"Refonder l'Assurance maladie" : Commentaires sur la note du conseil d'analyse éco
- Lorenzo Lanteri
- 23 avr. 2014
- 9 min de lecture
Le Conseil d'analyse économique, organisme placé auprès du Premier ministre, a présenté, le 2 avril 2014, une note sur la refondation de l'assurance maladie. Selon ses contributeurs, les économistes Brigitte Dormont (université Paris-Dauphine), Pierre-Yves Geoffard (Ecole d'économie de Toulouse) et Jean Tirole (Ecole d'économie de Toulouse), le système français de santé est à la fois source d’inégalité et d’inefficacité. Son inefficience résulterait de sa construction sur « deux étages » avec une assurance maladie universelle offrant des remboursements partiels complétés par des assurances complémentaires.
Un système insuffisamment protecteur et inflationniste
La note d’articule autour de deux constats importants. D’une part, le système français ne protège pas suffisamment contre le risque de reste à charge. D’autre part, ce système n’est pas viable à moyen-terme puisque ce dernier n’a aucun mécanisme de pilotage d’offre de soins. Les auteurs s’inscrivent en opposition avec les satisfecit des acteurs du système de santé, ils proposent ainsi, une refondation du système de santé avec pour aboutissement la suppression du système duale de couverture des soins.
A un moment où le gouvernement annonce des économies de l’ordre de 10 milliards, la note du Conseil d’Analyse économique mérite d’être commenté, premièrement parce que les pistes d’efficience se situent au niveau de l’offre de soins plutôt que du côté des patients. Deuxièmement parce que ce n’est pas la sécurité sociale qui est dans le viseur mais bien les complémentaires où les partenaires sociaux sont gestionnaires.
Dans un premier temps, les auteurs dressent un portrait du système de soins français caractérisé par des performances insuffisantes en termes de couverture, un déficit de pilotage de l’offre de soins, des mécanismes coûteux en frais de gestions qui alimentent une spirale inflationniste.
Dans un deuxième temps, ils émettent des propositions à court terme afin d’améliorer le pilotage de l'offre de soins et de définir un meilleur équilibre entre participation des assurés et couverture des besoins.
Enfin, dans un troisième temps, les économistes avancent l’idée d’une réforme structurelle à moyen terme qui passerait par une refonte de l’assurance maladie soit vers une gestion publique décentralisée ou une concurrence régulée entre les différents assureurs.
Une couverture des soins partielle et inégalitaire
Selon les auteurs, la maxime fondatrice du « pacte de 1945 » entendu de la manière suivante « de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins » tient plus de la fiction que du principe de réalité à l’heure actuelle. Le coût de l’accès aux soins n’est plus proportionnel aux ressources des individus et les moyens accordés par l’assurance maladie pour les soins de ville sont fonction des dépenses effectives constatées.
La couverture des soins en France est financée par un système « mixte » composé par l’Assurance maladie et les complémentaires. Dès sa création, la sécurité sociale prévoyait une couverture incomplète des dépenses de soins, une part non négligeable étant à la charge du patient sous forme d’un ticket modérateur. Dans la pratique, ce ticket modérateur a été aussitôt pris en charge par les assurances complémentaires.
Selon les auteurs, le taux moyen de paiement direct par les ménages est un des plus bas d’Europe. Les dépenses couvertes par la sécurité sociale s’établissent à 76,7% et celles prises en charge par les complémentaires « santé » à 13,7%. Le reste du financement est assuré par les ménages.
Ces données générales masquent toutefois d’énormes disparités entre les différents segments d’assurés mais également entre les assurés affectés par des affections de longue durée (ALD) dont les sois sont prise en charge à 100%. La part des assurés ne bénéficiant pas du régime des ALD représentait 82,4% pour un taux de couverture de 59,7%.
Un nombre important de co-paiements ont été introduits depuis le début des années 80. L’année 1983 voit la création du forfait hospitalier, qui n’est autre qu’une participation financière des malades aux frais d’hébergement. En 2004, la « participation forfaitaire » est introduite, le patient doit désormais acquitter de la somme de 1 euros pour les consultations médicales, les analyses biologiques ou d’imageries ainsi que de 18 euros pour les actes dont le tarif remboursable dépasse 120 euros. En 2007, est créé le système dit de « franchise », c’est-à-dire l’acquittement par le patient de 50 centimes par boite de médicaments et par acte paramédical et 2 euros par trajet pour les transports sanitaires avec un plafonnement annuel à 50 euros.
La mise en place de ces participations financières s’est accompagnée de dispositifs compensatoires à destination des personnes les plus démunies et les plus malades. Mise en place en 2000 la CMU-C offre une couverture complémentaire gratuite aux personnes à bas revenus. La loi du 13 août 2004 qui créée également l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé (ACS) concerne toutes les personnes dont les ressources sont faibles mais légèrement supérieures au plafond fixé pour l'attribution de la couverture maladie universelle (CMU) complémentaire.
La politique actuelle vise à faciliter l’accès aux complémentaires « santé » par l’augmentation des plafonds de ressources donnant accès à la CMU-C et à l’ACS et par la généralisation des contrats groupe.
