Protection sociale des travailleurs du numérique: les solutions existent!
- Lorenzo Lanteri
- 9 févr. 2017
- 21 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 avr. 2021
L’étude de la couverture des travailleurs de plateformes met en lumière les limites de notre système de protection sociale. Notre système est inadapté quant à la couverture de certains risques « classiques » (risques professionnels, santé au travail, prévoyance) que ces situations peuvent rendre encore plus nécessaire, ainsi qu’aux « nouveaux risques» liés à l’instabilité des parcours (validation des trimestres d’activité, continuité de la prise en charge des arrêts maladie).
On assiste à l’émergence de nouvelles formes à la lisière du pôle salarial et du pôle indépendant. La diversité des aspirations et des profils des travailleurs des plateformes collaboratives rend difficile un consensus sur les évolutions à mettre en œuvre. Il existe une tension entre des demandes de convergence vers les sécurités dont bénéficient les salariés et la logique d'une différenciation historique des indépendants pour une protection individuelle et de responsabilité.
La question dépasse celle de la protection sociale pour englober celle des droits collectifs
La question dépasse celle de la protection sociale pour englober la question des droits collectifs résultant de la législation du travail. Pour les travailleurs de plateforme, la loi travail de 2016 a posé les jalons d'un principe de responsabilité social. Cette loi institue également pour les franchisés, une représentation de ceux-ci au sein d’une instance de dialogue social.
Les récents événements ont montré que le choix du statut des travailleurs collaboratifs peut osciller entre diverses aspirations :
- les aspirations à l’égard de la protection sociale. Ainsi, une perception élevée du risque en matière de maladie ou de chômage peut conduire à privilégier un travail salarié de préférence à un statut d’indépendant ;
- la préférence pour le présent, qui peut conduire à privilégier un revenu net immédiat plus élevé, sans qu’il soit générateur de droits sociaux
Cette disparité dans les aspirations des travailleurs de plateforme ne doit pas nous conduire à nous satisfaire du statut quo en matière de protection sociale. En l’absence de telles réflexions, un risque accru de polarisation du marché du travail et de segmentation au sein des professions non salariées est à redouter. C’est l’objet de cet article que d’essayer de caractériser les options qui peuvent être proposées.
Avant toute chose un premier constat peut être formulé. Les données statistiques sont parfois défaillantes pour apprécier les spécificités des profils des travailleurs sur les plateformes collaboratives et les modalités de leur accès à la protection sociale. Les données disponibles ne permettent pas d’étudier en détail la croissance des nouvelles formes d’emploi[1].
Il importe donc que le système statistique public se dote rapidement d’outils pour suivre des formes d’emploi comme le travail économiquement dépendant (des travaux sont en cours à ce sujet à l’Insee et à Eurostat), et cerner les modes d’activité associés aux plateformes collaboratives.
Les couvertures universelles assurent un filet de sécurité
Contrairement aux idées reçues, on ne part pas de rien en matière de protection sociale des travailleurs non-salariés. En outre, une tendance à l’harmonisation avec celui des salariés s’affirme, dans les régimes légaux d’assurance maladie et de vieillesse mais aussi dans le droit des garanties supplémentaires (retraite, prévoyance et une perte d’emploi subie).
Si décalage il y a c’est principalement pour ce qui concerne la nature des rapports de travail : ceux d’un donneur d’ordre avec son prestataire de service ne peuvent être identiques à ceux d’un employeur avec son salarié. Cela ne signifie pas pour autant qu’il n’existe pas de protections, mais celles-ci sont exclusivement inspirées des principes civilistes de la théorie des contrats.
En matière de couverture des risques sociaux , il faut distinguer ce qui relèvent des couvertures dites universelles (maladie, famille) qui garantissent aux travailleurs des plateformes collaboratives la même protection qu’aux autres personnes, et les couvertures ayant conservé une assise professionnelle et fondées sur des principes contributifs.
France Stratégie constate justement que « l’enchevêtrement d’une logique professionnelle, d’une logique universelle et d’une logique individuelle est source d’illisibilité ».[2]
Notre système de protection sociale apparaît relativement inadapté en matière de couverture de certaines nouvelles situations d’emploi que rencontrent les travailleurs des plateformes collaboratives. En préambule rappelons que les travailleurs collaboratifs sont couverts de manière satisfaisante pour ce qui est de la couverture santé de base (remboursement de soins) avec l'universalisation du risque maladie. La protection universelle maladie (PUMA) a considérablement simplifiée les règles d’affiliation. Le régime compétent pour la prise en charge des frais de santé est désormais le premier régime d’affiliation, sauf si le poly-affilié souhaite exercer son droit d’option de rattachement au régime de son activité principale. En matière de famille : la couverture du « risque » est par définition universelle.
