Comment les mutations du marché du travail nous amènent à faire évoluer notre système de retraite?
- Lanteri Lorenzo
- 1 mars 2017
- 6 min de lecture

François Schuiten et Benoît Peeters "Machine à dessiner"
Le Conseil d'orientation des retraites (COR) a consacré son traditionnel rendez-vous mensuel à l’étude des évolutions du marché du travail et des droits à la retraite qui en découlent. La question de la diversification des parcours professionnels a amené notre système de retraite a évolué, notamment par le biais de la réforme de 2014, pour mieux prendre en compte les ruptures d’emploi et les carrières heurtées.
Selon le Haut Conseil au financement de la protection sociale, la part de l’emploi non-salarié dans l’emploi total est passé de 20,8% à 10,6% entre le début des années 70 et 2014. Cette diminution de la part des emplois non-salariés dans la population active s’explique principalement par le développement des grandes surfaces qui a fait chuter le nombre de commerçants et par la diminution de l’emploi agricole. Durant cette période on assiste en réalité à un mouvement de salarisation des emplois.
"Si nous assistons à
un mouvement de salarisation
sur le long-termes, l’apparition
récente de nouvelles
formes d'emploi questionne
notre système de retraite"
Cependant, on observe une inflexion dans cette tendance à la salarisation depuis la fin des années 2000, notamment avec la création du régime de l’autoentrepreneur. Le nombre d’emploi non-salariés est passé de 2,2 millions à 2,8 millions entre le début des années 2000 et 2015. Si certains prédisaient la salarisation complète des emplois à l’horizon 2000, les évolutions récentes semblent démentir cette prophétie. Les années 1990 ont vu se développer des nouvelles formes d’emploi brouillant toujours un peu plus les frontières de nombreux entre salariat et non salariat.
Les modifications dans l’organisation du travail ou la gestion des systèmes productifs ou encore l’apparition de nouveaux statuts liés à la politique de l’emploi (contrats aidés, dispositifs d’aide à la création d’entreprise,…) ont contribué au reflux de l’emploi salariés en France. Ce brouillage des frontières s’est accéléré avec l’émergence de nouveaux contrats et le développement d'une triangularisation de l'emploi.
Les nouvelles formes de travail triangulaire ont fait évoluer les normes de l’emploi pour les faire s’éloigner peu à peu de la relation salariale classique fondée sur le lien de subordination. Parmi ces nouvelles formes d’emploi, on peut recenser :
- Le CDI intérimaire (entré en vigueur en 2014 et qui constitue une expérimentation applicable jusqu’au 31 décembre 2018) permet la conclusion d'un CDI entre le salarié temporaire ou un candidat à l'emploi et l'entreprise de travail temporaire (ETT). Ce CDI est choisi, il ne s'impose ni à l'ETT ni au salarié. Les intérimaires bénéficiaires d'un tel CDI sont, au même titre que les intérimaires sous contrat de travail temporaire, mis à disposition d'entreprises utilisatrices. Ce contrat relève à la fois du droit commun applicable au CDI (congés payés, période d'essai, rupture du contrat...) et des dispositions relatives au travail temporaire pendant les missions.
- A la différence de l’intérim, le portage salarial se caractérise par le fait qu’un salarié porté prospecte et négocie lui-même la prestation auprès d’une entreprise cliente. Dans cette nouvelle forme d’organisation du travail, le salarié trouve lui-même sa mission, choisit son statut et son employeur, lequel est mandaté pour facturer cette mission. L’entreprise de portage salarial qui conclut le contrat de prestation de service avec l’entreprise cliente fournit à son salarié porté accompagnement et formation tout en assurant le suivi du bon déroulement des travaux.
- Les plateformes collaboratives qui permettent à des contributeurs – professionnels ou particuliers – de proposer des biens, des services ou des contenus à des consommateurs. La relation triangulaire est animée par la plateforme qui met en relation contributeurs et consommateurs.
La part de l’emploi liée au développement des plateformes numériques est difficilement quantifiable du fait d’un suivi statistique encore inadapté pour suivre ces formes d’emploi. Elle resterait relativement marginale dans l’économie actuellement. Ces nouveaux statuts susceptibles d’affecter les droits à retraite.
La loi du 20 janvier 2014 a prévu un versement unique de la pension retraite à compter du 1er janvier 2017. La liquidation unique des régimes alignés (LURA) devrait simplifier le calcul et le versement des pensions pour les travailleurs non-salariés. Il n’en demeure pas moins que ces nouvelles formes de travail sont sources de complexité et d’une lisibilité imparfaite de notre système retraite pour cette catégorie d’affilié. Par ailleurs, il existe des écarts résiduels de droits ou de cotisations, ainsi qu’une « contributivité » différenciée selon les risques, entre ces catégories de travailleurs.
