La bataille pour la prise en charge des maladies chroniques n'est pas engagée
- Lorenzo Lanteri
- 28 oct. 2015
- 5 min de lecture

En une quinzaine d’années, la cartographie sanitaire a changé : la France connait une explosion des maladies chroniques et le coût qu’elles engendrent fragilise l’avenir du système de santé. Les maladies chroniques sont à la croisée des chemins des réflexions sur notre système de santé.
Perception, financement et organisation
La grande nouveauté est qu'aujourd'hui nous ne mourrons plus des maladies comme le cancer ou le diabète. Nous vivons avec, nous pouvons être affecté lourdement temporairement ou bien vivre avec. Les maladies fatales sont devenues chroniques et grâce à l’innovation médicale certaines affectations sont devenues curables (récent traitement contre l’hépatite C).
Cette nouvelle donne médicale transforme notre vision du malade, la personne atteinte d'une pathologie chronique est en réalité un « bien portant ». Dans la plupart des cas, c'est un patient pleinement intégré dans la société. Pour le directeur du Master Economie de la santé, université Paris-Dauphine, Claude Le Pen « les maladies chroniques renouvelle le questionnement du normal et du pathologique.
L'épidémie de maladie chronique conduit à s'interroger sur le financement de notre modèle sanitaire. Les maladies chroniques nécessitent une prise en charge pendant plusieurs années, elles ont un coût élevées qui fragilise l’avenir du système de santé. On passe progressivement d’un modèle sanitaire où le risque long prédomine sur le risque court. Notons, d’ailleurs que cet allongement du risque s’étend à tous les domaines de la protection sociale avec le chômage longue durée, la dépendance etc. Ce changement radical amène un redéploiement de notre Etat-providence.
Le système de santé actuel est-il dimensionné pour faire face à l’augmentation du nombre de patients à traiter? Aujourd’hui, 80% des dépenses d’Assurance maladie se concentrent sur 20% de la population atteintes de maladie chronique.
Enfin, les maladies chroniques sont l'occasion de revoir l’organisation de notre systéme de santé. La chronicité nous amène à repenser notre modèle trop tourné vers le curatif. Ce dernier doit davantage s'orienter vers une logique de prévention pour agir sur les déterminants sociaux et environnementaux. La prise en charge des maladies chroniques engagent une réflexion sur la place du patient dans le parcours de soins et à sortir d’une approche encore trop centré sur le diagnostic médical.
Médecine de parcours : année zéro
Pour Danièle Desclerc-Dulac présidente du Collectif interassociatif sur la santé (CISS) « il faut cesser de prendre en compte uniquement l’organe mais la personne dans sa globalité». Le patient doit être en mesure de pouvoir choisir son mode de prise en charge entre l’ambulatoire ou l’hospitalier. L’éducation thérapeutique fait partie de l’accompagnement du patient. Aujourd’hui la décision est plus informée que réellement partagée insuffisamment. Il faut davantage accompagner la personne et son entourage dans la décision.
Depuis 2012, la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAMTS) a mis en place des parcours de soins coordonnés pour le diabète (Programme SOPHIA) et des programmes d’accompagnement de retour à domicile pour les patients hospitalisés (PRADO). Une version simplifiée et plus ergonome du Protocole de Soins Electronique (PSE), l’outil de communication indispensable entre les professionnels de santé dans le traitement des affectations des patients atteint de d’affectations longues durée (ALD) devrait voir le jour en mars 2016.
En une quinzaine d’années, la cartographie sanitaire a changé : la France connait une explosion des maladies chroniques et le coût qu’elles engendrent fragilise l’avenir du système de santé.
La logique actuelle de notre système de santé qui a d’abord été pensé pour soigner. La prévention constitue, en effet, le parent pauvre du système de santé. L’investissement dans la prévention doit être massif. La mise en place de ce nouveau modèle nous apparait essentielle si nous ne voulons pas être condamnés à payer pour des nouveaux médicaments et des dispositifs médicaux toujours plus coûteux, sans pour autant endiguer le nombre de personnes malades. Cette nouvelle approche sur la santé permettrait de réduire en amont les facteurs de risques des pathologies chroniques (cancers, pathologies cardio-vasculaires-diabète).
Ce changement de paradigme implique de bousculer les modes de fonctionnement des professionnels de santé. De mettre en place des nouveaux modes de rémunérations qui tiennent compte des nouvelles exigences sanitaires liées aux maladies chroniques (prévention, équipe de pluri professionnels coordonné). Les médecins généralistes et les spécialistes, sont aujourd’hui principalement rémunérés à l’acte, il est nécessaire d’évoluer vers des formes alternatives tels que la capitation. ou le forfait. Il est également nécessaire de former les médecins en dehors de l’hôpital quand notre modèle de soins est en train d’effectuer un virage vers les soins ambulatoires.
La chronicisation des maladies et la nécessité de fluidifier les relations entre l’hôpital et la ville dans la coordination autour du patient s’accommodent mal d’un exercice annuel de financement de la santé par le biais des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).Cette gestion comptable à courte vue n’offre pas une visibilité suffisante pour réadapter notre modèle de santé.
Les politiques de prévention et de santé publique ne sont pas assez développées ou ont été abandonnées, c’est notamment le cas de la médecine scolaire. Plusieurs niveaux d’information doivent être assurés :
— une information sur l’organisation du système de soins en France ;
— l’éducation à la santé à promouvoir dans le cadre de l’enseignement scolaire
— la prévention et sensibilisation tout au long de la vie
— le dépistage qui tout en relevant de l’action médicale ne doit pas être inconnu du public.
Il convient également de mettre en œuvre un parcours de prévention et de dépistage de la naissance à la fin de vie pour tous. La médecine scolaire laissé pour compte ces dernières années doit être réinvestit. Elle doit redevenir un acteur institutionnel de premier plan afin d’assurer des missions de prévention, d’information, d’éducation. Une politique de prévention efficace doit aussi s’évaluer pour être efficace et ne pas renforcer les inégalités de santé. Il faut aller vers les populations précaires, là où réside une méconnaissance de l’information et une exposition plus grandes aux facteurs de maladies chroniques.
Repolitiser les questions de santé
Cette politique ambitieuse de prévention nécessite de s’attaquer une bonne fois pour toutes « aux rentes de situation de certains acteurs », notamment celle du lobby du tabac mais également de industrie agroalimentaire. Pour gérer le flux des malades chroniques, Fréderic Bizard, économiste de la santé appelle à agir sur les « déterminants sociaux » et « le maintien en bonne santé ».
Faire de la prévention le nouveau socle de la politique de santé nécessite d’aborder ces questions de manière transversale, à ce titre, le future projet de loi santé instaure un comité interministériel pour la santé, celui-ci ne doit toutefois pas devenir « une coquille vide » mais une véritable instance d’impulsion des politiques publiques qui irait du péage urbain aux campagnes en faveur des activités sportives intégrant les questions de santé de l’homme , de son environnement , y compris au travail, et des politiques urbaines (logements, transports).
Tout ceci implique de penser la santé en dehors du carcan législatif, il faut sortir du « fetichisme de la loi » Claude Le Pen et repolitiser la santé : celle-ci n’est pas qu’une affaire de gestion administrative (Frédéric Bizard).
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