Des disparités de couverture en matière de droits contributifs
En revanche des disparités et des trous dans la raquette subsistent pour les couvertures dites contributives (assises sur les revenus du travail). S'agissant des droits retraite une harmonisation est en cours mais des disparités subsistent en fonction des régimes et des statut entre les travailleurs non salariés. La loi du 20 janvier 2014 a, en effet, prévu un versement unique de la pension retraite à compter du 1er janvier 2017. La liquidation unique des régimes alignés (LURA) a simplifié le calcul et versement des pensions ainsi que certaines formalités administratives. Il n’en demeure pas moins que la poly-affiliation est source de complexité et d’une lisibilité imparfaite de notre système social pour les affiliés. Par ailleurs, il existe des écarts résiduels de droits ou de cotisations, ainsi qu’une « contributivité » différenciée selon les risques entre les indépendants.
On peut craindre également que les nouveaux indépendants sous-épargnent par « myopie » ou manque d’information sur les niveaux de pension auxquels ils ont droit dans le cadre de leur régime de retraite. Contrairement à des professions traditionnellement exercées par des travailleurs indépendants (commerçants, médecins libéraux, chauffeurs de taxi), les travailleurs de plateforme n’immobilisent pas au long de leur carrière un actif tel qu’un fonds de commerce ou une licence de taxi. Faute de cette modalité d’épargne individuelle, l’arrivée à l’âge de la retraite de cette catégorie de travailleur pourrait révéler des difficultés économiques inédites.
Une première étape serait de généraliser la transférabilité des droits entre les différents dispositifs d'épargne supplémentaires (contrat article 83[3] un contrat Madelin). Le Compte Personnel d'Activité (CPA) pourrait être utilisé comme lieu de stockage de différents droits retraites accumulées (base, complémentaire supplémentaire) au cours de la vie professionnelle. Il favoriserait le décloisonnement entre salarié et indépendant et accroitrait ainsi la liberté de choix au moment de la retraite.
Il subsiste une différence substantielle entre salariés et travailleurs de plateforme en matière de prise en compte de la pénibilité.
En cas d’exposition professionnelle à certains risques affectant la santé, le compte pénibilité permet de cumuler des points pour les salariés. Ces points sont susceptibles d’être utilisés pour bénéficier d’une majoration de durée d’assurance permettant un départ en retraite plus précoce ou l’octroi d’une formation ou d’une adaptation plus réduite du temps de travail. Les travailleurs de plateforme et les indépendants ne sont pas couvert par un compte pénibilité et ce malgré l'exposition à un ou plusieurs facteurs de risque liés à leur activité.
Dans le contexte d’une externalisation croissante des activités des entreprises, le différentiel de prélèvement entre un salarié « à risque de pénibilité » et un non salarié pourrait encourager, pour certaines activités, le recours à des prestataires indépendants. Cette situation risquerait de conduire à la fois à des distorsions de concurrence entre salariés et indépendants et à un moindre suivi des actifs exerçant ces métiers.
L’extension d’un dispositif de prévention de la pénibilité au travailleurs de plateforme permettrait de limiter les effets de distorsions tout en couvrant mieux les travailleurs des plateformes collaboratives contre les risques auxquels ils sont exposés quotidiennement de par leur activité.
"Le parent pauvre de la protection sociale des indépendants reste la couverture des accidents du travail et des maladies professionnelles (AT-MP)"
La couverture en accident du travail et maladies professionnelles (AT-MP) est aujourd’hui assurée pour certains travailleurs de plateformes. Depuis la promulgation de la loi El-Khomri, certains travailleurs indépendants recourant aux plateformes sont couverts pour le risque AT/MP via la plateforme qui les utilisent.
En effet, l’article 60 de cette loi a instauré l’obligation pour les plateformes qui déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et en fixent le prix, de prendre en charge la cotisation AT-MP du travailleur indépendant, en cas d’affiliation volontaire de celui-ci ou de souscription à un contrat d’assurance (sauf cas où la plateforme a souscrit un contrat collectif).
Cette solution qui a été retenue parmi d'autres semble concourir à l’émergence d’un nouveau modèle qui pourrait associer la participation d’un tiers en l'occurrence la plateforme. Cette dernière pourrait contribuer au financement d'une couverture AT/MP envers les travailleurs qui utilisent fréquemment la plateforme.
