Jeunesse, vieillesse pour une refondation du pacte entre les générations
- Lorenzo Lanteri
- 13 juin 2016
- 9 min de lecture

Source: Patrick Zachmann, So long China 1982-2015
« Notre système de protection sociale sacrifie-t-il sa jeunesse ? » France Stratégie, (l’ex-Commissariat au Plan) l’institution en charge de la prospective rattachée à Matignon posait le débat en ces termes dans une note consacrée à la protection sociale entre les différentes générations. Dans une société où la jeunesse est généralement « sanctifiée », l’utilisation du qualificatif « sacrifié » pouvait surprendre et renvoyait au fameux débat sur l’équité intergénérationnelle. S’agissait-il de lever un tabou sur notre système de sécurité sociale ou d’opposer les générations ? Plutôt qu’une réelle malveillance ou d’un oubli volontaire ou involontaire de la jeunesse dans nos politiques sociales, c’est bien leurs capacités à prendre en charge les nouveaux risques qui doit nous interroger !
Quelle place pour la jeunesse dans notre système de protection sociale ?
Avant toute-chose, les experts s'accordent sur le constat que les jeunes rencontrent bel et bien des difficultés spécifiques. Les points de diagnostic sont les suivants : on observe une indéniable précarisation de la jeunesse sur le front de l’emploi. En France, le risque d’être pauvre est aujourd’hui beaucoup plus élevé chez les jeunes que chez les personnes âgées. Le taux de pauvreté, au seuil de 60% du revenu médian, frappe 20% des femmes de 18 à 29 ans et 17,3% des hommes dans cette même catégorie d’age. Il est de 7,4% pour les femmes de 60 à 74 ans et de 7,8% pour les hommes dans cette même tranche d’age.
La pauvreté s’est en effet concentrée sur les jeunes et les enfants. On constate également une croissance des écarts de salaires entre les juniors et les seniors. Ce qui est d’autant plus préoccupant c’est que l’on constate une forte reproduction intergénérationnelle de ces inégalités.
Nos dépenses de protection sociale se sont indéniablement concentrées sur les personnes âgées. Sur la période 1979- 2013, force est de constater que la quasi-totalité de l’augmentation des dépenses de protection sociale est allée à la retraite et à la maladie (vieillissement). Sur les trente dernières années, les dépenses de protection sociale consacrées aux plus de 60 ans sont ainsi passées de 11 % du produit intérieur brut (PIB) en 1979 à 17,2 % en 2011, quand celles au bénéfice des moins de 25 ans tombaient dans le même temps de 4 à 3,6 % du PIB, hors dépenses d’éducation.
Cependant, quelques éléments viennent nuancer ce constat alarmiste :
Tout d’abord, il n’est pas pertinent d’appréhender « les jeunes » comme une catégorie sociale homogène. Il existe plusieurs jeunesses. Les jeunes constituent une classe d’age qui présente une très forte hétérogénéité de situations en terme de ressources mais également de capacité à agir.
Ensuite, l’apparition de multiples dispositifs de formation et l’importance grandissante de la mobilité internationale nécessitent de dédramatiser la situation actuelle de la jeunesse. Deux tiers des jeunes font leur entrée sur le marché du travail dans des conditions satisfaisantes.
Rappelons également que les difficultés que rencontrent la jeunesse sont « passagères » (insertion) alors qu’elles prennent un caractère définitif chez les personnes âgées (dépendance).
Il faut également manier avec prudence les données sur le niveau de vie des jeunes face à l’absence de connaissance sur les transferts familiaux. Les flux financiers privés se sont inversés : d’une logique ascendante des enfants vers les parents, ils sont devenus descendants des parents vers les enfants.
A un âge donné, le niveau de vie continue d’augmenter de générations en générations mais ce qui s’est dégradé en réalité c’est la situation des jeunes par rapport aux personnes âgées. Depuis la crise de 2008, le taux de pauvreté des retraités a baissé, alors que les revenus ont stagné chez les actifs et le taux de pauvreté des jeunes a augmenté.
Enfin, les jeunes ne sont pas les seuls pour qui la situation s’est dégradée. Les dernières données révèlent l’apparition d’un chômage structurel au sein des seniors, certes moins massif que pour les jeunes mais avec des situations de retour à l’emploi beaucoup plus compliquées. Le chômage de cette « génération pivot » en charge d’enfants, de petits enfants et de parents constitue une faille importante dans notre système de solidarité qu’il nous faudra appréhender rapidement.
Les dernières réformes vont contribuer à baisser le niveau des pensions des retraités. Certains expliquent que cette iniquité générationnelle en termes de niveaux de vie entre jeunes et personnes âgées devrait par conséquent s’atténuer dans les prochaines années. Néanmoins cet argument n’est pas recevable dans la mesure où les leviers mobilisés tels que l’allongement de la durée de cotisation et l’élévation de l’âge du droit à la retraite viseront les futurs retraités, et parmi ceux-ci les jeunes qui ne sont pas encore insérés sur le marché de l’emploi. En réalité, les réformes des retraites intervenues depuis 2003 ont encore amplifié ce déséquilibre entre jeunes et personnes âgées.