L'absence de régulation tangibles sur les offreurs de soins
La loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation pour l’emploi prévoit, à l’article 1, la généralisation de la couverture complémentaire santé, à l’horizon du 1er janvier 2016. Sur ce point particulier de la généralisation des contrats de groupe à tous les salariés du privé en 2016, les auteurs en pointent les effets pervers. Outre l'effet d'aubaine considérable pour une mesure qui va coûter plusieurs milliards d'euros, il existe un risque de dégradation de la situation des affiliés qui resteront dans le champ des contrats individuels (personnes âgées, chômeurs...), avec un renchérissement de leurs contrats. Selon les auteurs, ces mesures accentuent la mixité de l’assurance-maladie et concourent à l’irrépressible augmentation des dépenses. Du coté, de la demande de soins, la prise en charge par les assurances complémentaires du ticket modérateur neutralisent les effets vertueux que voudraient mettre en place la Sécurité sociale.
Du côté de l’offre, le défaut de régulation du marché des complémentaires entraînent une absence de contractualisation avec les offreurs de soins qui alimentent la progression des dépassements d’honoraires et la hausse des tarifs des dispositifs médicaux. L’augmentation des dépenses de santé, qu’elle soit couvertes ou non par une assurance, est toujours financé par les ménages.
Enfin, les auteurs remettent en cause le système d’assurance complémentaire santé tel qu’il est organisé actuellement.
Selon eux, l’absence de régulation adaptée incite les assureurs à pratiquer une certaine forme de sélection des risques et à pratiquer la segmentation des contrats, la conséquence directe est une dégradation progressive de la mutualisation des risques entre les malades et les biens portants. En plus d’être inégalitaire le système français d’assurance maladie s’avérerait coûteux en frais de gestion (13,4 milliards d’euros dont 7,2 milliards d’euros pour la CNAMTS et 6,2 milliards d’euros pour les organismes complémentaires) et en dépenses fiscales.
Un resserrement du panier de soins solidaire?
Déjà évoqué en 2004 par l'Institut Montaigne puis en 2007 par le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, le CAE renouvelle sa proposition d’instaurer un « panier de soins » regroupant l'ensemble des produits et actes de santé jugés essentiels.
Ces derniers auraient vocation à être accessibles sans barrière financière à l’ensemble de la population. Ce panier regrouperait l’ensemble des produits de santé et des actes curatifs ou préventifs, pratiqués en médecine ambulatoire ou à l’hôpital, qui bénéficieraient d’une couverture pour des indications clairement identifiées. Le panier de soins sélectionne alors les traitements bénéficiant des meilleurs indicateurs d’efficacité par euro dépensé.
L’idée principale est de rembourser à un taux proche 100% les médicaments dits « utiles ». Les autres médicaments dont l’efficacité n’est pas avérée ne seraient pas pris en charge par l’assurance solidaire (Sécurité sociale et complémentaire). Certes, le « panier de soins » permet de dépasser l’approche budgétaire actuelle de réduction des taux de remboursement pour contrôler les dépenses d’assurance maladie, mais on peut douter de la capacité des acteurs à fournir une définition « transparente » de la composition du futur « panier de soins ».
D’autre part, la complexité des traitements et l’interaction des différents acteurs de la santé rendent difficile l’imposition d’une certaine forme d’efficacité productive dans la pris en charge des traitements. Enfin, l’approche timorée de l’Etat vis-à-vis des associations de professionnels de santé constitue le premier obstacle.
Pour mémoire celui-ci avait cédé du terrain sur la question des médicaments à service médical rendu insuffisant en proposant un remboursement partiel à hauteur de 15% au lieu de son déremboursement total (les 85% restants étant pris en charge par les complémentaires).
La résurgence du bouclier sanitaire
Partant du constat que l’absence de plafonnement du ticket modérateur peut entraîner des dépenses catastrophiques, le CAE suggère également de couvrir à 100 % les soins hospitaliers à l'exception d’un forfait ramené à 8 euros au lieu des 23 euros actuelle.
Pour les soins ambulatoires, les auteurs proposent de remplacer le ticket modérateur par une franchise annuelle et un co-paiement, non couverts par des assurances mais plafonnés.
Les experts recommandent de mettre en place une franchise annuelle plafonnée qui dépendrait des revenus des patients. Ainsi, pour une visite chez un généraliste de secteur 1, le patient sous franchise devra payer les 23 euros de sa poche. Le montant du plafond n’est pas précisé dans la note mais certaine sources évoquent une somme proche de 200 euros soit une moyenne de 9 consultations.
Cette mesure cible spécifiquement, les personnes en dessous du seuil de pauvreté dans l’incapacité d’avoir une assurance complémentaire mais se situant au-dessus des limites de plafonds de ressources donnant accès à la CMU-C afin qu’elles ne se retrouvent pas confrontée à des Restes à charge catastrophique (1% de la population endurait des R-a-c supérieur à 500 euros en 2012).