Néanmoins, un préalable existe celui de caractériser légalement la dépendance économique. En Espagne un travailleur est considéré comme économiquement dépendant lorsque qu’au moins la moitié de son chiffre d’affaires dépend d’un même donneur d’ordre. Bien que séduisante cette solution présente des limites. D’une part, il est difficile d'apprécier le seuil déclencheur compte tenu du caractère fluctuant de l'activité et du fait que les travailleurs de plateforme sont amenées à travailler avec plusieurs donneurs d'ordre (Uber Eat, Deliveroo dans le cas de la livraison à domicile). D’autres part, ce seuil ne peut pas être pertinent pour certaines activités, en particulier intellectuelles. Par exemple, le règlement de l’ordre des experts-comptables interdit pour préserver l’indépendance technique du professionnel , qu’un seul client représente plus de 25% du chiffre d’affaires.
En revanche on pourrait s’appuyer sur le principe de la négociation collective dans le cadre de la loi El-Khomri pour fixer des normes, pour caractériser en fonction du contexte la situation de dépendance économique. En outre, dans le cas de professions pour lesquels le domicile et le lieu d’exercice professionnel peuvent être confondus, des règles spécifiques devraient être définies pour clarifier ce qui relève de l’accident du travail et de l’accident de la vie courante.
"L'universalisation de la couverture maternité pourrait mettre fin aux disparités actuelles"
En matière de maternité, il subsiste de très nombreuses différences entre catégories de statut. Les indépendants bénéficient d’une indemnité journalière forfaitaire d'interruption d'activité et de l'allocation forfaitaire de repos maternel. La situation est bien différentes pour les auto-entrepreneurs qui se voit empêché d'accéder à cette allocation forfaitaire.
Bien que les droits à indemnités ou allocations aient été conçus pour compenser la perte d’un revenu d’activité (les frais de santé liés à la maternité étant pris en charge par ailleurs) dans une logique de revenu de remplacement, l’ampleur des différences de droits entre ces deux catégories apparaît donc peu légitime s’agissant de publics fragiles.
Il serait par conséquent opportun de faire converger les différentes prestations maternité tout en instaurant des indemnités minimales liées à l’indisponibilité pour cause de maternité. La couverture du risque maternité se rapproche de par sa nature du risque famille dont la couverture a été universalisée. la couverture du risque maternité pourrait prendre la forme d’un montant minimal versé sans condition préalable d’activité à l'instar de ce qui se pratique pour les les salariés du secteur privé. Une saisine du Haut Conseil à la famille serait néanmoins nécessaire pour déterminer les modalités et le financement de l'extension de cette couverture.
"En matière de couvertures complémentaires santé et prévoyance, une extension possible des mutualisations"
Indépendamment du risque retraite, qui a déjà été évoqué, les indépendants peuvent se couvrir de manière facultative auprès de sociétés d’assurances pour la complémentaire santé et la prévoyance. Afin de mieux encadrer ce risque, trois types d’évolutions ont été récemment avancées par le Haut conseil au financement de la protection sociale :
Une première option consiste à faire évoluer ces couvertures facultatives vers des formes obligatoires, le cas échéant gérées par l’intermédiaire des régimes de base. La généralisation de la couverture complémentaire santé pour les salariés du secteur privé, effective depuis le 1 er janvier 2016, peut inciter à envisager une couverture obligatoire pour les travailleurs des plateformes collaboratives, notamment en raison des inégalités de couverture qui existent aujourd’hui entre salariés et non salariés et, au sein des non salariés, entre ceux qui sont couverts à titre individuel ou en tant qu’ayant droit de leur conjoint et ceux, en proportion relativement élevée, qui ne le sont pas.
Une deuxième option consisterait à redéployer une partie de l’effort public aujourd’hui dédié à la déduction du revenu imposable du montant des primes versées au profit de couvertures (contrat de prévoyance Madelin à destination des indépendants) qui seraient toujours complémentaires mais davantage mutualisées au sein des professions concernées. Lorsqu’un lien de dépendance économique manifeste est établi (cf : ci-dessus), une participation des tiers pourrait être envisagée pour ces formes de couverture.
Une troisième option viserait à étendre cette mutualisation au-delà du champ des non salariés en leur offrant la possibilité d’adhérer aux couvertures collectives dont bénéficient les salariés lorsqu’elles sont définies par les branches professionnelles, ainsi qu’aux organismes assureurs « recommandés » par celles-ci ou « désignés » pour en gérer les régimes (complémentaire santé, prévoyance) .
