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Quand Brigitte Dormont et Antoine Bozio proposent une réforme "ambitieuse" de la protectio

  • Lorenzo lanteri
  • 2 mars 2016
  • 11 min de lecture

Dans un contexte d’interrogation sur la soutenabilité de nos dépenses sociales, une nouvelle proposition de réforme de la protection sociale a vu le jour en janvier. Elle émane du Conseil d’analyse économique (CAE), organisme rattaché au Premier ministre, et elle signée par deux économistes Antoine Bozio et Brigitte Dormont. Les deux auteurs estiment que la complexité du système est devenue telle qu’elle nuit à son efficacité. La kyrielle de régimes et de caisses, aux règles divergentes nuit au pilotage du système. Cette gouvernance multiple pose un problème démocratique en créant un manque de lisibilité qui entraverait la possibilité d'un véritable débat sur les réformes et leurs effets réels.


Pour les auteurs ce morcellement dans le pilotage de notre protection sociale suscite 3 difficultés : premièrement elle entrave la « réalisation d’arbitrages collectifs » sur le niveau de dépenses sociales et leur répartition. Deuxièmement, le système à plusieurs étages entre régime de base et complémentaires pour la couverture d’un même risque de créer une logique inflationniste. Enfin, l’évolution de notre système de protection sociale tend à entretenir un flou entre les prestations relevant des champs contributifs et non contributifs.


Une architecture complexe d’acteurs sur le champ de la protection sociale


Le lent processus de construction du système français de protection sociale a abouti à une architecture complexe avec des multiples acteurs aux décisions non coordonnées. Tel qu’imaginé par ses concepteurs, le régime général de Sécurité Sociale devait accueillir, à terme, l’ensemble de la population active. Cet objectif figure au sein même de l’ordonnance fondatrice de l’institution. Mais très vite, lors de la mise en œuvre du plan, cette volonté suscita de fortes résistances de certaines catégories socio-professionnelles, en particulier de la part des travailleurs non-salariés et des salariés de professions à statuts.


Cette hostilité a fait échec à l’unité de la Sécurité sociale et son extension s’est faite dans la dispersion. En marge du régime général ont ainsi subsisté des régimes dits spéciaux, propres à certaines catégories de salariés (mineurs, cheminots, personnels des industries électriques et gazières).


Des régimes autonomes ont également été institués à destination des commerçants, entrepreneurs individuels et professions libérales. Enfin, le particularisme des professions agricoles a conduit également à l’émergence de régimes propres pour les salariés et les exploitants concernés.


Par ailleurs la sécurité sociale a laissé des pans entiers de la protection sociale à d’autres acteurs. L’absence d’assurance chômage, pousse les partenaires sociaux en 1958 à créer l’UNEDIC en dehors du giron de la sécurité sociale. Le faible montant des pensions versées par le régime de base amène ces mêmes partenaires sociaux à créer un régime complémentaire pour les cadres (l’AGIRC) en 1947 et son équivalent pour les non-cadres (l’ARRCO) en 1961.


Parallèlement à cette extension, les pouvoirs publics ont procédé en 1967 à une réforme d’ensemble du régime général qui a touché, pour l’essentiel, à l’organisation et au fonctionnement du régime. Les ordonnances du 21 août 1967 ont ainsi conduit à donner à l’institution son image actuelle. La création de trois caisses nationales (CNAM, CNAV, CNAF) en charge chacune de la gestion des risques couverts (assurance maladie et accidents du travail, vieillesse, famille) doit permettre une meilleure définition des responsabilités. Une agence centrale (ACOSS) fédérant les organismes collecteurs de cotisations (URSSAF) est chargée d’assurer une gestion commune de la trésorerie des différents risques. Les conseils d’administration de l’ensemble des organismes deviennent paritaires et sont composés de membres désignés.


Un système de financement mixte mélant contributif et non-contributif



Bien que les premières difficultés financières surviennent dès la fin des années soixante, les trois décennies qui suivent la création de la Sécurité sociale sont marquées par une extension continue de la protection des risques sociaux. La couverture contre les risques est ainsi étendue au plus grand nombre. Cette recherche d’universalité est allée de pair avec l’augmentation de la part des prestations non-contributives, financées par l’impôt dans notre système de protection sociale.


La part des cotisations sociales dans l’ensemble des ressources de la protection sociale étant passée de 80% en 1990 à 64% en 2010 : cédant progressivement ainsi la place à la montée en puissance de la contribution sociale généralisée (CSG) et des prélèvements sociaux sur le capital, et à l’affectation aux régimes de sécurité sociale de taxes ciblées sur certains comportements ou consommations ayant des conséquences négatives sur la santé.


