Comment notre système de santé va t-il pouvoir relever les défis de l'innovation thérapeutique?
- Lorenzo Lanteri
- 2 juin 2016
- 7 min de lecture

En France, la durée de vie des personnes atteintes de cancer augmente et c’est un progrès - elle est désormais de 5 ans dans la plupart des cas. Cette progression s’explique par l'accès égal et gratuit aux innovations thérapeutiques. Cependant, cette situation pourrait être remise en cause devant l’augmentation constante du prix des nouveaux traitements.
Notre système de santé subit depuis un certain nombre d’années une tension entre les ressources dont ils disposent et les dépenses dont ils s’acquittent. Cette tension s’est récemment accrue avec le progrès médical et l’apparition de nouvelles innovations de plus en plus coûteuses. En effet, l’arrivée de nouveaux traitements toujours plus onéreux à un rythme toujours plus soutenu risque de poser des questions de sélectivité et d’accès pour tous aux innovations.
Générer des gains d’efficience du côté de l’Assurance maladie
Si nous voulons éviter les logiques de « panier de soins sélectifs » et de durcissement des modalités de financement des nouveaux traitements il faudra aller plus loin dans la recherche de gisements d’économies. Toute la question est donc de mettre notre système de santé en capacité de générer des gains d’efficiences afin de pallier aux coûts de ces nouveaux traitements.
Le développement des alternatives à l’hospitalisation complète en fait partie. Ces alternatives comprennent l’hospitalisation à temps partiel dont la chirurgie ambulatoire, l’hospitalisation à domicile, une meilleure gestion de la permanence et des structures de soins en aval de l’hôpital.
Dans sa gestion du risque, l’Assurance maladie a déjà mis en œuvre des techniques organisationnelles pour faire progresser l’ambulatoire comme c’est le cas pour l’opération de la cataracte ou le programme Prado (Programme d'accompagnement de retour à domicile). Le développement de la chirurgie ambulatoire reste néanmoins encore trop concentré sur quelques gestes marqueurs.
Il faut aller plus loin et cela passe par une réflexion globale qui aille au-delà d’une vision cloisonnée ville-hôpital. L’épidémie des maladies chroniques nous amène à raisonner en termes de pathologies en adoptant une analyse médicalisée des dépenses autour de ces pathologies. Innovation thérapeutiques et organisations de soins sont intiment liés.
Les nomenclatures dans la construction de l’objectif national des dépenses d’Assurance maladie (ONDAM) ne tiennent plus compte de l’évolution sanitaire de notre pays. Il est nécessaire d’adopter une approche par processus de soins en tenant compte de l’évolution des coûts de traitement du diabète par exemple. Le financement de l’innovation et sa soutenabilité implique donc de réformer l’ONDAM dont l’annualité de l’exercice ne répond plus aux enjeux d’anticipation et aux nouveaux besoins thérapeutiques populationnelles. Nous devons aller vers un ONDAM qui soit pluriannuel et ne dépendent plus des lois de financement de la sécurité sociale.
Le coût des pathologies cardio-neuro-vasculaires a atteint 16 milliards d’euros en 2014. On peut encore éviter un nombre important de ré hospitalisation pour ces pathologies en agissant sur les leviers de l’observance thérapeutique et des dispositifs de suivi et d’accompagnement.
L’expérience de l’Assurance maladie en termes de gestion du risque a montré que ce sont les actions qui interviennent à la fois sur les professionnels de santé et sur les patients qui dégagent le plus de gains d’efficiences (Rémunération sur objectifs de santé publique : ROSP/service d'accompagnement de l'Assurance Maladie pour les malades chroniques : SOPHIA).
Il faut s’appuyer sur les expérimentations de l’Assurance maladie qui ont déjà générés des résultats positifs en termes de gains de productivité. Par exemple, en matière de pénétration des génériques par le biais des actions tiers payant contre génériques (2012). La mise sous accord préalable (MASP) avec les établissements qui faisaient peu de chirurgie ambulatoire demande également à être intensifier.
En revanche, les politiques de prévention continuent de se heurter à des limites conceptuelles. Le modèle sanitaire français a du mal à dégager les bons leviers pour changer efficacement les comportements. Il est en effet difficile d’agir sur le tabagisme, la mauvaise alimentation et la sédentarité dans la mesure où ces comportements sont animés par des ressorts complexes. Par ailleurs, les politiques de prévention ne parviennent pas à s’inscrire dans la pérennité.
On observe également un décalage croissant entre les recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) et la mise en pratique des professionnels de santé.
Les innovations thérapeutiques constituent également une source potentielle d’efficience mais notre système de santé manque d’agilité pour pouvoir en tirer des gains de productivité. Le manque de dispositifs pour identifier les bonnes pratiques entraîne des difficultés dans l’accompagnement des changements de prise en charge notamment dans le domaine de la cancérologie.
Il faut également se doter d’outils pour mieux évaluer l’utilité thérapeutique de certains traitements. Le répertoire pharmaceutique est encore trop encombré de produits sans intérêt thérapeutique. Le rapport Debré-Even révélait qu'en quarante ans, ce sont près de 2 000 molécules, sous 4 500 marques et présentations différentes, qui se sont accumulées, alors même que l'Organisation mondiale de la santé considère que seules 500 molécules sont vraiment nécessaires.
En France, la Haute autorité de santé (HAS) est déjà chargée d’établir des recommandations sur des bénéfices médicaux et économiques des produits, actes, prestations et technologies de santé, en vue de leur admission au remboursement. Néanmoins, il n’existe pas de moyen opérationnel pour connaitre le « juste » niveau d’intervention et identifier précisément le meilleur traitement avec le service médical rendu (SMR) le plus efficient pour le cas de pathologie aussi complexe que le cancer.