Cette dernière piste d'évolution soulève des questions de principe comme des problèmes de mise en œuvre. Ainsi, le « rattachement » aux régimes de protection sociale complémentaire des salariés suppose au premier chef l’accord des intéressés mais aussi celui des partenaires sociaux des branches, et que soient déterminées les formes que pourrait prendre, le cas échéant, l’association de ces nouvelles personnes couvertes à la gouvernance paritaire de ces branches. D’autre part, il conviendrait de définir quels seraient les formes et le montant de l’effort contributif.
Il existe enfin une quatrième voie qui n'est pas évoqué par le haut conseil au financement de la protection sociale mais qui mériterait à mes yeux d’être mise sur la table celle d'un Compte personnel d'activité qui joue à, plein son rôle de sécurisation des parcours professionnels. Il s’agirait, donc, d’octroyer à chaque personne un socle minimum de protection social. Parallèlement, ce socle se bonifierait à travers l’acquisition de droits de tirage tout au long de la vie professionnelle au sein d’un compte de droits sociaux rattachés à chaque personne.
La transférabilité et la portabilité des garanties collectives constituent des matériaux au service de l’employabilité en permettant le changement d’employeur/ou de statut sans remise en cause des droits.
La jurisprudence a fait de la transférabilité et de la portabilité de ces garanties collectives un droit fondamental complétant celui de l’emploi. Le dispositif né de l’ANI de 2008 et déployé par l’ANI de 2013 permettent aujourd’hui à un salarié dont le contrat de travail a été rompu de continuer à bénéficier de garanties collectives de prévoyance mises en place à titre obligatoire dans l’entreprise.
C’est pourquoi, il faut maximiser ce régime de la portabilité des droits en donnant la possibilité par voie conventionnelle, de l’étendre au-delà de un an, et de l’appliquer en cas de suspension du contrat pour créer une entreprise ou tenter une expérience dans une autre entreprise.
Il faut pouvoir assurer la transférabilité des droits acquis par un salarié même lorsqu’il devient indépendant ou autoentrepreneur. C’est sous cet angle qu’est particulièrement intéressant la création du compte personnel d’activité (CPA), notamment dans la mesure où, d’un côté tout travailleur qu’il soit salarié ou non, a droit d’ouvrir un compte mais aussi parce que les avantages liés à une activité professionnelle, qu’elle soit salariée ou non vont s’ajouter.
Encore faut-il, que les espérances nées du CPA soient couronnées de succès, que le concept soit affiné de sortes que les types davantage concernés puissent s’accorder. S’il est logique que, au vu du droit positif, on se contente d’y placer pour le moment le compte personnel de formation (CPF) et celui de pénibilité plus celui concernant la citoyenneté né de la loi El Khomri.
Il faudra compter sur créativité des partenaires sociaux pour y ajouter d’autres domaines tels que la prévoyance et les droits de complémentaire santé.
Enfin en matière de formation, il serait opportun de revoir les règles de cotisations des travailleurs non-salariés pour les harmoniser avec celles des salariés (cotisation proportionnelles aux revenus professionnels) et minimum sur la base forfaitaire actuel. Par ailleurs, lorsque le travailleur se retrouve dans une situation de dépendance économique ces actions de formations doivent être financées par le donneur d’ordre.
La question de l'affiliation au régime général
Après avoir balayé les différents risques couplés aux dispositifs existants pour les travailleurs de plateformes vient la question du régime d'affiliation. Si nous ne voulons pas laisser aux assurances privées le monopole de la couverture de la protection sociale de ce type de travailleurs, il nous faut envisager les moyens d'affilier ces travailleurs non-salariés au régime général de Sécurité sociale. Deux options sont susceptibles d’exister :
Lorsque les travailleurs de plateforme souhaitent s'affilier au régime général pour être plus couvert et cotiser davantage couverture, cette possibilité doit leur être ouverte. Cela consisterait en un droit de rattachement au régime général, considéré comme régime principal, des activités exercées sous un autre statut. Une fois exercé son droit d’option, le travailleur de plateforme nouvellement assujetti acquerrait ses droits à prestations selon les règles du régime général. Dans le but de limiter les abus, l’exercice de cette liberté de choix pourrait être définitif ou limité à une durée déterminée. Ce droit prendrait fin en cas d’activité devenant durablement et exclusivement indépendante. Cette possibilité d’affiliation aurait l’avantage d’une simplification statutaire car les travailleurs de plateformes ne relèveraient alors plus que d’un seul régime. Par ailleurs, ils soutiendraient l’attractivité du régime général pour les autres types de travailleurs non-salariés.