Par ailleurs, les professions traditionnellement indépendantes (commerçants, médecins libéraux, chauffeurs de taxi), ont pour habitude de souscrire à une retraite facultative individuelle supplémentaire ou immobilisent un actif tel qu’un fonds de commerce ou une licence de taxi. Cependant, on peut craindre que les nouveaux indépendants issus de l’économie des plateformes collaboratives ne soient pas en capacité d’épargner suffisamment pour faire face au risque vieillesse par myopie ou manque d’information sur les niveaux de pension auxquels ils ont droit dans le cadre de leur régime de retraite.
L’arrivée à l’âge de la retraite de cette population pourrait donc révéler des difficultés économiques inédites. Rappelons qu’en dehors des mécanismes de retraites facultatives individuelles supplémentaires, la pension moyenne des travailleurs non-salariés est de 1169 euros par mois, ce qui est sensiblement inférieur à celle autres retraités (1282 euros). En outre, ce montant cache de fortes disparités au sein des travailleurs non-salariés où la pension moyenne peut varier de 1969 euros pour les professions libérales à 417 euros pour un artisan au RSI.
"Même dans le monde des salariés
les parcours professionnels des salariés
sont devenus moins linéaires"
Dans le même temps, de plus en plus d’actifs connaissent au moins un épisode de chômage durant leur carrière, et les contrats à durée déterminée et/ou de travail temporaire, pour des durées de plus en plus courtes, et le travail à temps partiel se sont développés. En 2015, le temps partiel concerne 31 % des femmes en emploi et 8 % des hommes en emploi. Il est subi dans près d’un tiers des cas.
La réflexion sur les évolutions du système de retraite ne peut donc s’arrêter à une analyse à partir des seules carrières simples, et nécessite de se pencher également et spécifiquement sur les retraites versées à l’issue de carrières plus complexes ou atypiques.
Le passage du seuil de rémunération de 200 heures SMIC à 150 heures SMIC pour la validation d’un trimestre et la possibilité de reporter sur une année civile adjacente certaines cotisations lorsqu’elles n’étaient pas suffisantes pour valider un trimestre ont permis la prise en compte de ces périodes de privation involontaire d’emploi. Néanmoins, on peut se demander si cette mesure sera suffisante pour que les effets d’allongement de durée d’assurance soient le plus neutre possible pour les assurés qui connaissent des carrières heurtées ou dominées par des temps partiels subis.
"Les situations de poly affiliations aux
régime de retraite sont amenées
à augmenter pour les prochaines générations"
Les personnes n’effectuent plus leur carrières au sein d’une même entreprise ou d’un même statut. Qu’elles soient voulues ou subies les nouvelles trajectoires professionnelles sont davantage marquées par des périodes de ruptures, de transitions au caractère dynamique et incertain. La conséquence de cette dernière évolution sur notre système de retraite est la multiplication des situations de poly-affiliations. Au début de l’année 2016, d’après l’annuaire du GIP Union Retraite, à partir de 40 ans, plus de 50 % des hommes et 40 % des femmes nés entre 1949 et 1999, actifs ou retraités, sont polyaffiliés. La part de polyaffiliés est variable d’une génération à l’autre. À un âge donné, elle est par exemple moins importante pour les amené à augmenter pour les générations récentes (nées après 1970).
il est important de remédier à ces problèmes de cohérence et d’équité pour les polypensionnés. La pénalisation de certains polypensionnés, telle qu'elle ressort du calcul de leur pension de base était la conséquence de l'absence d'harmonisation entre régimes.
La future «liquidation unique des pensions de retraite de base pour les polypensionnés des régimes alignés» (LURA) devrait permettre de progresser sur la question du traitement équitable des poly-pensionné(e)s.
Notre système de retraite doit permettre un traitement équitable quels que soient les parcours professionnels passés cela passe par une meilleure connaissance des mutations que connait le du marché du travail en ce moment. Les futurs assurés ont des profils de carrière qui s’écartent de plus en plus de celui de la carrière complète, sans interruption et aux salaires peu fluctuants d’une année sur l’autre.
La proportion d’assurés à carrières incomplètes, au sens du système de retraite, dépend certainement des carrières, mais également de la législation en matière de retraite. Il faudra encore progresser sur les mesures de justice dans les prochaines années. La légitimité et l’adhésion de la population à notre système de retraite dépendra en partie des possibilités qu’offre ce système pour valider des trimestres dans les situations qui, tout en étant hors de l’emploi, en restent relativement proches, qu’il s’agisse des périodes aux frontières entre études et emploi en début de carrière – tels que les stages ou l’apprentissage – ou bien de périodes de milieu ou de fin de carrière.



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