Le Conseil Constitutionnel a t-il décidé de mettre définitivement fin à la désignation en matière de
- Lorenzo lanteri
- 10 janv. 2017
- 6 min de lecture

Il n'y aura finalement pas de retour des clauses de désignation en prévoyance. Le conseil constitutionnel a censuré ce mécanisme dans son examen du Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017. Le parlement avait donné la possibilité aux partenaires sociaux d'imposer à toutes les entreprises d'une branche le choix entre seulement deux opérateurs d'assurance. Le conseil a estimé que cette disposition n'avait pas sa place dans une loi de financement de la sécurité soiclae. La probabilité d'un nouveau vote du parlement en ce sens apparaît de plus en plus compromise au regard de l'interprétation des "sages".
Dans le cadre de l’examen sur la loi de sécurisation de l’emploi, le Conseil Constitutionnel avait censuré la mise en œuvre d’une désignation en complémentaire santé. Par ricochet, la censure avait donc remis en cause l’organisation de la prévoyance collective.
C’est dans ce contexte et sur demande gouvernementale que l’ancien directeur de la Sécurité Sociale Dominique Libault avait rédigé un rapport sur la solidarité et la protection sociale complémentaire collective (septembre 2015) proposant entre autres, un retour partiel aux clauses de désignation (la co-désignation).
Un nouvel amendement au PLFSS 2017 avait été adopté dans ce sens. La ministre de la Santé des Affaires sociales et de la Santé et les autres partenaires sociaux avaient de bonnes raisons d’espérer que le nouveau dispositif soit conforme aux normes supérieures.
Néanmoins dans leur décision du 23 décembre, les Sages l’ont jugé contraire à la Constitution.
La censure d’un cavalier social
L’article 32 met en place un mécanisme de clause de désignation pour les accords collectifs complémentaires d’entreprise en matière de prévoyance. Toutefois, si cet article oblige les entreprises de la branche professionnelle ou interprofessionnelle qui a conclu un tel accord à adhérer au contrat d’assurance complémentaire proposé par l’un des organismes de prévoyance désigné par l’accord, il n’oblige pas les branches professionnelles ou interprofessionnelles à conclure un tel accord. Ces dispositions ont un effet trop indirect sur les recettes des régimes obligatoires de base ou des organismes concourant à leur financement. Elles ne relèvent pas non plus des autres catégories mentionnées au paragraphe V de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. Dès lors, elles ne trouvent pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale. Elles sont donc contraires à la Constitution.
Voici comment est justifiée la décision du Conseil Constitutionnel:
Le Conseil a bien rappelé que ce mécanisme de désignation concernait un organisme concourant au financement de la sécurité sociale en l’occurrence les institutions de prévoyance. Cependant, il a jugé que son effet était “trop indirect” pour entrer dans le champ d’une loi de financement de la sécurité sociale. Sans se prononcer sur sa constitutionnalité, il l’a donc écarté de la loi. Les Sages ne se sont donc pas prononcés sur le fond de l’article 32.
Néanmoins, en se prononçant pour la troisième fois contre le principe de désignation, comme il l'avait fait en 2013, le Conseil constitutionnel semble consolider sa jurisprudence sur ce sujet.
Il rend ainsi difficile une éventuelle réintroduction de ces clauses de désignation dans un nouveau projet de loi d'ici à la fin de la législature.
L’inconstitutionnalité de la désignation en creux
Le raisonnement tenu par le Conseil Constitutionnel pour justifier cette qualification de “cavalier social” repose sur l’idée que la loi n’obligeait pas les branches à désigner.
En d’autres termes, si l’article prévoyait des désignations obligatoires dans toutes les branches, le dispositif aurait trouvé sa place en loi de financement de la sécurité sociale et aurait été examiné sur le fond.
Ce raisonnement implique en effet que c’est le caractère “libre” des désignations qui les rend étrangères au principe même de la sécurité sociale et de sa loi de financement.
Dès lors que les organismes assureurs dans le domaine de la prévoyance n’ont pas de caractère obligatoire et sont sans incidences directs sur les organismes concourant au financement de la sécurité sociale, ils ne relèvent pas du financement de la sécurité sociale. Leur caractère facultatif ne les inclut donc pas dans la sécurité sociale.
Le Conseil constitutionnel renforce donc sa jurisprudence en matière de protection sociale complémentaire de branche. Il considère celle-ci étrangère au champ de la solidarité reconnue par la puissance publique devant ainsi relever des règles normales du marché et de la concurrence.