La mise en œuvre d'un tel dispositif d'affiliation impliquerait de définir préalablement des taux forfaitaire, considéré comme « équivalent » des cotisations sociales salariales et employeur au régime général. Le montant de cette cotisation forfaitaire doit être suffisamment élevé pour générer des droits et suffisamment basse pour être attractive. En effet, les travailleurs de plateformes à faibles revenus ou irréguliers pourraient trouver le montant de cette cotisation forfaitaire insoutenable. Cette solution implique donc au préalable une réforme en matière de prélèvements sur les revenus issus de l'économie collaborative.
Une variante plus ambitieuse consisterait à instaurer un droit d’option général, c’est-à-dire ouvert à l’ensemble des travailleurs non salariés, autorisant leur adhésion à un régime de salarié (régime général ou agricole).
Les enjeux et difficultés seraient identiques que dans l’option 1 et concerneraient des populations plus larges. Le Haut Conseil au financement de la protection social (Hcfps) relevé néanmoins un risque de recours accru aux travailleurs indépendants en substitution de travailleurs salariés dans la mesure où la possibilité existerait pour certains employeurs de chercher à éviter de verser des cotisations patronales au régime général. En effet, le travailleur indépendant contribue à lui-seul au financement de sa protection sociale. Un renforcement de la réglementation sur le travail dissimulé devrait néanmoins contenir ce risque.
Dans le cadre de ce droit d’option général, il serait, par ailleurs, nécessaire de porter une vigilance toute particulière au calibrage de la cotisation, à un niveau « équivalent » aux parts salariale et patronale des salariés affiliés au régime général, en particulier pour écarter tout risque d’optimisation ou de pression à la baisse sur les rémunérations brutes comme nettes.
En revanche, cette option constituerait un levier intéressant d’harmonisation à terme de la protection sociale des travailleurs indépendants et de celle des salariés, qui aurait pour avantage la souplesse de son caractère optionnel, et pourrait le cas échéant renforcer le mouvement vers une protection sociale plus unifiée sans nécessité d’une fusion préalable des régimes.
A plus long termes, cette dernière option conduirait à parachever l’harmonisation des règles, en vue des régimes légaux de Sécurité Sociale des salariés et des travailleurs non-salariés (TNS) :
Cela implique :
→ d’aller vers une suppression du régime de Sécurité sociale des indépendants (RSI) et par conséquent l’intégration des TNS dans le régime de sécurité sociale.
→ d’adopter les mêmes prestations que pour les salariés, les commerçants, les artisans.
→de revoir le régime social des autoentrepreneurs pour que le niveau des garanties soit en harmonie avec celui des TNS.
Quelles collectes ? quels financements?
Outre ces questions de protection sociale liée à la transformation des emplois, les ressources de l’Etat-providence menacent de se tarir aussi du fait des capacités d’optimisation fiscale des grandes plateformes. A ce jour, les plateformes échappent en grande partie au fisc et à l’Urssaf, d’une part parce qu’elles profitent des législations nationales et de leur nature multinationale, et d’autre part parce qu’il est difficile de taxer la valeur qu’elle crée.
Selon le rapport de l'IGAS (1), trois facteurs font des plateformes collaboratives un secteur d’activités propice à la fraude :
Le volume et la fréquence des transactions que les plateformes collaboratives génèrent, augmentent le risque d’évasion ou de fraude
L’anonymat que permettent certaines plateformes, au bénéfice des non-professionnels facilite les intentions de fraudes :
Le caractère extraterritorial de ces plateformes et d’activités collaboratives constitue un obstacle à l’application du droit social français. Les travailleurs collaboratifs vendent des prestations et des services à des clients localisés à l’étranger.
Le travail collaboratif nourrit donc légitiment des inquiétudes en matière de recouvrement social et fiscal et par conséquent de financement de notre protection sociale. Ce constat pose la question suivante : faut-il faire preuve de laisser faire ou maintenir le statu quo afin de ne pas étouffer dans l’œuf ce secteur prometteur de l’économie collaborative ou au contraire poser dès aujourd’hui le cadre strict de ce secteur ?
Les plateformes et les activités collaboratives brouillent de nombreuses frontières entre les activités domestiques, les activités amateurs et les activités occasionnelles et professionnelles. L’affiliation au régime général repose sur l’existence d’un lien de subordination notion qui est unifiée en droit du travail et de la sécurité sociale, sauf exception résiduelles.