Même si notre système de protection sociale concentre une grande partie de ces efforts sur les personnes âgées, on ne peut pas parler « d’ostracisme » volontaire des dépenses sociales à l’égard des jeunes. La véritable question c’est l’incapacité de notre modèle social à prendre en compte les nouveaux risques sociaux, qui touchent plus fortement la jeunesse.
Un système de protection sociale en incapacité d’appréhender les nouveaux risques sociaux
Notre modèle de protection sociale reste encore trop dépendant de la famille. D’ une part, les aides à destination de la jeunesse demeurent essentiellement captées par la famille ne favorisant pas ainsi l’autonomie. De nombreuses prestations sociales ne sont, en effet, accessibles pour les jeunes que par le biais de leurs parents, notamment dans le système d’attribution des bourses.
D’autre part, les transferts vers la jeunesse sont majoritairement privés, principalement familiaux alors que les solidarités envers les personnes âgées sont socialisées. Cette familiarisation de la solidarité envers les jeunes renforce les inégalités entre les jeunes tout en contribuant à la mécanique de reproduction sociale. Les familles aisées ont davantage de moyens financiers et de capital social pour aider leurs membres qu’une famille en difficulté, où les jeunes sont plus susceptibles de rencontrer des difficultés.
L’augmentation de l’espérance de vie et son corollaire, le vieillissement de la population ainsi que l’insertion tardive des jeunes sur le marché du travail ont fait voler en éclat le pacte générationnel de 1945 qui reposait sur 3 générations (enfants/actifs/retraités). Il convient de raisonner aujourd’hui sur 5 générations coexistantes (enfants/jeunes/actifs/retraités/âgés dépendants).
Notre système de protection sociale n’est pas capable d’appréhender un nouvel âge de la vie, délimité par la sortie de la scolarité obligatoire à l’obtention d’un premier emploi stable.
Certains rétorqueront que tout le monde a été jeune mais ils oublient que les risques sociaux qui caractérisent cette période ont beaucoup évolué. « L’âge des galères » dont parle François Dubet est marqué par des transitions difficiles de décohabitation, de ruptures, de mobilité et d’emplois précaires susceptibles d’entraîner des risques de pauvreté, de rupture de droits et de chômage. Les droits sociaux des jeunes sont encore trop rigidifiés par les statuts alors que leurs trajectoires sont faites de multiples allers-retours entre des situations d’études/d’emplois et de chômage.
Le rôle d’une protection sociale rénovée ne consiste donc plus à se limiter à une politique d’indemnisation du risque, elle doit se donner l’ambition de doter les personnes d’un ensemble de ressources pour les mettre en « capacité » d’agir dans cet environnement caractérisé par l’instabilité, où le certain est l’incertitude. Il faut donner aux citoyens la capacité de devenir les « entrepreneurs de soi».
La justice sociale de demain sera celle de la lutte contre l’irréversibilité des parcours de vie. Il faut renforcer les dispositifs de « seconde chance » à destination des moins qualifiés pour pouvoir leur donner l’opportunité de reprendre des études plus longues et les doter d’un socle de compétences transversales. La France est à la traîne dans l’émergence d’un droit à « la seconde chance ». Les dispositifs existants tiennent davantage d’une logique de rattrapage plutôt que de véritables reconversions.
La principale difficulté pour les jeunes est celle de la lisibilité des droits sociaux face à l’empilement des différents dispositifs d’insertion professionnelle. Cette complexité du système s’explique par la multiplicité des statuts spécifiques à la population des 16-25 ans. Le parcours des jeunes est de moins en moins linéaire et la diversité des trajectoires individuelles à tendance à complexifier la prise en compte en compte les différentes situations que traversent les 16-25 ans. La multiplicité des acteurs génère une certaine forme de découragement qui explique largement la supériorité des taux de non-recours aux droits sociaux chez les jeunes.
Avant 25 ans, les jeunes connaissent une forme « d’injonction paradoxale » ; majeurs depuis 18 ans en termes de citoyenneté, ils sont dans le même temps exclus des minimas sociaux. Cette situation leur confère un statut de « mineur social » pour reprendre l’expression d’Antoine Dulin. Par ailleurs, le Revenu de Solidarité Active (RSA) ne fait pas sortir de la pauvreté contrairement au minimum vieillesse. Les montants d’attribution du RSA devraient être sensiblement augmentés pour les "jeunes familles" avec enfants.
Enfin, la dette publique constitue un fardeau pour les nouvelles générations. La dette sociale reste néanmoins la partie de la dette qui est la plus sous-contrôle. Cette considération n’enlève rien à l’impératif absolu de réduction des déficits mais les gisements d’économies sont davantage à chercher du côté de l’Etat et des collectivités territoriales qu’au sein des organismes de protection sociale.