Le double mouvement d’allégements successifs des cotisations sociales (allégements Balladur, allégements Juppé, allégements Aubry, loi dites « Fillon », Pacte de responsabilité, pacte de compétitivité) et de création de nouveaux dispositifs de solidarité (minimas sociaux, aides aux logements, dépendance) ont amené l’Etat à prendre une part croissante dans le financement de la protection sociale.


Ces éléments ont eu pour conséquence d’accroitre les avantages non-contributifs qui désignent les prestations dont le versement ne dépend pas d'une cotisation préalablement payée par l'assuré au détriment du contributif (cotisations sociales)


En 2013, le non-contributif (impôts et contribution publique) constitue 38% des ressources de notre protection sociale et 46% des dépenses c’est dire l’importance croissante qu’il prend dans le financement de notre protection sociale au détriment des cotisations sociales.


L’augmentation de la part du contributif dans le financement de la protection sociale contribue ainsi à dissocier le lien entre cotisations et prestations sociales. Aujourd’hui, la maladie, la vieillesse, la famille sont financées par un mélange de cotisation et d’impôts renforçant ainsi selon les auteurs l’illisibilité du financement de notre système de protection sociale.


Pour remédier à cette situation, les deux économistes prônent la création de deux pôles de protection sociale avec des sources de financement distinctes : un pôle non contributif payé par l’impôt et intégré au budget de l’Etat, qui comprendrait la famille, la maladie, la lutte contre la pauvreté ; et un pôle contributif, assis sur les cotisations sociales, pour tous les revenus de remplacement, c’est-à-dire les retraites, l’assurance-chômage, les indemnités journalières.


Antoine Bozio et Brigitte Dormont inscrivent leurs réflexions dans les travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFi-PS) qui émettait l’hypothèse de basculer les cotisations sociales des branches universelles (famille, maladie) vers des branches contributives (vieillesse, chômage). Il est vrai que les récentes dispositions sur la Protection Maladie universelle (PUMA) contribuent à rendre l’Assurance maladie définitivement universelle et à dissocier définitivement l’activité professionnelle de l’accès aux prestions maladie. Du côté de la vieillesse, le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) continue d’entretenir une certaine forme d’opacité entre contributif et non-contributif dans les missions qui lui sont dévolues. Si le minimum vieillesse relève d’une logique non-contributive propre à la solidarité nationale nous pouvons nous interroger en revanche sur la fraction du « minimum contributif » (MICO) que le FSV prend en charge et qui paraît davantage relever d’une logique de solidarité professionnelle interne aux régimes de base.



Un système sans pilote entre Assurance obligatoire et complémentaires dans la santé


La France à fait le choix de faire coexister régime de base et complémentaire au sein d’un même risque en l’occurrence la maladie et la retraite.


La couverture des soins en France est financée par un système « mixte » composé par l’Assurance maladie et les complémentaires. Dès sa création, la sécurité sociale prévoyait une couverture incomplète des dépenses de soins, une part non négligeable étant à la charge du patient sous forme d’un ticket modérateur. Dans la pratique, ce ticket modérateur a été aussitôt pris en charge par les assurances complémentaires.


Selon les auteurs, le taux moyen de paiement direct par les ménages est un des plus bas d’Europe. Les dépenses couvertes par la sécurité sociale s’établissent à 76,7% et celles prises en charge par les complémentaires « Santé » à 13,7%. Le reste du financement est assuré par les ménages. Ces données générales masquent toutefois d’énormes disparités entre les différents segments d’assurés mais également entre les assurés affectés par des affections de longue durée (ALD) dont les soins sont prise en charge à 100%. La part des assurés ne bénéficiant pas du régime des ALD représentait 82,4% pour un taux de couverture de 59,7%.


La politique actuelle vise à faciliter l’accès aux complémentaires « santé » par l’augmentation des plafonds de ressources donnant accès à la CMU-C et à l’ACS et par la généralisation des « contrats de groupe ». La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation pour l’emploi prévoit, à l’article 1, la généralisation de la couverture complémentaire santé, à l’horizon du 1er janvier 2016. Sur ce point particulier de la généralisation des contrats de groupe à tous les salariés du privé en 2016, les auteurs en pointent les effets pervers. Outre l'effet d'aubaine considérable pour une mesure qui va coûter plusieurs milliards d'euros en termes d'éxonérations sociales et fiscales.


Par ailleurs,il existe un risque de dégradation de la situation des affiliés qui resteront dans le champ des contrats individuels (personnes âgées, chômeurs...), avec un renchérissement de leurs contrats.