La démarche d’évaluation en termes de "vie réelle" pourrait apparaître à cet égard intéressante à développer. Les études en vie réelle permettent en effet d’évaluer la sécurité et l’efficacité des médicaments sur le très long cours et sur une large population.
Le déremboursement et le rationnement ne doivent pas constituer le mode opératoire notamment devant la complexité des pathologies qui nécessitent des traitements différenciés selon les individus.
Il faut réformer les modalités de fixation des prix des médicaments. Jusqu'à présent, la politique de réduction des dépenses de médicaments s'est uniquement traduite par des vagues de déremboursements pratiquées sans de véritables évaluations thérapeutiques.
Revoir les modalités de fixation des prix avec les entreprises du secteur
La logique de fixation des prix se fonde moins sur la mesure de l'intérêt thérapeutique que sur la volonté de soutenir économiquement nos laboratoires pharmaceutiques. En facilitant l'accès au remboursement de leurs produits, et en fixant des prix élevés à leurs nouveautés, le système leurs garantis un marché assuré et cofinancé par la collectivité.
Pour justifier la démesure des prix les entreprises du médicament (LEEM) invoquent le fait que la mise sur le marché d’un médicament est le fruit d’un long et risqué processus de R&D. La puissance de l’industrie pharmaceutique repose sur son inventivité et notamment sur la R&D dont les coûts sont très élevés.
L’industrie pharmaceutique est par conséquent très concentrée pour pouvoir supporter ces économies d’échelles. Elle a forgé son propre régime d’innovation en s’appuyant sur le modèle du « filtre » qui circonscrit le processus d’innovation à une série d'essais par tris successifs jusqu’à l’obtention de la molécule, parmi les milliers de candidates potentielles, destinée à devenir le futur médicament.
En moyenne seulement 7% des molécules développées finissent seulement par arriver sur le marché.
Après la découverte de la molécule en question, il faut encore compter une dizaine d’années d’essais clinique avant l’obtention souvent incertaine de l’autorisation de mise sur le marché (AMM).
En France, pour être admis au remboursement, un médicament doit avoir obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) et suivre ensuite un processus complexe durant lequel la commission de transparence de la Haute autorité de santé (HAS) évalue son niveau de " service médical rendu " (SMR), c'est-à-dire son intérêt thérapeutique.
La durée moyenne d’arrivée sur le marché d’une nouvelle molécule est en moyenne de 11,5 ans.
La concurrence entre les entreprises du médicament se traduit donc par le dépôt de brevets protégeant la molécule. Le brevet est donc défendu par l’industrie comme une source d’incitation nécessaire à l’innovation en offrant une forme d'exclusivité commerciale.
Il sert ainsi à rentabiliser les investissements de départ mais également à générer des profits pour les futurs investissements.
Les entreprises du médicament ont connu depuis une dizaine d’années une augmentation croissante des coûts. celle-ci est influencée par 3 facteurs : le coût des études pharmaco-économiques, la durée du développement et l’augmentation du taux d’échecs des molécules. L’industrie pharmaceutique a donc été amenée à se focaliser sur des médicaments dits « blockbusters » capables de générer des chiffres d’affaires de plus d’un milliards d’euros au sein des marchés les plus rentables des pays développés (obésité, cancer, diabète).
Il faut par conséquent réinterroger la construction économique du modèle des industries pharmaceutiques telle qu’il existe actuellement.
Premièrement parce que ce modèle arrive aujourd’hui, "à bout de souffle" face au déclin de la productivité de la R&D et au renforcement ces exigences réglementaires de mise sur le marché.
Deuxièmement parce les systèmes de santé nationaux sont en effet de moins en moins enclins à rembourser ces médicaments dits « blockbusters » et privilégie les médicaments génériques pour maîtriser leur dépenses de santé.
Dans cet univers incertain, les entreprises du médicament ont donc plutôt intérêt à la diversification (génériques, vaccins marchés des pays émergents). Malgré cela elle continue de privilégier une approche centrée sur les médicaments « blockbusters ».
L'objectivation des prix est un des enjeux d'une meilleure régulation des dépenses de santé. Elle nécessite une transparence accrue. L’association conjointe des entreprises pharmaceutiques, du régulateur national (le Comité économique des produits de santé) et de la société civile permettra de parvenir à un « juste prix ».
La tentation d'accumuler les dettes et ne pas investir dans les innovations de demain
L’intégration des progrès techniques dans le panier de soins solidaire constitue le véritable défi de demain - « Il y a deux façons de mal préparer l’avenir, accumuler les dettes et ne pas investir dans les innovations de demain » - affirmait Michel Rocard. L’arrivée d’innovations thérapeutiques dans notre système de santé est encore trop subie alors qu’elle devrait être anticipée et planifiée.
L’Assurance maladie doit pouvoir être en mesure d’expliciter les changements organisationnels nécessaires à l’arrivée des futures mutations techniques et des nouveaux risques.
Il faut donc renforcer les phases de dialogues précoces entre les autorités publiques sanitaires, les industriels du secteur et y associer les associations de malade afin de mieux appréhender les choix que les laboratoires pharmaceutiques vont faire dans le développement des produits.
Les économies réalisées grâce à l’utilisation des données de santé afin de mieux optimiser les prises en charge, la chirurgie ambulatoire et la prévention seront les investissements qui permettront la diffusion et l’égal accès de tous aux innovations de demain.
Comments