Quelles implications en matière de Prévoyance ?
Cette situation va avoir un impact négatif sur le dialogue de branche en matière de couverture prévoyance. Les branches ne sont plus en mesure de confier à un opérateur unique la gestion de leur protection sociale prévoyance.
Elles risquent donc de se désinvestir de ce champ, au profit d’un dialogue entre les entreprises et les assureurs.
"généralisation de
l’antisélection et
risques d’inassurabilité"
Ce désinvestissement risque de produire un cercle vicieux. En effet, les entreprises au bon profil de risque -salariés jeunes- se verront offrir des tarifs de particulièrement intéressants par des assureurs, elles quitteront alors l'opérateur historique désigné dans le cadre de la branche. L’opérateur historique se retrouvera ainsi avec le "mauvais risque", ce qui lui imposera d'augmenter encore ses tarifs, rendant finalement l'assurance impossible pour certaines entreprises, car trop coûteuse.
En outre, les écarts de tarification peuvent être beaucoup plus substantiels en prévoyance qu’en santé alors que le système de désignation se serait imposé à toutes les entreprises, avec, à la clé, un tarif unique, et une mutualisation du risque.
La plupart des assureurs admettent que le risque pour certaines petites entreprises à très fort risque de ne pouvoir s’assurer est réel.
"La fin des fonds
de solidarité
dans les branches"
Pour rappel, les régimes de branches peuvent mettre en place des droits non contributifs destinés à assurer une solidarité professionnelle qui va au-delà des exigences légales.
Ces prestations extra légales peuvent être financées selon différentes modalités (cotisations de solidarité, prélèvement sur les réserves,…) mais reposent en toute hypothèse sur un « pot commun », souvent dénommé "fonds de solidarité".
En l’absence de clauses de désignation, la constitution d’un tel fonds est rendue difficile voir impossible pour des raisons opérationnelle. En effet, l’établissement de droits non contributifs est facilitée, si ce n’est est rendue possible, grâce à un assureur unique qui couvre l’ensemble de la branche. Si plusieurs assureurs sont en concurrence au sein d’une même branche, comment organiser la solidarité ?
C’est une des questions essentielles posée par la censure des clauses de désignation, à laquelle l’article 32 du PLFSS se proposait de répondre mais dont la dernière décision du conseil constitutionnel a ajourné la réponse.
"un changement de
comportement
des assureurs et
des employeurs"
Les assureurs seront désormais légitimement tenter d’imposer une cotisation beaucoup plus élevée en prévoyance à une entreprise du fait des caractéristiques de ses salariés, au motif que le risque présumé ou réel serait plus élevé que pour d’autres entreprises.
Le risque prévoyance est en train de devenir un élément de différenciation du coût du travail par les différences de tarifications spécifique à la couverture du risque prévoyance.
ce risque de différenciation pénalisera sans doute l’embauche de salariés dont le profil est susceptible d’entraîner une hausse des primes prévoyances (seniors, invalides).
Une dernière alternative les conventions de sécurité sociale
A l’heure actuelle, une solution alternative pourrait exister celle d’insérer dans le livre IX du code de la sécurité sociale un titre donnant un sens précis à la « convention collective de sécurité sociale ».
La jurisprudence européenne de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJCE) reconnait que la constitution d’un régime additionnel de sécurité sociale, mettant en place un « haut degré de solidarité » comme conforme regard du droit de la concurrence, en raison de la nature et l’objet de l’accord qui est à forte finalité sociale.
Ces « conventions collectives de sécurité sociale », pour être reconnues seraient soumises à un cahier des charges strictement défini. elles obligeraient qu’un taux significatif des dépenses du régime (au moins 10%) soit consacré à des dépenses de prévention, d’action sociale et à la prise en charges des cotisations de certains publics et que les cotisations soient liées aux revenus.
Ce n’est pas le cas dans toutes les branches aujourd’hui en matière de prévoyance.
Cette définition est importante car c’est par là que prend une signification concrète le haut degré de solidarité, d’autant que le droit de la négociation collective est identifié par la charte des droits fondamentaux comme étant un des instruments de la solidarité.
Cependant, ces « convention de sécurité sociale » mettront probablement fin à la gestion des partenaires sociaux du risque prévoyance au profit du ministère des affaires sociales et de la santé.



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