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Petite histoire de la dépense sociale de 1945 à nos jours

  • Lorenzo Lanteri
  • 24 mars 2016
  • 7 min de lecture

Compte tenu de l’extension considérable qu’ont prises les dépenses de protection sociale depuis la création de sécurité sociale en 1945, leur étude historique nous permet de mieux comprendre les facteurs qui ont contribué à leurs évolutions.


Comprendre les mutations des dépenses de protection sociale sur une longue période s’est bien l’ambition que s’est fixé Antoine Math dans une étude paru dans l’ouvrage Finances Publiques aux éditions de la documentation française.




En termes de méthodologie, Antoine Math fonde son travail sur la définition du système européen de statistiques intégrées de la protection sociale (SESPROS) qui considère comme relevant de la protection sociale « toutes les interventions d’organismes publics ou privés destinées à soulager les ménages et les particuliers de la charge d’un ensemble défini de risques ou de besoins, à condition qu’il n’y ait ni contrepartie, ni arrangement individuel en cause.» Cette définition exclue d’office les organismes complémentaires qu’ils soient à but lucratif (société d’assurance) ou non (Mutuelle) malgré l’importance grandissante de ces opérateurs sur le champ de la protection sociale obligatoire en France.


Les sources utilisées vont donc être celle de la comptabilité nationale et plus précisément en matière de données, celle des prestations sociales pour éviter les ruptures de série. Antoine Math identifie 8 risques : la santé, la vieillesse-survie, la maternité, la famille, l’emploi, le logement, la pauvreté et enfin l’exclusion sociale.



Les facteurs d’évolution des dépenses de protection sociale.


Etudier l’évolution des dépenses sociales c’est comprendre les facteurs qui déterminent leur progression ou leur régression. Il y’a d’abord le rôle considérable joué par les modes de financement. Le passage d’un système de financement fondé essentiellement sur les revenus du travail (cotisation/SCG) à celui du contributif (impôts, taxes affectés) n’est pas neutre en termes d’évolution des dépenses sociales.

Antoine Math identifie 3 typologies de facteurs d’évolution des dépenses :

  • Les facteurs structurels (vieillissement de la population, le progrès technique etc..)

  • Les facteurs politiques (exonération de charge sociale, déremboursement, extension de la couverture)

  • Les facteurs conjoncturels (ralentissement économiques, croissance)

Tous ces facteurs sont en interaction constante. Les facteurs structurels tels que les évolutions démographiques et le vieillissement de la population contribuent mécaniquement à augmenter les dépenses sociales. Les facteurs conjoncturels expliquent à court-termes les fluctuations des dépenses de protection sociale. Lors de période de ralentissement économique, du fait de leur rôle contra-cyclique, les dépenses sociales ont tendance à augmenter en période crise. Inversement, elles diminuent lorsque la croissance augmente, moins de besoin à couvrir et diminution de l’importance relative qu’elles ont par rapport au PIB. Enfin, le facteur politique peut justement aller à l’encontre du caractère contra-cyclique des dépenses sociales en mettant en œuvre des mesures pro-cycliques comme des mesures de restrictions d’accès à la protection sociale en période de crise. Les dépenses d’assurance chômage sont justement celles qui ont le plus de sensibilité aux effets contra-cycliques. Les périodes de ralentissement se sont systématiquement accompagnées de mesures de restrictions au droit chômage.


Si l’on raisonne en tenant compte des facteurs d’évolution à long-terme, on peut distinguer deux grandes périodes. L’une s’étirant de 1949 à 1983 qui est caractérisée par un mouvement de généralisation et d’amélioration des droits. L’autre s’étendant de 1983 à nos jours, davantage marquée par un fort ralentissement de la progression des dépenses sociales avec la fin du mouvement de généralisation (99% de la population est couverte par l’Assurance maladie en 1991), l’arrivée à maturité des systèmes de retraites et les politiques de maîtrise des dépenses dans un contexte idéologique et un environnement économique contraint.


Etudier les mutations des dépenses de protection sociale sur une longue période c’est comprendre que l’histoire de leurs évolutions n’est pas celle des réformes. Il y’a d’abord l’importance des facteurs structurels et conjoncturels mais également l’effet différés des réformes. Par exemple, la réforme Balladur de 1994, qui indexe les pensions de retraite sur l’indice Insee des prix à la consommation n’a de résultat qu’aujourd’hui en termes de baisse des niveaux de pension.


Il n’est pas aisé de distinguer les risques famille et chômage qui ont été très sensibles aux facteurs politiques et conjoncturels sous l’effet d’écrasement de la retraite et de la santé dans les comptes de la protection sociale. A eux deux, ces seuls risques pèsent 80% de l’ensemble des dépenses de protection sociale en 2013.


Antoine Math distingue 5 grandes périodes dans l’histoire des dépenses sociales.




1949- 1974 : une augmentation croissante des dépenses sociales.



Les dépenses sociales pendant cette période d’avant crise augmentent à un rythme de 7% en volume par an. Ces années sont marquées par une forte croissance du PIB d’environ 5,3% sur l’ensemble de la période ce qui explique que les dépenses de protection sociale soient restées proportionnellement stables dans le total du PIB et ce malgré leur forte augmentation annuelle.

Cette période est marquée par une amélioration des droits et une extension toujours plus large de la couverture aux différentes catégories de la population. Les prestations familiales sont généralisées, les retraites montent en charge et en matière de santé les soins sont de mieux en mieux prises en charge. En pourcentage du PIB, les risques maladie et retraite tendent à prendre une importance prédominante sur les autres types de risques. On observe, ainsi, un basculement des taux de cotisations des autres risques vers la maladie et la retraite. En termes de facteurs politiques, cette période est marquée par des décisions au fil de l’eau qui ont des effets massifs sur l’augmentation des dépenses sociales.



