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De quoi le non-recours est-il le non?

  • Lorenzo Lanteri
  • 14 déc. 2016
  • 5 min de lecture

Mal connu, longtemps dénié par les décideurs et les organismes de protection sociale, le non-recours aux droits est resté longtemps un phénomène invisible. Sa récente prise en compte a permis de questionner la pertinence de nos dispositifs de protection sociale et de transformer les métiers du social.

Le non recours est un phénomène qui renvoie à la situation de personne qui sont éligibles à des offres publiques et qui en tout état de cause n’en bénéficie pas. Par offres publiques, on n’entend les prestations mais également les services. L’étude de ce phénomène nous amène à nous interroger sur les aides publiques mises en place par des acteurs à destination de populations qui en auraient besoin et qui ne s’en saisissent pas.


"L’étude du non-recours est un bon

moyen de questionner les droits et les

méandres de notre système de protection sociale."



Cependant la prise en compte de cette problématique par les décideurs et les organismes de protection sociale n’est pas allée de soi. Avant-même d’étudier le pourquoi il fallait admettre son existence. Il y’a eu d’abord une forme de déni. Ceci tient à la spécificité française de croire que la mise en place d’un droit ou d’un service débouche systématiquement sur son utilisation. Notre système de couverture santé publique à l’ambition de couvrir toute la population, pour parvenir à cet objectif les pouvoirs publics ont créés au fil de l’eau une série de dispositifs qui se sont superposés les uns aux autres au fil des années sans réduire substantiellement le non recours.


Pourquoi ? Parce qu’on ne s’est pas suffisamment interrogé sur le chemin à parcourir pour accéder à ces droits et services, ni sur les dispositifs en eux-mêmes.


Finalement regarder ce qu’il se passe auprès des non-recourants, nous dit quelque chose d’intéressant sur nos politiques publiques et sur les dysfonctionnements administratifs des organismes de protection sociale qui produisent ce phénomène.


Les organismes de protection sociale ont progressivement changé de vision sur cette question. Il y’a d’abord eu une forme de déni du phénomène. Il y’a eu une forme d’aveuglement des organismes de protection sociale qui ont préféré lutter contre la fraude.


Lutter contre le non-recours était initialement perçu comme une source potentielle de coût supplémentaire (augmentations des bénéficiaires) alors qu’en réalité c’est une source de gains potentiels pour les organismes de protection sociale.



Dans le domaine de la santé, on sait que le renoncement aux soins provoque mécaniquement une dégradation de l’état de santé qui impliquera une prise en charge potentiellement plus coûteuse pour l’Assurance maladie. Agir sur le non-recours en matière de santé relève ainsi d’une logique de prévention qui permettra de dépenser moins à plus long termes.



Ensuite parce que les retours de dossiers et leurs incomplétudes ont également un coût pour les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM).



"A cet aveuglement initial s’est ajoutée une

autre forme de difficulté l’invisibilité du

phénomène dans la mesure où le non-recours

était par essence inquantifiable."



On ne pouvait recourir aux instruments statistiques classiques c’est pour cela que l'Observatoire des non-recours aux droits et services (ODENORE) a mis en place ses propres instruments et protocoles pour mesurer le phénomène. Ils ont pu établir ainsi des fourchettes ; par exemple selon le territoire le taux de non-recours à la CMU-C varie entre 15 et 30%, pour l’Aide à la Complémentaire Santé (ACS) on se situe entre 60 et 70%.


Quand on se situe à des niveaux aussi hauts pour le cas de l’ACS, ce n’est plus l’effectivité du droit qu’il faut questionner mais sa pertinence.



Il est très difficile d’établir un portrait-robot ou de « profiler » les non-recourants. Le non-recours ne se rapporte pas à un phénomène monobloc. Il regroupe des situations très variables. Penons Dans le cas de « la non réception », par exemple, lorsque les usagers connaissent les prestations et services auxquels ils sont éligibles, déposent une demande mais n’obtiennent pas, ou partiellement ce à quoi ils ont potentiellement droit : dans ce cas-là nous nous n’avons pas à faire à des populations extrêmement marginalisées.



Pour ce qui est de « la non connaissance » lorsque les personnes ignorent tout bonnement la prestation ou le service auxquelles, elles ont le droit on se situe davantage vers des publics isolés. Dans le cas du non-recours aux soins, les personnes en situation de fragilité avec l’emploi vont être plus souvent touchées.


Les personnes qui connaissent des environnements familiaux particuliers, les familles monoparentales sont particulièrement exposées avec les conséquences que l’on connait sur les jeunes enfants notamment en termes de santé bucco-dentaires.


L’isolement et la précarité relationnelle renforce également fortement les probabilités de non-recours. L’environnement social joue en effet, un rôle important. C’est souvent par un ami ou un membre de sa famille que les personnes apprennent l’existence d’une aide ou d'une prestation.



Enfin, en ce qui concerne la jeunesse, les périodes de décohabitation où les enfants partent de chez leur parent s’accompagnent souvent de situation de non-recours.



Heureusement depuis quelques années les choses ont bien changé et la prise de conscience des organismes de protection sociale a contribué à l’émergence de dispositifs expérimentaux sur ces questions.


Les organismes sociaux ont progressivement été sensibilisés à la question du non recours et cela les a aidés à regarder les dysfonctionnements et à faire autrement. Les organismes de protection sociale et l’assurance maladie en tête ont pris conscience qu’ils avaient à y gagner en termes d’efficience.



L’ODENORE a travaillé avec l’étroite collaboration de la direction et du conseil de la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) dans le département du Gard au déploiement de la Plateforme d'intervention départementale pour l'accès aux soins et à la santé (PFIDASS). L’idée était de mettre en place des dispositifs de détection du renoncement aux soins en impliquant les travailleurs du social et les professionnels de santé. Les situations repérées font l’objet d’une saisine de la PFIDASS, structure gérée par la CPAM qui en concertation avec les acteurs détecteurs propose des réponses adaptées aux besoins identifiés des renonçants.



L’autre objectif de la démarche consistait en ce que les personnes détectées soient amenées à se réapproprier les questions relatives à leur santé afin de les remettre dans des parcours de soins et de santé. Aujourd’hui la PFIDASS a vocation à être généralisée. A l’échelle nationale, l’Assurance maladie chapeaute toutes ces initiatives par le biais de son Plan Local d'Accompagnement du Non recours, des Incompréhensions, des Ruptures (PLANIR).


"Les actions sur le non-recours ont même permises

de modifier la manière de travailler

des organismes de protection sociale."



Les transformations du travail entraîné par la PFIDASS ont été ressenties positivement par les agents de la CPAM. D’abord, ce dispositif a permis de recruter à l’extérieur notamment des profils d’éducateurs spécialisés. La PFIDASS s’est également traduite par une montée en compétences des agents en interne avec des formations spécifiques au métier d’accompagnants. Ce métier était inconnu dans les CPAM, il a fallu le construire à part entière.



Les agents ont ainsi adopté une vision complémentaire entre l’accompagnement social global et le traditionnel accompagnement administratifs à la réalisation de soins.


Finalement, la question du non-recours peut questionner notre système de protection sociale et sa capacité à se diriger vers les destinataires, et en particulier vers ceux qui manquent à l’appel.






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