avantages non contributifs, c'est-à-dire ne donnant pas lieu à cotisation sociale, et relevant de la solidarité nationale.
> Le FSV finance le minimum vieillesse pour l’ensemble des régimes de retraite de base de salariés (régime général et salariés agricoles MSA, des indépendants RSI et régimes spéciaux) et de non salariés
> Il prend également en charge, pour le régime général d'assurance vieillesse, les régimes alignés et le régime des exploitants agricoles, les majorations de pensions pour enfants élevés et pour conjoint à charge. Il finance, sur des bases forfaitaires, le coût des validations pour la retraite :
> des périodes de chômage et de préretraite du régime général et du régime des salariés agricoles ; Le FSV compense le manque à gagner en cotisations de retraite pour le régime général et le régime des salariés agricoles au titre des périodes pendant lesquelles les assurés ont bénéficié des allocations chômage visées au code du travail. Les dépenses liées à la prise en charge de ces cotisations sont déterminées à partir des effectifs retenus et d’une cotisation annuelle forfaire de référence. En conséquence, le coût de cette prise en charge dépend de la situation de l’emploi et l’évolution du SMIC horaire ;
> Depuis 2001, les cotisations de retraite complémentaires (ARRCO et AGIRC) au titre des périodes de préretraite et de chômage indemnisées par l’Etat, du volontariat civil (ex-service national) pour le régime général et des régimes alignés. Le FSV prend également en charge certains avantages accordés aux anciens combattants d'Afrique du Nord (régime général et régimes alignés).
> Par ailleurs, la loi portant sur la réforme des retraites de novembre 2010 a confié au FSV la mise réserve de ressources nécessaires au financement de la dérogation d’age pour l’ouverture du droit à la retraite à taux plein à 65 ans au lieu de 67, introduite au bénéfice des parents de 3 enfants ou d’enfant handicapé, relevant du régimes générale, de la MSA et du RSI. Cette mesure prendra effet en juillet 2016, lorsque les parents, nés en 1951, attendront 65 ans.
>Pour les apprentis qui ne pourraient pas valider au titre de la retraite toute leur période d’apprentissage, le FSV (Fonds de solidarité vieillesse) prend à sa charge, « le versement d’un complément de cotisations d’assurance vieillesse afin de valider auprès des régimes de base un nombre de trimestres correspondant à la durée du contrat d’apprentissage ». Cela concerne essentiellement les apprentis en première année de formation à partir du 1er janvier 2014 et qui sont âgés de moins de 18 ans.
Ces missions ont été élargies, à compter du 1er juillet 2010, à la prise en charge forfaitaire des validations gratuites de trimestres au titre des périodes d’arrêts de travail (maladie, maternité, accident du travail, maladies professionnelles et invalidité) servies par la CNAV, la MSA et les régime des indépendants, et depuis le 1er janvier 2011, à la prise en charge forfaitaire d’une partie du minimum contributif (MICO) au profit des mêmes régimes de retraite.
Dans une logique d’une meilleure lisibilité financière et d’une meilleure réaffectation des ressources entre régimes, branches et fonds, le PLFSS 2017 a prévu la réaffectation progressive du minimum contributif aux régimes eux-mêmes (CNAV, RSI et MSA salariés). De facto, le FSV se recentre donc sur des prestations de solidarité. Le transfert du MICO à la CNAV apporte de la clarté mais il est bon de rappeler que cela ne réglera pas la situation financière du FSV, particulièrement sensible au chômage. Par ailleurs, le redressement de la CNAV ne doit pas servir à colmater le déficit du FSV, d'autant plus que notre système de retraite devra prochainement absorber le pic de départ en retraite pour carrières longues.
Il faudra d’ailleurs reprendre les propositions du rapport Moreau et celle de la mission Fragonard en matière de justice et mettre en place des mesures de justice relatives à la prise en charge des droits familiaux retraites afin de limiter les effets d’allongement de la durée d’assurance sur les carrières incomplètes et les effets de trésorerie qui pourraient en découler. L’augmentation des carrières incomplètes fera peser sur les finances du FSV étant donné que quatre bénéficiaires du minimum vieillesse sur cinq perçoivent une pension de droit direct mais ont eu, pour la plupart, une carrière incomplète.
les liens financiers complexes : la solidarité Derrière
Adossement, intégration, compensation si des modalités techniques seraient envisageables pour améliorer l’équité entre assuré et la lisibilité du système, néanmoins il faut rappeler que ces mécanismes relèvent de la solidarité nationale, les remettre en cause, c’est remettre en cause le principe de répartition et de communauté politique autour de la retraite. Les discours qui visent à expliquer que les salariés du privé financent la retraite des autres professions est par conséquent dangereux et nuisibles au débat. D’ailleurs qui nous dit que la situation des secteurs professionnels en déclin démographique aujourd’hui ne serait pas amenée à s’inverser dans les prochaines années avec un regain d'attractivité pour ces secteurs (agriculture biologique, énergie renouvelable)
[1] CAVAMIC devenue CAVIMAC en 1999 est la caisse chargée de la protection sociale des ministres des cultes et des membres des congrégations et des collectivités religieuses
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