1974 – 1985 : un bond de 19,7% à 26, 4 des dépenses sociales dans le PIB


Bien que l’on observe une décélération des dépenses annuelles sociales de 5,1% en volume, celles-ci prennent une importance grandissante dans le PIB et pour cause celui-ci n’augmente plus que de 2,2% en moyenne.

L’ensemble de la période peut même être divisée en deux sous-périodes. Les années 1974-1983 sont marquées par de nombreuses améliorations en termes de couverture sociale, les dépenses sociales augmentent à un rythme élevé de 6% par an en volume. En revanche, la sous période suivante (1983-1985) est marquée par le tournant de la rigueur. Dans un contexte d’explosion du chômage de masse, le gouvernement adopte des mesures pro-cycliques pour contenir l’explosion des dépenses sociales, c’est le moment de la fin du régime unique d’assurance chômage.



1985-1993 : Recul des dépenses sociales à 25,8% du PIB



Les effets combinés de la rigueur et des « plans de redressements » successifs de la sécurité sociale (Plans Bérégovoy, Plan Dufoix, Plan Seguin, Plan Evin, Plan Bianco etc.) fléchissent la croissance des dépenses sociales. C’est à ce moment-là qu’apparaissent les premiers déremboursements de médicament. Le système « d’enveloppe globale » est instauré pour maitriser les coûts de l’hôpital en 1991. Les pouvoirs publics tentent d’agir sur la médecine libérale par l’introduction du numerus clausus, puis sur l’offre de soins en luttant contre les dépassements d’honoraires mais c’est principalement la demande avec la politique de déremboursement qui va être privilégié pour contenir les dépenses de santé.

Dans la seconde partie de cette période (1989-1993) le fort ralentissement économique va hisser le niveau de dépenses sociales à a 28,6% du PIB.



1993-2007 : longue période de stabilisation des dépenses sociales dans le PIB


Cette longue période est marquée par une relative stabilisation des dépenses sociales dans le PIB avec un point bas à 27,4% du PIB en 2000 et un point haut à 29% en 2005. Les années 1993-2000 voient progressivement les dépenses sociales baisser dans le PIB dans un contexte de reprise économique (1998-2000). Les dépenses vieillesses sont contenues moins par les effets de la Réforme Balladur que par l’arrivée à la retraite des « classes creuses » liées au déficit des naissances dû à la guerre de 1939-1945. Du côté de la santé, le Plan Juppé (1996) encadre les dépenses d'assurance-maladie à travers l'ONDAM (objectif national de dépense d’assurance maladie).


La sous-période qui suit (2000-2007) se singularise par une conjoncture incertaine et une succession de mesures d’économies. La loi Douste-Blazy (2004) instaure une franchise de 1 € sur les médicaments. La réforme Fillon de 2003 tente de contenir les effets de l’arrivée du papy-boom à la retraite.



2007-2013 : une forte hausse « paradoxale » de 28,8% à 32,3% du PIB


L’ensemble de la période est marquée par une maitrise des dépenses sociales avec une augmentation moyenne de 2,1% en volume. Une fois de plus, on peut distinguer deux sous-période, celle de la crise économique et de l’après. Durant la période de crise (2007-2009), la croissance des dépenses sociales est non seulement restée positive, mais elle a très peu diminué en moyenne. La crise économique s’est traduite par une hausse des dépenses sociales, dans le sillage de la hausse du chômage notamment. Les dépenses sociales ont donc joué un rôle de stabilisation économique qui explique que la France ait été moins touchée par la récession que les autres économies européennes. La période qui s’est ouverte après la crise (2010-2013) est marquée par de fortes restrictions dans le domaine des dépenses sociales. En ce qui concerne la santé, les différents ONDAM fixés atteignent des niveaux historiquement bas. Malgré ces fortes restrictions, les dépenses sociales atteignent 31,7% du PIB en 2013, une hausse imputable à une croissance en berne (+1,2% du PIB par an en moyenne sur la période 2010-2013). Le rôle stabilisateur des dépenses de protection sociale s’est atténué sur dernière sous période. La contribution des prestations sociales à la croissance du revenu des ménages a reculé par rapport à 2009 (1,2 point en 2012).



Comprendre le rôle économique des dépenses de protection sociale



Au-delà du travail inédit que nous offre Antoine Math en termes de lecture historique des dépenses sociales, cette analyse fait office « d’autopsie » de la dépense de protection sociale – l’imbrication des facteurs structurels, conjoncturels et politiques ont façonné le niveau de dépenses sociale et sa proportion dans le revenu national. Aujourd’hui, on entend assez facilement l’expression de « la France consacre 1/3 de sa richesse nationale dans la protection sociale » pour vilipendé ce modèle social devenu trop dispendieux alors que ces mêmes analystes occultent la dimension structurelle de ces dépenses et principalement leur proportion toute relative dans une économie où la croissance du PIB est en berne.



Les dépenses sociales dans leur rôle stabilisateur et contra-cyclique constituent un outil essentiel de régulation économique dans des économies incertaines. Le choix de diminuer les dépenses publiques sociales peut s’avérer contestable car cette option est inefficiente compte tenu même de l’objectif économique de réduction des déficits publics, puisque ces dépenses ont un rôle stabilisateur et un « effet multiplicateur » dans la relance de l’économie. Ces considérations n’enlèvent rien à l’impératif absolu de réduction des déficits et de la dette mais les gisements d’économies sont davantage à chercher du côté de l’Etat et des collectivités territoriales que dans les organismes de protection sociale.




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