Notre système de retraite ne répondra plus aux évolutions socio-démographiques
- Lorenzo Lanteri
- 4 mars 2016
- 7 min de lecture

Notre système de retraite présente un risque de décalage avec les évolutions socio-démographiques. C’est pourquoi, certains économistes dont Antoine Bozio, souhaitent revenir à une indexation des retraites sur les salaires et passer à un régime en comptes notionnels, à l’instar de ce qui se fait en Suède.
En matière de retraite, la note présentée au Premier ministre, « gouverner la protection sociale : transparence et efficacité » suggère d’aller un peu plus loin en fédérant les régimes existants au sein d’un « pilote unique », sans uniformiser les droits mais en harmonisant les règles qui les organisent. Au-delà de ce remodelage de l’architecture institutionnelle des retraites, la note présente des mesures à plus-court terme pour améliorer le pilotage des dépenses.
Au-delà du vieillissement de la population qui entraîne des modifications des politiques économiques et sociales et interfère sur les revenus des retraités, l’auteur Antoine Bozio identifie le problème de la dépendance des dépenses de retraites au taux de croissance du PIB à long-terme.
1987 le tournant de la Réforme Seguin
Une étude de L’INSEE « Vingt ans de réformes des retraites : quelle contribution des règles d’indexation ? » paru en avril 2014 apportait un éclairage intéressant en montrant que le principal changement du système de retraite s’est opéré avec l’évolution des règles de revalorisation. Jusqu’à la fin des années 80, c’est l’évolution des salaires qui sert à calculer le montant des droits à la retraite ainsi que la revalorisation du montant des pensions liquidées. Comme la moyenne des salaires croit comme la productivité du travail cette indexation sur le salaire moyen était plus favorable que celles sur les prix. La Réforme Seguin de 1987, consacre un changement majeur, c’est désormais, l’indice des prix qui va désormais servir à revaloriser les pensions ainsi que les salaires dits « portés compte » c’est à dire les salaires cumulés sur la base desquels s’opère la liquidation.
Depuis 1987, la pension des retraites n’est plus revalorisée par la croissance, mais par l’inflation. Ce changement d’indexation qui devait être au départ temporaire a été rendue permanent par la réforme de 2003.
Jusqu’à présent, ces règles ont permis de limiter la croissance des engagements qui aurait naturellement découlé de l’amélioration des droits acquis dans les différents régimes.
Les simulations réalisées par l’INSEE montrent l’effet de cette mesure, sans réforme, le poids des retraites dans le PIB aurait représenté de 3,6 à 6 points de plus en 2060, soit une économie de 120 à 160 milliards d’euros. Le constat de l’INSEE vaut également pour le pouvoir d’achat des retraités. En outre ces règles d’indexation ont également contribué à limiter la dégradation du niveau de vie des retraités. Depuis le début des années 1990, le maintien de la parité des niveaux de vie entre ménages actifs et ménages retraités a été préservé, au lieu de se déformer en faveur des seconds. Mais, à l’avenir, la capacité de ces règles à faire face à la nouvelle donne démographique s’avère très tributaire de la croissance économique.
Un système d'indexation sensible à la croissance
Dans un contexte d’inflation faible voir nulles, ces règles d’indexation entrainent désormais un risque de dégradation du niveau de vie des retraités. Lorsqu’on compare les différents scénarios du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), le ratio entre pension moyenne et revenu d’activité moyen est d’autant plus dégradé que la croissance économique est forte. En d’autres termes, la redistributivité des pensions est moins importante lorsque la France s’enrichit davantage.
L’INSEE a bien montré dans son étude de 2014 que les pensions vont évoluer moins rapidement que les revenus d’activité et l’écart entre les deux sera plus important. Représentant actuellement en moyenne 67% du salaire des actifs, la retraite n’en représenterait plus que 55% à 50% en 2060, selon que les gains de productivité s’élèveront à 1% ou 2% par an.
Cette indexation des retraites sur la croissance du PIB long-termes peut même avoir un effet contra-cyclique. « En effet, plus le PIB croît vite, plus la part de pensions de retraites dans le PIB diminue ; à l’inverse, si la croissance faiblit sur une longue période, la part du PIB consacrée aux pensions de retraite augmente, alors même que les marges de manouvre diminuent »[1].
Certains scénarios d’analyses du Conseil d’Orientation des Retraites (COR) prévoient une baisse des taux de remplacement de l’ordre de 10% à 15% à l’horizon de 20 ans. Ce taux de remplacement est étroitement lié à la croissance économique, résultat du paradoxe français énoncé auparavant qu’est celui d’avoir indexé les retraites sur les prix et non sur les salaires. De ce fait, la richesse nationale des pensions représente un actif acyclique. En cas de croissance sa, valeur stagne ou pire diminue.
Il est par conséquent nécessaire de remédier à cette contradiction sans pour autant procéder à un retour à la situation antérieure à 1987. En effet, l’unique retour à une indexation des salaires portés au compte annulerait de facto les économies de la réforme de 1987, ce que les perspectives financières du système de retraite ne permettent pas. Le ré-ancrage de l’indexation sur les salaires doit par conséquent tenir compte de cette contrainte. Antoine Bozio propose donc de revenir à une indexation-salaire des rémunérations constituant le salaire de référence des pensions en modulant le taux de remplacement par un coefficient démographique.