La situation ne paraît pas totalement insoluble, mais nécessite à la fois beaucoup de collaborations entre Etats, et beaucoup de créativité en matière de prélèvements fiscaux et sociaux.
Il faut d'abord distinguer plusieurs cas de figure au sein de cette économie collaborative qui amènent à des réponses différenciées.
Les travailleurs non-salariés de l’économie collaborative
Les travailleurs non-salariés (chauffeurs Uber, freelance sur Hopwork) sont affiliés au Régime social des Indépendants (RSI). En revanche, un flou juridictionnel émane des particuliers sans statut et des professionnels sur la question des revenus complémentaires et accessoires.
Dans un objectif de clarification, une harmonisation des critères de professionnalité entre les différentes branches du droit (droit du travail, droit de la sécurité sociale, droit commercial et droit fiscal) pourrait constituer une première étape.
Les particuliers sans statuts dans la vente en ligne
La question de la pratique des « faux particuliers » exerçant une activité commerciale en ligne a resurgit dans le débat au regard du manque à gagner en termes de recettes de sécurité sociale. La lisibilité de la répartition entre les activités dont le revenu est considéré comme professionnel – et par conséquent assujetti à cotisations et comportant obligation d’affiliation à la sécurité sociale – et un revenu non professionnel – qui sera seulement fiscalisé – nécessite d’être revu.
Les revenus générés par les activités accessoires ou occasionnelles sont aujourd’hui assimilés à des revenus professionnels (sous le régime de l’auto-entrepreneur par exemple) ou non (achat/revente d’occasion non commerciale, location de meublés,…).
Traditionnellement, le caractère professionnel d’une activité est marqué par la notion de régularité des revenus concernés, mais qui varie selon les activités et les réglementations (fiscales, sociales, commerciales…). Ce cadre hérité d’équilibres trouvés jusqu’ici activité par activité semble aujourd’hui insatisfaisant, et nécessite des adaptations (partie II-B).
Auparavant, les transactions issues des activités non-professionnelles étaient peu nombreuses et souvent opérées dans le cadre de l’économie informelle. Mais les plateformes collaboratives (Air Bnb, LeBonCoin, TokTokTok,…) ont changé la donne de ces transactions en termes d’échelle et de fréquences et nécessite aujourd’hui de poser un cadre clair au plan social.
La question du partage de frais
La base légale du partage de frais pour des plateformes comme (blablacar, Vizeat) est aujourd’hui très éparse et surtout de nature sectorielle. Par exemple, la Cour de cassation estime que les sommes versées à un conducteur par les personnes transportées indemnisent les frais réels supportés et qu’en l’absence de bénéfice cela rend les personnes non-imposables.
Il n’existe donc pas de base légale fiscale et de sécurité sociale.
L'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) souhaite sécuriser les revenus du partage au plan des cotisations en élaborant une doctrine sociale (et fiscale) qui fixe des plafonds d’exonération selon les modes de calculs adaptés à chaque secteur ou activité.
Néanmoins, cette mesure risquerait de donner un coup d’arrêt aux plateformes de partage alors même qu’il s’agit d’un domaine très dynamique et créateur de lien social. Le statut quo, reste à l’heure actuelle, la meilleure des solutions envisageables.
En revanche, des conventions pourraient être passées entre l’ACOSS et les URSSAF sur le principe de procédure de contrôle, de détection des abus, lorsque les sommes versées par les clients dépassent de manière disproportionnées le montant des mutualisations des coûts engagés.
LES PISTES D' EVOLUTION CONCERNANT LES PRÉLÈVEMENTS FISCAUX
options 1: Rénover les outils existants
Des régimes sociaux comme celui de la micro-entreprise ou du CESU (travaux chez les particuliers) existent déjà. A leurs origines, ces dispositifs simplifiés ont été conçus pour faciliter l’exercice et la déclaration de ces activités. Ils favorisaient l’affiliation des travailleurs, le traitement social de leurs revenus et l’acquisition de droits à prestation. Le chiffre d’affaires d’une micro-entreprise est limité à un certain niveau de ventes annuelles, passé ce seuil le statut de micro-entreprise peut être perdu.
Face aux risques de fausser le jeu de la concurrence, les conditions de réglementaires ont été durcit dans une logique de recherche de professionnalisation des auto-entrepreneurs.