Selon les auteurs, ces mesures accentuent la mixité de l’assurance-maladie et concourent à l’irrépressible augmentation des dépenses. Du côté, de la demande de soins, la prise en charge par les assurances complémentaires du ticket modérateur neutralisent les effets vertueux que voudrait mettre en place la Sécurité sociale. Du côté de l’offre, le défaut de régulation du marché des complémentaires entrainent une absence de contractualisation avec les offreurs de soins qui alimentent la progression des dépassements d’honoraires et la hausse des tarifs des dispositifs médicaux. L’augmentation des dépenses de santé, qu’elles soient couvertes ou non par une assurance, est toujours financée par les ménages.


Enfin, les auteurs remettent en cause le système d’assurance complémentaire santé tel qu’il est organisé actuellement. Selon eux, l’absence de régulation adaptée incite les assureurs à pratiquer une certaine forme de sélection des risques et à pratiquer la segmentation des contrats. La conséquence directe est une dégradation progressive de la mutualisation des risques entre les malades et les biens portants.


Les deux économistes préconisent de définir un "panier de soins solidaires", comprenant des "soins essentiels", "accessibles à tous sans barrière financière". Il serait financé par la dépense publique. Le rôle des complémentaires Santé serait alors cantonné à la couverture des soins hors de ce panier. Ils proposent d'organiser un financement des soins unifié sur un mode public, avec un pilotage décentralisé assumé par les agences régionales de santé (ARS), ou sous la forme d'une concurrence régulée entre caisses d'assurance (délégation de service public).


En outre, les deux auteurs reprennent ainsi une proposition qui revient régulièrement dans le débat depuis 2007 celle de la création d’un bouclier sanitaire destiné à réduire « les restes à charge ». Au-delà d’un certain niveau de dépenses annuelles sur le panier de soins, l’assurance maladie prendrait la facture à sa charge intégralement.


Cette mesure cible spécifiquement, les personnes en dessous du seuil de pauvreté dans l’incapacité d’avoir une assurance complémentaire mais se situant au-dessus des limites de plafonds de ressources donnant accès à la CMU-C afin qu’elles ne se retrouvent pas confrontée à des « Restes à charge » catastrophique (1% de la population endurait des R-a-c supérieur à 500 euros en 2012). Toutefois, cette injustice mérite-t-elle de remettre en cause un des principes fondamentaux de l'Assurance-maladie, à savoir l'universalité de la prise en charge des soins quel que soit le niveau de vie du patient ?


Par ailleurs, cette proposition comporte de nombreux risques sanitaires et sociaux tout en n’évacuant pas la question de la soutenabilité financière. En effet, le déremboursement des premières consultations risque d’amplifier le renoncement aux soins de la population ce qui entrainera des pathologies plus grave et plus coûteuses. Cette pratique inspirée des exemples suisses et finlandais, de « responsabilisation du patient » n’offre pas réellement de garanti en termes de réduction des dépenses d’assurance maladie. En effet, la perspective d’une participation financière entièrement à la charge de patients en médecine de ville en coexistence avec la gratuité totale de l’hôpital risquent de provoquer un afflux majeur des patients de la médecine de ville vers les établissements hospitaliers.



Un morcellement institutionnel du côté de la retraite


Le manque de coordination entre régime de retraite entraine également des difficultés de pilotage des dépenses vieillesse. Les auteurs rappellent qu’il existe en France une trentaine de régimes de retraites suivant peu ou prou le découpage des lignes professionnelles. Ce morcellement institutionnel pose des problèmes de pilotage, de lisibilité des droits à retraites pour les poly pensionnés mais également de déséquilibres financiers. En effet, la compensation démographique organisée entre les régimes tend à s’accentuer. Les transferts du régime général vers les autres régimes dans le but de compenser financièrement les déséquilibres démographiques propres aux populations affiliées à ces régimes (agriculteurs, commerce) pose la question des limites de la solidarité intersectorielle. Ce n’est pas aux salariés du régime général de contribuer au déficit structurel de ces régimes.


En outre, le système de retraite français se distingue par l’existence d’un second étage légal et obligatoire de retraites fondées aussi sur la répartition : les retraites complémentaires. Si dans beaucoup de pays l’existence de ce second étage vise à assurer librement une épargne retraite individuelle, en France, l’objectif des retraites complémentaires se contente d’améliorer le montant des pensions du régime de base sur les mêmes modes que ce dernier – système obligatoire par répartition. La distinction entre régime de base et complémentaire s’avère donc infondée au regard des objectifs qu’ils desservent et de leur mode de financement.


La justification de ce double niveau intentionnel tend à disparaitre quand elle entraine un double cumul des frais de gestion pour les mêmes taches et l’illisibilité des droits à pensions pour les assurés.


