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Anakin Skywalker ou comment éviter qu’un salarié ne tombe du côté obscur ?

  • Lorenzo Lanteri
  • 17 déc. 2015
  • 5 min de lecture


Si le mythe de Dark Vador a été étudié par la pop culture sous bien des angles, du territoire œdipien au droit constitutionnel, en passant par les préceptes de la philosophie taoïste, il semble qu’une dimension manque dans l’analyse de la destinée tragique du jeune Anakin Skywalker. Celle qui a trait aux conditions de travail.

La seconde trilogie et particulièrement son ultime épisode, « la Revanche des Siths », offre un regard nouveau sur la trajectoire d’un des éléments les plus prometteurs de la galaxie. Pour ceux qui ne sont pas familier de l’univers Star Wars avec les différents épisodes, une petite récapitulation s’impose. Depuis 3 ans, la galaxie est enlisée dans un conflit à grande échelle opposant la République et des systèmes séparatistes. Anakin Skywalker est en voie d’achever sa formation de chevaliers Jedi. Ces derniers sont en quelque sorte de guerriers-philosophes œuvrant pour le maintien de la paix dans la galaxie. Cependant, Anakin est saisi de plus en plus par le doute quant à l’institution qu’il sert. Il succombe progressivement aux sirènes du côté obscur de la force. La peur viscérale de perdre sa bien-aimée, Padmé Amidala et la manipulation exercée par l’intrigant sénateur Palpatine le font progressivement sombrer du côté du pouvoir obscur de la force en d’autres termes du Mal.

La narration de George Lucas autour du personnage d’Anakin Skywalker rompt d’une certaine manière avec une vision manichéenne. Certes il y’a bien l’affrontement de deux camps : le bien (la force/les Jedi) et le mal (le côté obscur/les Siths). Mais il y’a une certaine forme d’étanchéité entre ces deux entités, car c’est en voulant faire « le bien » qu’Anakin sombre dans le mal, entraînant avec lui la République.

La seconde trilogie Star Wars révèle également qu’Anakin n’était pas prédestinés au mal. Son funeste revirement est le fruit de plusieurs interactions avec son environnement extérieur. Ces relations avec le Conseil des Jedi jouent un grand rôle dans son revirement.

En l’occurrence, je me propose ici d’étudier l’incidence de l’environnement de travail et du milieu professionnel sur la trajectoire individuel d’Anakin.

-Des techniques de management pathogènes

La gestion du cas Anakin par le Conseil des Jedi révèle une certaine gestion du personnel pathogène. Les pratiques de mise à l’écart, de secret et de la dissimulation dont abuse ce Conseil vont conduire peu à peu à séparer Anakin de son collectif de travail. L’isolement et la solitude vont générer progressivement des états de détresse psychique majeurs chez lui. Un exemple frappant : quand Anakin se retrouve physiquement seul dans la pièce du Conseil, lors de l’appréhension avortée du chancelier Palpatine. Le Conseil Jedi par ces errements a ainsi contribué à isoler Anakin en le séparant de son collègue habituel, Obi-Wan Kenobi qui est en effet envoyé en mission sur Utapau.

Par ailleurs, Maitre Windu omet volontairement de transmettre des informations sur les réunions du Conseil. Les pratiques punitives mettent Anakin en situation de justification constante et s’avèrent contreproductives. Elles détruisent la reconnaissance du travail qu’il a fourni – on lui demande plusieurs fois s’il est bien sûr de ce qu’il avance sur le Chancelier. Une attitude condescendante qui en plus de témoigner d’un manque de confiance marque une forme de stigmatisation. On invente des règles discriminatoires pour Anakin. Il siège au Conseil mais il ne peut accéder au rang de « Maitre ». N’est-ce pas là une contradiction insoluble? Le Conseil des Jedi dans le traitement qu’il réserve à Anakin crée ainsi deux injonctions contradictoires.