De par leurs évolutions réglementaires, ces régimes sont moins bien adaptés aujourd’hui à la prise en compte d’activités occasionnelles. Un retour à l’esprit initial du dispositif de l’auto-entrepreneur pourrait à cet égard s’avérer utile, soit à travers un aménagement particulier du dispositif du CESU, soit à travers la création d’un statut additionnel encadré par un plafond de chiffre d’affaires de faible montant.
option 2 : Créer de nouveaux outils
- la création d’un seuil de revenu en deçà duquel l’activité occasionnelle serait présumée non professionnelle et ne donnerait en conséquence pas lieu à prélèvement social
Une première possibilité pourrait être de définir un seuil en deçà duquel l’activité accessoire serait présumée non professionnelle et ne donnerait en conséquence pas lieu à affiliation et prélèvement. Les revenus occasionnels en deçà du seuil annuel seraient exemptés de cotisations et contributions sociales, ce critère pouvant se conjuguer avec un second critère de fréquence d’actes de vente. Au premier euro dépassant le seuil, les obligations s’appliqueraient conformément au droit commun et les cotisations sociales auraient vocation à être acquittées sur la totalité du revenu, une variante possible, de type franchise, consistant à n’assujettir que les sommes supérieures à ce seuil.
Les députés ont récemment voté dans le cadre du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 (PLFSS 2017) un dispositif obligeant les particuliers qui louent ou vendent des biens sur les plates-formes collaboratives telles que Airbnb, Zilok (location d’objets entre particulier) ou Drivy (location de voiture) à s’affilier au régime social des indépendants (RSI) et à payer des cotisations sociales. Le texte prévoit le passage au RSI à partir de 7720 euros de revenus annuels pour la location de biens « meubles » (voitures, tondeuses, poussettes…). Pour les particuliers qui louent leur logement sur Airbnb, le seuil de déclenchement a été fixé à 23 000 euros.
Cependant, les seuils adoptés par les députés restent élevés et posent toujours des problèmes de distorsion de concurrence et de manque à gagner pour les organismes de recouvrement :
Afin d’être plus efficace fiscalement, au critère de seuil monétaire, pourrait s’ajouter un critère de fréquence de l’activité. Néanmoins, cette technique du double critère pour caractériser le caractère professionnel de l’activité, reste complexe à mettre en place.
En effet, la fréquence étant notamment à apprécier au cas par cas selon les biens vendus ou les prestations réalisées, et, dans le cas des plateformes, en faisant la somme des activités réalisées sur plusieurs plateformes.
La présomption du caractère non professionnel des activités serait donc laissée à l’appréciation des intéressés, ce qui multiplie les risques de fraude « passive ». Par ailleurs, les effets de seuil avec le passage d’une activité occasionnelle non imposée à une activité professionnelle imposée auraient un effet désincitatif avec des conséquences sur les finances publiques ;
Le Haut Conseil au Financement de la protection sociale propose une variante moins contraignantes mais praticable à très brève échéance qui consiste en l’adoption de plusieurs seuils d’affiliation selon la catégorie d’activité concernée (prestation de service, achat/revente, location de bien meuble notamment).
la création d’un prélèvement libératoire dans le cadre d’un régime de « micro-entrepreneur collaboratif »
L’IGAS prône pour la création d’un statut de micro-entrepreneur collaboratif ultra-simplifié pour des revenus inférieurs à 1500 euros par an. En-deçà, « le particulier devrait auto-liquider un prélèvement libératoire couvrant l’impôt sur le revenu et les cotisations sociales ».
L’éligibilité à ce nouveau régime serait fondée sur un critère unique (plafond de chiffre d’affaires annuel). Seraient donc concernés les revenus occasionnels avec, le cas échéant, un plafond différencié pour la prestation de services et pour l’achat/revente, afin de tenir compte des différences économiques entre ces deux grandes catégories d’activités (amortissement et coûts des inputs souvent plus élevés dans le cas de l’achat/revente).
Ce régime s’accompagnerait d’une simplification des formalités administratives de type CFE, inscription au registre des métiers des activités artisanales ou enregistrement des activités commerçantes au registre de commerce et des sociétés (article L. 121-3 du code de commerce) devraient être assouplies afin de ne pas tuer l’activité.
En contrepartie, le bénéficiaire s’acquitterait d’un prélèvement libératoire à taux proportionnel et réduit (de type micro-entreprise) avec une modalité de paiement en ligne simple.
Le statut de micro-entrepreneur collaboratif pourrait présenter l’avantage de la simplicité (exemption des formalités de démarrage d’activité), de la clarté (critère unique) et de la souplesse (prélèvement libératoire).