Un mécanisme de correction automatique: l'exemple Suédois
L’idée est la suivante : lorsque la démographie est la même et que l’espérance de vie est, inchangée, il est normal de souhaiter un accrochage complet des premières pensions par rapport au niveau des salaires courants, quelle que soit la croissance économique. C’est ce qui justifie la revalorisation complète sur les salaires portés au compte. Mais quand le ratio actifs/retraités se dégrade, il faut que cet ancrage aux salaires soit rectifié en proportion par une baisse des taux de remplacement à la liquidation. Le principe de ce correcteur démographique découle de l’équation comptable qui détermine l’équilibre du système.
Antoine Bozio propose également de passer d’un système de retraites par annuités à un système par points. Dans les régimes en points ou dans les régimes par comptes notionnels, en vigueur en Suède, Italie et Allemagne, les salariés acquièrent, via leurs contributions sociales et celles des employeurs, soit des points, soit un capital virtuel ("virtuel" parce qu’il finance, selon la logique de la répartition, les retraites en cours : il ne s’agit pas d’un plan d’épargne personnel). Le niveau de retraite dépend de la valeur du point qui peut varier en fonction de l’état des finances et de la démographie des régimes. C’est déjà le cas en France avec les caisses complémentaires ARRCO et AGIRC qui ont engagé une baisse du rendement de leurs points depuis plusieurs années.
Le régime des comptes notionnels, dans sa « pureté théorique », est un régime à cotisations définies et s’approche d’un régime par points. Chaque assuré est titulaire d’un compte individuel virtuel. Les cotisations versées par les salariés, les employeurs et l’Etat (pour les avantages familiaux par ex.) alimentent ce compte. Le calcul des pensions se fait selon deux paramètres individuels : la valeur de liquidation dépend de l’âge de départ et de l’espérance de vie de la génération du salarié.
Dans ce système, on applique donc un coefficient de conversion au capital virtuel amassé durant la vie active. En clair, plus celui-ci travaille longtemps, plus la période de versement de la retraite sera courte et plus sa pension sera élevée.
Ce dispositif est très contributif puisqu’il prend en compte la totalité de la carrière, donc les bonnes et les mauvaises années. Prenons l’exemple du système suédois, où le départ est possible à 61 ans, s’il on se penche sur la masse des droits accumulés sur ce compte virtuel et que l’on divise par le coefficient de conversion qui prend en compte l’espérance de vie à la retraite de la génération considérée : on obtient alors le montant de la rente qui sert de pension.
Un "pari" risqué qui implique des réformes préalables
Le « pari » qui fonde cette piste de réforme systémique repose auparavant sur l’unification des régimes professionnels actuels, pour favoriser les mobilités et l’équité entre professions. Cela pose la question d’une fusion des régimes de retraites.
Pour que le système trouve sa pleine effectivité il faudrait donc ne pas se contenter d’unifier les régimes de base et complémentaires des salariés du privé mais aussi les régimes spéciaux et ceux de la fonction publique.
L’objectif étant de lever les problèmes d’opacité et d’équitabilité qui résulte du morcellement actuel du régime de retraite en France.
La piste de l’option constitue une piste intéressante mais ne lève pas tous les risques de pérennité financière du système de retraite. Un autre obstacle se dresse sur cette réforme, celle de l’existence en France d’éléments non-contributifs et du rôle re-distributif qu’ils assurent. Par exemple, les femmes bénéficient d’une majoration de durée d’assurance de 2 ans par enfant, sans que cette majoration soit dépendante du versement de cotisations supplémentaires. Le régime de retraite par l’intermédiaire des droits familiaux retraites opère donc une certaine redistribution entre faveur des salariés qui ont eu une carrière incomplète. Contrairement à une idée reçue les systèmes par compte notionnels sont fortement « contributifs » et trouvent leur pleine justification dans des pays où l’emploi des seniors est élevé et les femmes bien mieux traitées sur le marché du travail ce qui n’est pas le cas de la France.
En apparence plus lisible mais plus contributifs les systèmes de retraite par points ou comptes notionnels contiennent le risque de pénaliser davantage les personnes ayant une carrière incomplète. Sans réformes sur l’égalité hommes/femme et sans rupture avec notre modèle familialiste de protection sociale le passage au comptes notionnels risque de creuser les inégalités intra générationnelles et les inégalités entre les hommes et les femmes.
Cette solution bien qu’imparfaite aurait aussi l’avantage de préserver l’essentiel de la retraite dans le giron des régimes de retraites obligatoires à l’heure où les acteurs de l’épargne individuelle et collective s’organisent pour capter les actifs des ménages pour une épargne retraite de précaution. De manière agrégée, les régimes de retraite par répartition fournissent 98% des prestations, l’épargne retraite encore seulement 2%. Aujourd’hui, la question est de savoir si la baisse des revenus des retraités, déjà inscrite dans la réforme de 1993, ouvre la voie pour les 20 prochaines années au développement d’une épargne retraite différenciée de l’assurance vie.
Antoine Bozio a le mérite d’interroger cette spécificité française en matière de retraite qui consiste au refus d’une réforme systémique et d’une gestion à la marge permettant d’éviter une réflexion bien plus profonde sur le niveau de vie des retraités et le niveau des pensions dans le PIB dans les vingt prochaines années.
[1] La note du CAE N°28 A.Bozio B.Dormont (2016) « Gouverner la protection sociale transparence et efficacité »
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