Du côté des gestionnaires, ce morcellement institutionnel entrave la possibilité des régimes à effectuer des projections financières sur les moyen-long termes du fait de la dispersion de l’information sur les assurés entre les différents régimes. L’accès et la lisibilité de l’information dans un contexte où les personnes changent plusieurs fois de statut au cours d’une vie apparaissent comme des enjeux cruciaux du système de retraite.


Il serait donc nécessaire de s’appuyer sur les outils déjà présents tels que l’Union Retraite. La loi du 20 janvier 2014 a confié à la nouvelle Union Retraite des missions qui vont dans le sens d’une meilleure coordination de partage de l’information entre les régimes L’Union Retraite doit harmoniser et simplifier le langage utilisé par les différents régimes notamment en termes de vocabulaire, il est courant que des mots différents soient utilisés pour désigner la même chose. A titre d’exemple, les termes de décote, d’abattement ou de minoration signifient tous une réduction du montant de la pension.


Autre mission : L’Union retraite est également en charge d’instaurer un « compte retraite » unique. Quel que soit le ou les régimes d’affiliation, ce compte en ligne permettra à chaque assuré de connaître les droits de retraite qu’il a acquis à n’importe quel moment de sa carrière et de calculer à l’avance le montant de ses pensions. Il sera accessible via un portail commun à l’ensemble des régimes.


L’Union Retraite doit finaliser l’entrée en application du répertoire général des carrières uniques (RGCU) qui permettra de centraliser les données relatives à toute la carrière d’un assuré. Le groupement doit aussi lancer EVA, un simulateur en ligne de la future pension basé sur les données réelles de carrière et non sur des informations déclaratives (et donc moins fiables) comme l’actuel outil M@rel.


Des efforts de simplification ont donc bel et bien été entrepris. La création d’un guichet unique d’information et d’orientation, y compris par l’évolution de structures existantes, apparait souvent indispensable mais celle de l’harmonisation et de la convergence des régimes l’est tout autant.


Les deux auteurs souhaitent que les règles définissant l’accumulation des droits dans les différents régime retraites soient progressivement harmonisées autour d’une gouvernance unifiée.

Mais la redistribution des tâches implique aussi une redistribution des rôles entre l’Etat et les partenaires sociaux gestionnaires des complémentaires retraites. Aujourd’hui, les deux piliers de la retraite, « de base » et « complémentaire », sont obligatoires. Mais seul le premier relève du Parlement. Les auteurs proposent d’inclure la retraite complémentaire dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) ou au contraire, de confier aux partenaires sociaux la gestion unifiée des régimes de retraite obligatoires.


C’est bien là que se situe les enjeux de répartition du financement et de la gouvernance de notre protection sociale pour les auteurs. Mettre fin à la tuyauterie complexe de l’affectation des ressources et à la dispersion du pilotage de notre protection sociale implique de redéfinir les rôles entre Etat et partenaires sociaux. Pour les risques donnant lieu à des prestations contributives tels que la vieillesse, le chômage les accidents du travail et les indemnités journalières le système actuel d’assurance sociale doit être conforté tout en laissant la responsabilité de la gestion des régimes aux partenaires sociaux. Pour ce qui est des prestations universelles de famille et d’assurance maladie celle-ci devraient être exclusivement financé par les prélèvements fiscaux et réintroduite dans le budget de l’Etat qui en deviendrait l’unique gestionnaire.


Ce partage des rôles semble tout à fait séduisant mais le passage de la théorie à la pratique s’avère plus compliqué. Sortir de l'organisation actuelle constitue un objectif difficile à atteindre dans la mesure où il bouscule le paysage actuel où sont présents des acteurs à l'assise historique importante.


Néanmoins, les enjeux de soutenabilité financière et de lisibilité de notre protection sociale sont suffisamment élevés pour infléchir les pouvoirs publics à agir dans cette direction. Ce mouvement d’harmonisation et de convergence est déjà à l’œuvre avec l’assurance maladie universelle et l’Union Retraite.


Les deux auteurs ont le mérite de sortir d’une approche budgétaire trop limitative qui repose essentiellement sur la réduction des coûts de la Sécurité Sociale. Ce n’est pas l’existence de la Sécurité Sociale, ni des assurances sociales qui sont en jeu mais bien la coexistence d’un régime de base et de complémentaires sur les mêmes types de risques.

Au moment où la fin du quinquennat approche et dans un contexte où partenaires sociaux et gouvernement ont échoué à donner une réelle consistance au Compte personnel d’activité (CPA) ces propositions retiendront l’attention du législateur mais elles se heurteront indéniablement à la question de la « faisabilité politique ».

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