Néanmoins, il comporte le risque de créer une confusion de vocabulaire avec la « micro-entreprise », que ce régime ne ferait pas disparaître puisqu’il s’agirait d’un statut supplémentaire.
De plus, il présente un risque de conformité plus fragile au principe d’égalité, son bénéfice étant restreint aux activités occasionnelles. Cependant, ce prélèvement libératoire serait moins divergent de celui applicable aux activités professionnelles que la première option.
Enfin, un tel régime aurait l'avantage de résoudre la majorité des difficultés d’affiliation des travailleurs de plateformes collaboratives occasionnels et serait incitatif, dans le même esprit que le dispositif historique d’auto-entrepreneur, à la déclaration des revenus et au paiement des cotisations.
le tiers de confiance pour les services de l’État
La « ruche qui dit oui » (LRQDO) propose d’imaginer qu’à terme les plateformes dépasseraient ce rôle de transmetteur d’information et prennent elles-mêmes en charge la collecte de l’impôt. Ce que semble refuser pour le moment le gouvernement principalement pour des raisons techniques.
Le constat de la commission des Finances du Sénat dans son rapport sur l’économie collaborative est d’ailleurs positif à ce sujet :
“l’expérience de la collecte de la taxe de séjour par les plateformes Internet emporte des leçons de portée bien plus générale, pour toutes les nouvelles formes d’échanges sur Internet. Ce précédent à montré que les plateformes de mise en relation entre particuliers, qui sont la clé de voûte de l’économie collaborative, peuvent jouer un rôle de “tiers de confiance” dans la collecte de l’impôt”.
Il s’agit en effet d’un processus simple et efficace qui démontre qu’une modernisation des services de l’État dans le cadre de l’économie numérique est envisageable. LRQDO propose en conséquence que les plateformes de l’économie collaborative assistent les services de l’État en qualité de véritable tiers de confiance et rejoint ainsi la proposition.
"Au-delà des options proposées la redéfintion des critères de "dépendance économique" reste le cœur du sujet"
Comme nous l'avons vu le travail et les revenus tirés des plateformes collaboratives recoupent des situations très hétérogènes qui expliquent la difficulté à trancher pour une option plus que l'autre.
Mais c'est sans doute parce que la véritable question se situe dans la véritable qualification de la véritable du travail effectué sur ces plates-formes collaboratives.
Pour ma part, la solution se situe dans l'élaboration de lignes directrices justifiant le rattachement de certains indépendants au régime des « assimilés salariés » pour le cas des travailleurs comme Uber ou Deliveroo.
Il nous faut redéfinir les critères de « para-subordination » pouvant impliquer le rattachement de ces professions au statut de salarié.
La redéfinition des ces critères permettrait d'adopter une réflexion plus large sur la variété des formes de travail indépendant et le plus ou moins grand degré de dépendance économique qu'elles impliquent.
cette question dépasse le cas des travailleurs de plateformes collaboratives pour englober celle des relations contractuelles de sous-traitance.
Les relations contractuelles entre un donneur d’ordre et un sous-traitant, voire un client, ne sont plus sécurisées juridiquement.
Pour remédier à cette zone grise, Philippe Askenazy dans son dernier ouvrage "Tous rentiers : Pour une autre répartition de la richesse" propose la voie de la sécurisation par l’extension de la notion de coemployeur (établir la négociation collective au niveau centralisé du franchiseur plutôt qu’au seul niveau local des franchisés, au niveau des donneurs d’ordre plutôt que des seuls sous-traitants…). Il faut donc réarmer les travailleurs avec la mise en œuvre de nouvelles mobilisations du travail. Par exemple, permettre aux salariés qui sont souvent dans des PME ou chez un franchisé de pouvoir être en capacité de négocier directement avec la tête de franchise.
Pour rappel, la moitié des salariés du privé en France dépend d’un grand groupe français ou international que ce soit en termes de franchises ou comme une filiale contrôlé par un de ces groupes.
[1] OCDE synthèses sur l’avenir du travail – automatisation et travail indépendant dans une économie numérique.
[2] Rapport de France stratégie sur le CPA- octobre 2015
[3] Les contrats « article 83 » sont des produits d'épargne retraite mis en place par certaines entreprises, et qui permettent aux salariés de se constituer un supplément de pension pour leur retraite. Les versements peuvent provenir du salarié et de l'employeur, et bénéficient d'avantages fiscaux.



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