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Faut-il refonder notre modèle de protection sociale?

  • Lorenzo Lanteri
  • 15 juil. 2015
  • 9 min de lecture



Pour ouvrir d’autres voies de réforme, nous pouvons poser pour postulat que notre système de protection sociale s’avère déficient dans la prise en compte de la diversité des choix de vie. Il ne faut pas pour autant s'abandonner aux logiques individualistes. Au moment du 70 éme anniversaire de la sécurité sociale, les polarisations sociales actuelles ont tendnace a osciller entre la préservation intégrale du « modèle de 1945 » et sa remise en cause totale. En matiére de réforme il est possible d'explorer une troisième voie qui se donne pour ambition de soutenir les individus dans toutes les différentes étapes de leur vie, de la naissance au grand âge en passant par la parentalité.


Un modèle qui garantirait une continuité des droits dans les périodes devenues plus longues d’insertion professionnelles et de transition d’un emploi à un autre. Les parcours professionnels sont aujourd’hui plus fragmentés. Les personnes n’effectuent plus leur carrières au sein d’une même entreprise ou d’un même statut. Qu’elles soient voulues ou subies les nouvelles trajectoires professionnelles sont davantage marquées par des périodes de ruptures, de transitions au caractère dynamique et incertain.


Prendre en compte les nouvelles trajectoires de vie


Il nous faut pour cela sortir de la conception initiale qui a prédominé au déploiement de notre sécurité sociale celui d’un système d’assurance professionnelle où la protection sociale est directement rattachée au statut sur le financement de cotisations payées par les employeurs et les salariés. Bruno Palier, Bernard Gazier et Hélène Périvier dans leur récent ouvrage « Refonder la protection sociale, pour une nouvelle génération de droits sociaux » aborde manière exhaustive cette question.

  • Le constat sur les limites du système de protection sociale français

Notre modèle social veut que les plus hauts niveaux de protections aient été liés au statut de l’emploi salarié et sa permanence tout au long de la trajectoire professionnelle dont la quintessence s’exprime sous la forme du Contrat à durée indéterminée (CDI).


Le marché du travail s’est considérablement dégradé depuis, avec l’installation durable d’un chômage de masse qui touche environ 10% de la population active et par le développement croissant de multiples situations de travail en marge de l’emploi régulier.


Pour de nombreux salariés, il est devenu aujourd’hui nécessaire de réunir diverses compétences, expériences en changeant de postes et en assumant des périodes de transition. Nous devons par conséquent réfléchir à un système de protection sociale qui puisse permettre de rendre effective positivement ces périodes de transition afin que la mobilité de l’emploi ne deviennent pas l’apanage des mieux lotis professionnellement de notre société. Il faut au contraire nous inscrire dans une perspective globale et universelle qui défend l’élévation et l’amélioration de la qualité des emplois pour tous.


Dans une situation où les conditions de travail se sont sensiblement dégradées avec l’augmentation des troubles musculo-squelettiques (TMS), il est cruciale de favoriser une logique de mobilité ascendante. certains pays comme le Danemark ont depuis longtemps opté pour ce choix de société. La logique de réduction du coût du travail a poussé les entreprises à recourir massivement à la sous-traitance engendrant ainsi la multiplication des formes d’emplois atypiques (intérim, CDD courts, emplois à temps très partiel, emplois aidés). Cette compétitivité par les coûts a créée une forme de précarité professionnelle marquées par des situations de couvertures partielles ou nulles des risques sociaux traditionnelles telles que l’assurance chômage, la santé ou la retraite. Notre système de protection sociale ne peut se complaire de cette dualité qui partage la population active entre insiders et outsiders des droits sociaux. Particuliérment à un moment où la révolution numérique et les formes d'uberisation de l'économie bouleversent chaque jour notre conception traditionelle du travail.


Les récentes réformes ont intensifié cette division, entre d'une part, ceux qui relèvent de l’assurance traidtionelle avec leurs ayants droits, ceux qui par le biais de leurs cotisations ont suffisamement contribué au système et d'autre part, ceux qui relèvent de la solidarité nationale et des prestations d’assistances délivrées sous condition de ressources.


Cette division est également à mettre en parallèle avec le fractionnement du financement de notre protection sociale obligatoire entre deux sphères : le secteur des assurances sociales (retraites, chômage) et ceux relevant de moins en moins d’une logique non contributive financée par l’impôt et servant des prestations forfaitaires (santé, famille, politiques sociales des collectivités territoriales).




La nouvelle architecture des droits sociaux



Pour les auteurs comme notre organisation, la justice sociale repose sur "la capacité de notre société à mettre chacun et chacune en position d’effectuer librement ces choix de vie et de carrière". Le nouveau contrat social qui est proposé repose sur le principe de liberté et d’égalité de tous devant la gamme des choix et de projets de vie réalisables. En d’autres termes, dans un monde qui voit se développer « l’instabilité des stables [1]» et s’installer durablement des nouvelles formes de pauvreté, il faut de nouveau donner aux citoyens la capabilité de devenir les « entrepreneurs de soi ». Dans cette perspective, toutes les carrières doivent être rendues possibles, qu’elles soient linéaires ou hachées. Les transitions professionnelles doivent être rentables.