-les injonctions paradoxales

A l’instar des nouvelles formes de management, la gestion du personnel par le Conseil des Jedi conduit à une intériorisation des conflits liés au travail. La souffrance d’Anakin liée à son travail ne trouve pas de moyen d’expression. Dans plusieurs scènes, le Conseil des Jedi (y compris Obi-wan Kenobi, son supérieur direct, N+1) lui interdit de contester l’organisation de son travail, ou la pertinence des missions confiées. Par leur intériorisation, les conflits liés au travail passent ainsi du registre social au registre psychologique.

Le jeune Anakin devient progressivement « divisé de l'intérieur » : une partie de lui-même adhère à l'organisation et à ses objectifs, l'autre partie prend ses distances pour échapper à cette pression (cf.sa relation secrète avec Padmé).

Le symptôme majeur de ce mal-être est lié au sentiment d'être pris dans des injonctions paradoxales. La culture du résultat imposé par maître Windu et l'obsession de l'évaluation des performances au sein du Conseil Jedi créent en effet un monde pathologique et paradoxal pour le jeune Anakin.

L’impératif d’irréprochabilité et de dévouement absolu « à la cause » vont chambouler l’équilibre intime du jeune Anakin. On rappelle sans cesse à Anakin les exigences de « zéro défaut » et on souligne sans arrêt en réunion ses petites imperfections. Même si tout cela est fait dans le but de le rendre plus perfectible, pour être plus prise au sérieux, la somme de ces préceptes qui référent à un monde idéal fabrique un monde impossible dont Anakin ne se sent jamais à la hauteur.

Anakin vit une sorte d'infantilisation et d'instrumentalisation où on lui demande d'être à la fois autonome et de se conformer au système. On lui demande de mener seul sa mission d’espionnage auprès du chancelier Palpatine tout en le tenant à l’écart des décisions relatives à l’objectif de sa mission.

Ce type d'injonction paradoxale conduit à la folie ! Cet état pathologique se répercute sur les relations de travail : l'individu se retrouve seul dans l’incapacité de partager avec les autres son mal-être. A notez aussi, le manque de communication avec un maître Obi-Wan qui ne prête plus une attention suffisante au mal-être d’Anakin

Tous ces éléments constituent donc l’une des causes de son basculement.

Les injonctions paradoxales ont été étudiées par des psychologues de l'école de Palo Alto, en Californie et étendues dans les champs de la sociologie pour dénoncer les nouvelles méthodes de management. Le maniement du paradoxe, consiste à créer un monde impossible « soyez créatifs mais conformes aux objectifs et aux valeurs de l’entreprise », « fournissez une analyse exhaustive tout en travaillant dans la rapidité » « Répondez aux questions sans avoir accès au dossier ».

Le système des injonctions paradoxales pourraient se résumer à une forme de tentative de concilier l’inconciliable. Né aux Etats-Unis, ce mode de management s'est propagé en France dans les années 90 et a fait exploser les risques psycho sociaux pour les salariés de nombreuses entreprises (burn-out, mal-être profond, suicide).

Anakin n’a d’ailleurs d'autre choix que celui de se révolter. Puis de choisir la voie de sa propre destruction. La gestion du stress par des séances de méditation individuelles et collectives n’a pas suffi à atténuer la pression managériale subie par Anakin. Les « solutions » mises à disposition par le Conseil des Jedi tels que la confiance en soi, la maîtrise émotionnelle, l’optimisme, la compassion et la bienveillance apparaissent comme des outils insuffisants pour contrecarrer la logique de déshumanisation à l’œuvre.

La représentation théorique libérale fondée sur l’Homo œconomicus dépeindrait Anakin comme un salarié frustré par l’absence de promotion allant offrir ses services à la concurrence mais ce paradigme manque une dimension essentielle celle de la souffrance psychologique enduré par le Lord Vador.

Cette analyse est évidemment une charge à peine masquée contre le Conseil des Jedi et souffre d’une certaine forme d’impartialité à l’égard d’Anakin.

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