« Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change »
- Lorenzo Lanteri
- 15 avr. 2016
- 4 min de lecture

Ce n’est pas tant la nécessité de commenter le tout récent passage télévisuel du Président de la République qui avait fait du « changement » l’adage de son quinquennat que la perspective très proche d’un voyage en Sicile qui motive cette digression cinématographique.
La célèbre maxime de Tancredi, neveu du Prince Salina à son oncle, tenant d’une noblesse condamnée à disparaitre devant l’émergence du monde nouveau, est au cœur de la dynamique scénique du chef d’œuvre cinématographique de Luchino Visconti.
Cette expression Romanesque tirée du roman éponyme de Giuseppe Tomasi, prince de Lampedusa a été maintes fois commenté et a fait l’objet de récupération multiple dans des champs aussi divers que la politique, la science, le commerce, le management ou la psychologie. Notre objet, ici est de s’en tenir stricto-sensu au film et aux acteurs qui la prononcent. Cette phrase est en réalité répétée plusieurs fois dans le film par les différents protagonistes, faisant ainsi, l’objet de multiples appropriation et construction lexicale. Aucun des acteurs, nous le verrons, n’en dénature le sens profond qui est celui d’un conservatisme pragmatique et opportuniste.
Tancrède au prince de Salina: la jeunesse opportuniste.
Tancrède à une vingtaine d’années au début du film, c'est le neveu du prince (le fils de sa sœur). Orphelin depuis six ans, ruiné par la prodigalité de son père, il vit sous la tutelle de son oncle, le Prince de Salina qui se montre particulièrement généreux et affectueux avec lui. Il incarne la figure de la jeunesse insouciante face à l’autorité patriarcale de son oncle. Tancrède a tout du héros Sorelien, aventurier il souhaite accomplir son propre "destin" en s’engageant dans la révolution, moins par foi dans les idées nouvelles mais parce qu’il souhaite ardemment se faire une place dans la nouvelle société qui s’apprête à apparaître. Derrière l’apparente fougue dont il semble animé se cache un jeune homme opportuniste.
Tancrède a en effet, une conscience aiguë des événements qui agitent la Sicile en 1860, perspicace, il en mesure les conséquences et décide de réagir, contrairement à son oncle. Sa stratégie politique est résumée de la manière suivante « Si nous ne sommes pas là nous non plus, ils vont nous arranger la république. Si nous voulons que tout reste tel que c'est, il faut que tout change. ». Tancrède décide de se servir de la révolution garibaldienne pour protéger les intérêts de la noblesse. Il a compris que la société était en train d'évoluer et qu'il était possible de profiter de cette situation pour mieux se sauver et servir sa carrière.
Le prince Salina au père Pironne : l’éternelle et l’intemporelle
Attaché comme religieux à la famille du prince, le père Pirrone, est un des rares personnages qui partage des moments privilégiés en tête à tête avec le prince. Dévoué et soumis au prince, il accepte malgré lui ses « écarts » que le prince lui impose comme l'accompagner à Palerme quand il va retrouver sa maîtresse. Loin d'être un jésuite austère, il sait se montrer conciliant et compréhensif, il s'excuse auprès du prince pour lui avoir fait un peu trop vivement des reproches sur ses infidélités de la vieille. Mais il se montre moins clément lorsqu’au sujet de la révolution qui s’annonce, le Prince l’enjoint à se ranger au jugement de Tancredi « Tout changer pour perdurer ».
Choqué par un tel revirement, il anticipe la confiscation des biens de l'Église et sur ses conséquences dramatiques pour les nécessiteux. Pour lui, la noblesse et l’Eglise sont liés par un pacte immuable d’assistance mutuelle. Le Prince Salina vient justement lui rappeler que si l’Eglise, elle est éternelle, sa classe est marqué du sceau de la mortalité. La noblesse est en sursis, et elle ne survivra pas à l’évolution de la société contrairement à l’Eglise. Il est inévitable par conséquent de chercher pour elle à s'adapter aux changements comme une sorte de " palliatif" pour essayer de durer encore un peu, de prolonger l’intemporalité de la noblesse sicilienne.
Le père Pironne aux paysans : un univers particulier
Cette notion d’intemporalité est centrale dans l’œuvre cinématographique Luchino Visconti dans la description qu’il nous fait de cette noblesse sicilienne qui vit en dehors du temps. Et c’est lorsque le père Pirrone évoque ce trait de caractère aux paysans sur la route de Donnafugata, qu’il reprend à son tour la fameuse maxime « tout changer pour ne rien changer ». L’utilisation qui en est fait prend un autre sens. La qualification d’une stratégie politique marquée d’opportunisme devient davantage la description du mode de vie de la noblesse sicilienne durant cette période charnière du XIX ème siècle.
Les commentaires du Pére Pironne nous permettent de voir la noblesse de l'extérieur afin de mieux comprendre son état d’esprit. Leurs joies et leurs soucis ne peuvent pas être partagés avec le commun des mortels. « Ils se réjouissent et ils se troublent pour des choses qui ne nous intéressent pas, ni vous, ni moi, mais qui sont pour eux vitales». La noblesse se caractérise donc moins par une question de fortune qu'un certain comportement. La fameuse maxime, prend alors un tout autre sens « sacrifier la futilité matérielle de la noblesse pour que perdure son état d’esprit».
Le Prince Salina à Don Ciccio Tumeo : et au bout la mort…
Le Prince de Salina prononcera une quatrième et dernière fois la célèbre Maxime lors d’une vive discussion qui l’oppose a Don Ciccio Tumeo son compagnon de chasse lors de ses séjours à Donnafugata. Ce dernier d'origine modeste et très attaché à la noblesse, grâce à la générosité de laquelle sa mère a pu lui donner une éducation. Organiste de l'église de Donnafugata, il a son franc-parler et montre son indignation aux calculs du Prince qui représente selon lui à la fois une mésalliance et une trahison. A l’issue de cette querelle, Don Ciccio Tumeo prophétise « Ce sera la fin des Falconeri, et celle des Salina ! ».
Il est quelque part la première victime de la malhonnêteté et de l'ambition politique qui voit la noblesse et la bourgeoisie libérale s’allier dans un dernier bal funèbre. Don Ciccio Tumeo est celui qui permet au prince d'évoluer ou du moins de prendre conscience que sa maxime politique ne lui a octroyé qu’un maigre suris, un calcul aventureux pour une abdication certaine. Cette phrase ne sera d’ailleurs plus prononcer à la suite du film, elle s’évanouira dans le crépuscule d’une classe qui n’a vu que bien trop tard, les changements irréversibles qu’elle a tenté d’endiguer, si il y’a bien une chose où tous les hommes sont égaux, c’est bien devant la mort.
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