Dans ce nouveau contrat social, la qualité de l’emploi doit être centrale afin de les rendre attractifs. Les transitions, quant à elles, doivent être anticipées et aménagées afin de favoriser l’autonomie de l’individu et son insertion dans des réseaux. Les relations entre l’individuel et le collectif se reconstitueraient par le passage à un équilibre haut des contributions et des rétributions où l’accès aux nouveaux droits suscite la réciprocité. D’un côté, la collectivité doit être en mesure de proposer des emplois de qualité, des formations, tout en reconnaissant la transversalité des carrières. De l’autre, les travailleurs sont tenus de démontrer une « loyauté active » à l’entreprise en s’impliquant dynamiquement en son sein.


Le déploiement de cette logique est explicité par quatre principes au fondement des bases d’une nouvelle égalité.

  • Le principe de justice doit permettre à tous les individus d’être autonomes et acteurs de leur propre vie.


  • Le principe de solidarité participe à la constitution d’une « société de semblables » où tous sont soumis aux mêmes risques et doivent se placer dans des situations d’interdépendance afin d’assurer collectivement un socle de droits incompressibles (droit à la protection, à la promotion, aux transitions, à la formation).


  • Le principe d’efficacité implique un investissement social en amont afin d’équiper les gens et leur donner la volonté et la possibilité de s’insérer sur le marché du travail.


  • Le dernier principe est celui de l’égalité entre les sexes qui consiste à répartir équitablement les responsabilités économiques, familiales et politiques.

L’investissement social exige que l‘on complète l’approche traditionnelle de la protection sociale essentiellement indemnisatrice et curative, par une approche préventive, qui intervient en amont des problèmes.


Cet élargissement implique d’améliorer l’accès aux biens et services sociaux: les soins, le logement, les transports collectifs, les services d’aide à la personne tout en créant des emplois qualifiés et qualifiants, avec des individus formés. Les politiques publiques encore aujourd'hui cloisonnée doivent tendre vers davantage de transversalité en améliorant autant la qualité de vie des bénéficiaires que la qualité de vie des travailleurs.


L’autonomie et l’ascension de l’individu doivent être préservées par la continuité des revenus et des droits sociaux malgré l’inactivité professionnelle : mise en place d’un socle de ressources décent d’autonomie (revenu minimum et garantie d’accès à des services) ; dispositif d’assurance-employabilité privilégiant la formation et l’acquisition de compétences transférables à une logique d’indemnisation ; transformation du congé parental compensateur en une assurance parentale sécurisatrice des revenus.


Pour les auteurs, la politique familiale doit être repensée pour tenir compte des évolutions de la conjugalité et des nouvelles formes de vie familiales (1/3 des femmes vivent seule avec un enfant) en tendant vers une forme de désexuation des rôles traditionnels. Les auteurs pronent ainsi le redéploiement du congé parental en assurance parentale de transition ainsi que la remise à plat du quotient conjugal. En paralléle, les pouvoirs publics doievent fournir le développement d’un accueil de qualité des jeunes enfants dès la préscolarisation. l'ambition étant d'assurer une meilleure articulation entre la sphère familiale et la sphère professionnelle.


Le dernier point concerne la gouvernance, les auteurs prônent un renforcement du dialogue social entre employeur et salariés. Selon eux, la réussite du modèle nécessite un engagement fort de l’Etat dans l’accompagnement de projets et des périodes de transition avec des politiques coordonnées et en appui du tiers secteur tel que le milieu associatif. La future réforme territoriale pourrait reprseneter un levier important dans la mobilisation des acteurs territoriaux dans la mise en liaison entre les projets individuels et les demandes des entreprises locales et nationales.




Le compte personnel d'activité socle des nouveaux droits sociaux


L’ouvrage a le mérite de poser les bases d’un futur système de protection sociale avec des droits attachés aux personnes plutôt qu’au statut. Les récentes réformes et celles à venir semblent s’inscrire dans cette logique de continuité des droits en dépit des carrières discontinues avec la création du compte personnel de formation (CPF) et du compte personnel d’activité (CPA). Attaché les droits plutôt aux personnes et qu’aux entreprises et en assuré leur portabilité est la condition nécessaire à l’avènement d’une forme de « propriété sociale personnel »[2].


Parent pauvre du système français de protection sociale, la formation doit être au cœur du nouveau contrat social. Pour les auteurs, le fait de ne pouvoir accéder à la formation professionnelle constitue un risque social. L’accompagnement des transitions personnelles et professionnelles doit donc intégrer dans la nouvelle génération des droits sociaux afin de constituer un socle de promotion. Cependant, les auteurs n’abordent pas la question centrale de la visibilité or celle-ci est aujourd’hui indissociable de la personnalisation des droits sociaux pour assurer la légitimité du modèle. Les jeunes entre 25 et 30 ans ont parfois cotisé jusqu’à trois régimes de retraites différents (CNAV, RSI etc.) et ils n’ont aucune lisibilité sur leurs droits acquis.