Une refondation du pacte générationnelle qui dépasse le champ de la Protection sociale
Mais les difficultés rencontrées par la jeunesse dans le domaine de la protection sociale ne se limitent pas à la confrontation avec les personnes âgées sur le champ des politiques sociales. Elles dépassent le cadre de la protection sociale et ont pour origine le ralentissement économique et la désindustrialisation.
Les choix faits en matière de politique macroéconomique comme de politique industrielle ont provoqué une dégradation du marché du travail dont les jeunes constituent la variable d’ajustement.
Les directions d’entreprises pour faire face au ralentissement économique ont opté pour le développement des emplois précaires et la sous-traitance. Les politiques successives d’exonération de cotisations sociales pour diminuer le coût du travail et développer l’emploi aidé n’ont pas amélioré l’employabilité des jeunes, elles ont même eu tendance à « dualiser » le marché du travail.
La question de la formation doit être également abordée de manière frontale. L’enseignement supérieur n’a pas reçu les moyens de sa massification. Notre système universitaire reste encore trop élitiste et repose sur le poids des Grandes écoles, véritable fabrique de la reproduction sociale à la française.
Le logement constitue une défaillance majeure de la protection sociale. L’offre de logement à destination de la jeunesse reste très limitée. D’une part, les jeunes n’ont pas la stabilité requise par les bailleurs privés ; le CDI représentant le seul et unique sésame pour l’accès au logement.
D’autre part, le logement social bénéficie peu aux jeunes contrairement aux pays scandinaves. Par ailleurs, les aides personnalisées au logement (APL) ont généré des effets pervers en termes d’inflation des loyers. Les propriétaires ont en effet profité de cette aide aux locataires pour augmenter le prix des loyers. Comme le suggère Bruno Pallier, les 16 milliards d’euros de dépenses d’APL budget de l’Etat devraient être reflechées vers un système de caution publique.
Enfin, la question du logement ne peut faire fi de la réflexion sur la segmentation entre des personnes âgées propriétaires et « jeunes et moins jeunes » mal logés ou locataires et nous invite à repenser la question de la fiscalité du patrimoine à un moment où l’on observe une patrimonialisation croissante de la société française. Les politiques d’incitations aux donations précoces peuvent résoudre partiellement le problème de l’accès au logement mais elle ne serait résoudre celle des inégalités au sein de la jeunesse.
La guerre des générations n'aura pas lieu
Contrairement à ce que les tenants de « la guerre des générations » avancent le sort des jeunes et des personnes âgées ne sont pas liés et ne doivent pas l’être. Les iniquités intergénérationnelles ne doivent pas évacuer la question des inégalités au sein même des générations et de leur perpétuation dans le temps. C’est notre modèle de protection sociale qu’il faut redéployer.
« Comment recomposer des protections qui imposeraient des principes de stabilité et des dispositifs de sécurité dans un monde à nouveau confronté à l'incertitude des lendemains ? ».
Il y’a 13 ans, Robert Castel soulevait déjà ce questionnement dans son ouvrage « L'insécurité sociale. Qu'est-ce qu'être protégé ? »
Les dépenses publiques de retraite doivent être liées aux investissements publics d’éducation et de formation. La refondation du pacte générationnel passe par la création de contreparties à l’augmentation des dépenses de protection sociale liées au vieillissement par des investissements en formation en faveur des plus jeunes.
Parent pauvre du système français de protection sociale, la formation doit être au cœur du nouveau contrat social. Le simple fait de ne pouvoir accéder à la formation constitue un risque social. L’accompagnement des transitions personnelles et professionnelles doit donc intégrer dans la nouvelle génération des droits sociaux afin de constituer un socle de promotion.
Une réforme de la protection sociale dans un sens plus individualisé ne pourra faire fi d’une réforme fiscale en parallèle. Il faut œuvrer pour un rééquilibrage du modèle envers les jeunes, les femmes et les enfants.
Le reflèchage du financement de la protection social doit également s’accompagner d’une réorientation du modèle fiscal. Une fiscalité qui soit davantage en adéquation avec les futures orientations de la protection sociale.
Des travaux ont récemment montré que les avantages fiscaux liés à l'emploi à domicile étaient inéquitables. Cette politique s’avère infructueuse en terme de création d’emplois et bénéficie essentiellement aux ménages les plus aisés. Les 10% des populations les plus aisées bénéficient de 60% des avantages fiscaux liés aux services à domicile.
Parmi, les dépenses fiscales qui méritent d’être interrogé celle du quotient conjugal en fait partie, en plus de contribuer à maintenir une inégalité entre les hommes et les femmes au sein du foyer, il crée de fait une inégalité entre les mariés et le reste de la population.
De son côté, le quotient familial reste encore trop souvent filtré par les parents au lieu de bénéficier directement aux jeunes.
Enfin, face à la patrimonialisation de notre société, il faut davantage faire participer les ressources patrimoniales à la politique de financement de l’investissement social.
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