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Pourquoi les salaires stagnent?

  • Lanteri Lorenzo
  • 26 janv. 2017
  • 4 min de lecture



Aujourd’hui, on observe dans la grande majorité des institutions internationales (FMI, OCDE…) un changement notable, la question des inégalités est à l’ordre du jour alors qu’elle n’était pas précédemment un véritable sujet.


La question du partage de la valeur ajoutée entre revenus du travail et revenus du capital est abordée dans de nombreuses analyses concernant la croissance ou les inégalités. Mais la littérature économique fournit peu d’indications sur le partage qui s’effectue au sein des revenus primaires.



Philipe Askenazy dans son dernier ouvrage «Tous rentiers, pour une autre répartition de la richesse» critique le discours de naturalisation des inégalités à l’œuvre actuellement. Le discours ambiant relayé par des économistes, universitaires, personnalités publiques tend à légitimer les inégalités primaires de revenu. C’est-à-dire la distribution de la richesse produite sous formes de revenus du travail (en premier lieu les salaires) et du capital (intérêts, dividendes, loyers…), avant prélèvements obligatoires (impôts, taxes, cotisations sociales) et redistribution (prestations, allocations…).

Le paradigme des inégalités de revenus primaires


Cette naturalisation des inégalités primaires se fondent sur le postulat que certains seraient plus productifs que d’autres grâce au progrès technologiques dans le contexte de la mondialisation, parce qu’ils ont des talents et des compétences qui méritent normalement d’être de mieux en mieux rémunérés. Ce postulat englobe les revenus du travail mais également du capital puisqu’on considère comme normale que des entreprises du GAFA[1] accumulent des rentes astronomiques.


Pour Askenazy la création de nouvelles rentes capitalistes est favorisée par trois facteurs structurels: l’effondrement du bloc soviétique, l’effritement de la condition salariale et notamment l’affaiblissement corrélatif du mouvement syndical et enfin, l’essor des NTIC et les effets d’agrégation spatiale des activités économiques.


A l’autre bout, on a un discours extrêmement méprisant pour une grande partie du monde du travail qualifié de « travailleurs improductifs ». Le discours qui en découle est le suivant : ces travailleurs improductifs qui ne génèrent pas de gains de productivité et ne sont pas impactés par le progrès technologique doivent avoir une rémunération stagnante.




"l'exemple du garçon de café"




C’est ce postulat que Philipe Askenazy tente de déconstruire dans son ouvrage. Il s’attache à montrer comment les travailleurs dits « moins qualifiés » (ouvriers, employés) ont vu leur rémunération stagner alors que leurs conditions de travail se dégradaient et que leur productivité réelle augmentait.


Au cours de vingt dernières années, les exigences pour ces travailleurs ont considérablement augmenté alors que la capacité à y faire face (notamment en termes d’autonomie) reste faible voire diminue. En même temps, le niveau de formation initiale au sein de ces catégories de travailleur s’est élevé. Cela se traduit une exigence accrue de compétence et de mobilisation des compétences cognitives.


Prenons par exemple d’un garçon de café, celui-ci est désormais amené à maîtriser une voir deux langues étrangères et à utiliser des outils technologiques de paiement toujours plus sophistiqués dans l’évolution de son métier.


Le niveau de formation initiale au sein de ces catégories de travailleurs jugés « improductifs » s’est par conséquent élevé. Au total, pour ces travailleurs, la relative stagnation de la rémunération ne saurait être interprétée comme reflétant celle de leur productivité. En réalité, le volume et la qualité (notamment en termes de complexité du service offert) ont augmenté sans que nécessairement le salaire croisse.


Les inégalités primaires de revenu sont en train de devenir un problème macro-économique en créant une spirale déflationniste, la baisse du coût du travail entraînant une chute de la demande qui annihile les capacités de croissance. Les seules réponses gouvernementales ont été de corriger les inégalités secondaires par le biais de la redistribution mais dans un contexte de fronde général contre l’impôt ces solutions ont trouvé leurs limites.




Comment inverser le paradigme?



Plus que la disparition du salariat, c’est l’éclatement de la figure de l’employeur, qui minerait avant tout le rapport de force des salariés. Askenazy propose d’y remédier par la sécurisation de l’extension de la notion de coemployeur (établir la négociation collective au niveau centralisé du franchiseur plutôt qu’au seul niveau local des franchisés, au niveau des donneurs d’ordre plutôt que des seuls sous-traitants…).


Il faut donc aller plus loin pour Philippe Askenazy et remettre en cause la distribution de la propriété au sens large :

  • Revenir sur le droit de propriété des entreprises en matière de données personnelles

  • Remettre en cause certaines modalités des brevets (théorie du bien commun, protocole de Nagoya)[2]


Mais là où Philipe Askenazy diverge de Thomas Piketty c’est sur l’imposition des patrimoines. En promouvant, une société du « tous propriétaires » et d’accès à une généralisation d’accès à la propriété, la France a créé les blocages démocratiques et institutionnel à toute tentative de fiscalisation des successions et du foncier rendant difficile toute réforme fiscale sur ce sujet.


La question que pose Phillipe Askenazy est finalement celle de la maîtrise du partage de la valeur ajoutée dans une économie en partie globalisé.


Il nous faut donc refonder un nouveau contrat social qui intègre une réflexion sur la question du juste partage de la valeur créée. Gaël Giraud et Cécile Renouard proposent de limiter les écarts de rémunération dans une fourchette allant de 1 à 12.


Une telle mesure viserait à augmenter les bas salaires et à plafonner les hautes rémunérations au maximum à 12 fois la rémunération la plus basse. Actuellement, les minima sociaux sont loin des critères d’une vie décente. Un rapport de l’Observatoire national de la Pauvreté et de l’Exclusion sociale (ONPES) daté de 2014-2015 révèle, en effet, que le budget décent pour un couple avec deux enfants se situe entre 3 284 et 3 515 euros selon qu’il habite dans du logement social ou non (il est entre 2 599 et 2 830 euros, pour une famille monoparentale et 1 569 et 1 816 euros pour une personne seule retraitée).






[1] GAFA : acronyme constitué des géants du web les plus connus (Google, Apple, Facebook, Amazon)


[2] Le protocole de Nagoya vise à lutter contre la bio-piraterie, que l’on peut qualifier comme «l’appropriation illicite des ressources génétiques (RG) et des savoirs traditionnels qui y sont attachés par le biais des droits de propriété intellectuelle, notamment le système de brevets, sans partage des bénéfices». La France en fait officiellement partie depuis le 29 novembre 2016.

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