Reste toutefois le sentiment d'un décalage entre l’ambition des contributeurs et les réalités politiques et budgétaires. S’il peut apparaitre pertinent d’adopter une vision prospective, il faut tenir compte également du ressenti des acteurs et de leurs logiques ainsi que du contexte budgétaire la part de PIB pour les dépenses sociales a atteint 33% du PIB en 2014.

Néanmoins de réelles marges de manœuvre existe s’il on considère que l’essentiel des budgets sociaux ces dernières années a été absorbé par des dépenses d’indemnisation et surtout de subvention d’exonération de cotisation sociale.


Les dépenses sociales sont passées en 50 ans de 15% du PIB à plus de 30%. Aujourd’hui, ces dépenses sont attaquées frontalement par les politiques d’ajustements structurels. Sans véritablement, les chiffrer les auteurs nous invitent à nous poser la question de la capacité que nous avons à choisir les grandes orientations du redéploiement ? Où est ce qu’on coupe ? Où est-ce qu’on investit ?



Individualiser le financement de la protection sociale


Plutôt que la politique actuelle qui a consisté à ajuster les dépenses aux grés des forces en présence, l’ouvrage nous invite à repenser les contours financiers de notre protection sociale. Qu’est ce qui doit être du ressort de l’assurance sociale financée par les cotisations ou du domaine de la solidarité nationale financée par l’impôt ?


Nous avons le système de protection sociale le plus cher au monde avec le Danemark, or les disparités en termes de performance économique et de productivité des dépenses sociales sont abyssales. Il ne faut pas focaliser le débat sur le volume des dépenses mais davantage sur leur répartition. Le Danemark a choisi de consacrer « l’égalité de genre » dans la base de son modèle et a investi massivement dans la formation.


En France on dépense énormément dans le domaine de la retraite et de la santé en revanche de moins en moins dans la politique familiale, peu dans le chômage et la formation et de manière dérisoire contre la pauvreté (Environ 1% du PIB en 2014).


Il faut œuvrer pour un rééquilibrage du modèle envers les jeunes, les femmes et les enfants. Le reflèchage du financement de la protection sociale doit également s’accompagner d’une réorientation du modèle fiscale. Une fiscalité qui soit davantage en adéquation avec les futures orientations de la protection sociale.


La direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) a récemment montré que les avantages fiscaux liés à l'emploi à domicile étaient inéquitables. Cette politique s’avère infructueuse en termes de création d’emplois et bénéficie essentiellement aux ménages les plus aisés. Les 10% des populations les plus aisées bénéficient de 60% des avantages fiscaux liés aux services à domicile.


Parmi, les dépenses fiscales qu’il faut interroger se pose la question du « quotient conjugal » qui contribue à maintenir une inégalité entre les homme et les femme au sein du foyer mais également une inégalité entre les mariés et le reste de la population.

La question du quotient familial encore trop souvent filtré par les parents au lieu de bénéficier directement aux jeunes.


Il faut réformer les bonifications de pension pour familles nombreuses dont la somme versée est fonction du montant de la pension bénéficie essentiellement aux ménages aisés. En outre, c’est, un mécanisme qui avantage les hommes, qui perçoivent en moyenne des pensions plus élevées que les femmes.


Le redéploiement de ce dispositif sous forme d’un montant forfaitaire pourrait générer une économie de 5 milliards d’euros. Ces 5 milliards d’euros correspondent à la somme nécessaire pour doubler les places en crèche. Rappelons que l’accueil familial à destination de la petite enfance (2 à 3 ans) n’a cessé de reculer en France pour atteindre le niveau de 1970. Si l’on place le bien être de l’enfant et son développement cognitif au cœur de la refonte du secteur de la petite enfance, on est amené à réfléchir non en termes de soutien à la parentalité mais en termes de droit de l’enfant à être accueilli dans une structure de qualité.


Universaliser la protection sociale



Changer de vision c’est également privilégier l’universel au politique de ciblage sur les pauvres qui ont été mis en œuvre avec peu de succès depuis une vingtaine d’années. Les pays qui s’en sortent aujourd’hui n’ont pas en commun leur niveau de protection sociale mais bien leur sélectivité dans cette dépense dans et notamment leur capacité à rendre compatible leur modèle social avec leur modèle de croissance.


Par conséquent la question est de savoir sur quoi se fonde aujourd’hui et demain notre modèle de croissance et par conséquent le modèle social qui en découle ?


La question centrale est de défendre un modèle de croissance orienté vers des emplois de qualité. Plutôt que de subir la division internationale du travail, il faut choisir la montée en gamme, investir plus dans le savoir et la connaissance et la protection sociale doit y contribuer.


Au moment où la révolution numérique est en train de bouleverser notre système productif et de mettre en place des nouvelles logiques de polarisation entre emplois, revenus, valeur ajoutée en redéfinissant le positionnement des nations, nous nous devons d’anticiper ce que sera la protection sociale de demain.




  • Rober Castel

[2] Robert Castel, L'insécurité sociale. qu'est-ce qu'être protégé ?, Paris, Seuil/La république des idées, 2003

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