Toutefois, cette injustice mérite-t-elle de remettre en cause
un des principes fondamentaux de l'Assurance-maladie,
à savoir l'universalité de la prise en charge des soins
quel que soit le niveau de vie du patient ?
Par ailleurs, cette proposition comporte de nombreux risques sanitaires et sociaux tout en évacuant pas la question de la soutenabilité financière. En effet, le déremboursement des premières consultations risque d’amplifier le renoncement aux soins de la population.
Cette pratique inspirée des exemples suisses et finlandais est en contradiction même avec les orientations de la future Stratégie Nationale de santé qui s’appuie sur la prévention afin de limiter le fort taux de mortalité et de morbidité évitables dans notre pays.
Ce volet relatif à la responsabilisation du patient n’offre pas réellement de garanti en termes de réduction des dépenses d’assurance maladie. En effet, la perspective d’une participation financière entièrement à la charge de patients en ambulatoire en coexistence avec la gratuité totale de l’hôpital risquent de provoquer un afflux majeur des patients de la médecine de ville vers les établissements hospitaliers.
Enfin, les auteurs souhaitent créer des conditions de la concurrence dans le secteur des complémentaires en définissant un contrat de base homogène.
A court termes, l’obligation faites aux complémentaires d’offrir un « contrat standard » permettrait d’avoir une offre de couverture lisible et d’empêcher la sélection des risques qui s’opère actuellement.
Dans le système actuel, les assurances sont incitées à ajuster leurs primes en fonction des caractéristiques de la personne et notamment son âge. Cette dernière option qui vise à introduire davantage de régulation aurait pour avantage de jouer la concurrence entre assureurs de manière plus efficiente en évitant les primes exorbitantes pour les bas revenus.
En effet, les bas revenus au-dessus de la CMU-C doivent payer entre 8% et 10% de leur revenu pour l’obtention d’une assurance complémentaire. Parallèlement le Conseil d’analyse économique prône la suppression des avantages fiscaux et sociaux des contrats collectifs frais de santé.
Une réforme de plus long terme, la fin du système mixte d’assurance
Dans la dernière partie, les économistes demandent la fin de ce système mixte d'assurance, qui augmente les coûts de gestion et nuit à un pilotage efficace de l'offre de soins. Enfin, les auteurs rappellent que « les frais de gestion sont de 7,2 milliards d'euros pour les organismes relevant de la Sécurité sociale et de 6,2 milliards d'euros pour les organismes complémentaires (pour un montant total de 25 milliards d'euros de prestations en 2012), pour traiter deux fois les mêmes feuilles de soins ». Aussi, ils proposent d'organiser un financement des soins unifié sur un mode public, avec un pilotage décentralisé assumé par les agences régionales de santé (ARS), ou sous la forme d'une concurrence régulée entre caisses d'assurance (délégation de service public).
Ces deux versions reposent sur un financement identique par cotisations proportionnelles aux revenus et offrent les mêmes garanties de solidarité entre bien-portants et malades et entre hauts et bas revenus.
Quel que soit le schéma retenu (ARS ou assureurs), la note plaide pour une contractualisation très directe et offensive entre les financeurs et les prestataires de soins.
Peut-on supprimer le double étage de notre couverture de soins?
Les économistes sont pleinement conscients que « sortir de l'organisation actuelle est un objectif difficile à atteindre, car il bouscule le paysage actuel où sont présents des acteurs à l'assise historique importante ».
Cependant, le coût du statu quo leur semble « suffisamment élevé pour inviter le décideur public à s'engager dans cette direction ».
La publication de la note a suscité de vives réaction de la part des principaux syndicats de médecins et dans le monde des complémentaires.
Brigitte Dormont a souvent pris des positions contre les intérêts des complémentaires santé, elle serait d’ailleurs plus favorable à une refondation du système de couverture santé autour d’un gestionnaire public unifié et décentralisé plutôt que des assureurs en concurrence régulée. La note a le mérite de sortir d’une approche budgétaire trop limitative qui repose essentiellement sur la réduction des coûts de la sécurité sociale. Ce n’est pas la sécurité sociale qui est en jeu mais bien les complémentaires.
La note marque une volonté de responsabiliser les acteurs dans leur ensemble, pas seulement les patients comme c’est souvent le cas mais également les professionnels de santé.
Au moment où la deuxième partie du quinquennat s’articule autour de la mise en œuvre du pacte de responsabilité et la réduction de 10 milliards d’euros des dépenses d’assurance maladie, ces propositions retiendront l’attention du législateur mais elles se heurteront indéniablement à la question de la « faisabilité politique ».
En effet, il apparaît difficilement envisageable électoralement de plaider pour la disparition d’un groupe d’intérêt aussi puissant que la Mutualité française ou encore du rôle des institutions de prévoyance, gérées de façon paritaire par les syndicats de salariés et le patronat, et qui tiennent des positions très fortes sur le marché des contrats de complémentaire « santé » d’entreprise. En d’autres termes, les constructions académiques élaborées par le Conseil d’Analyse économique se heurtent aux calculs politiques plus prosaïques.
La réforme des systèmes de santé constitue un exercice politiquement très délicat dans un environnement institutionnel fortement contraint, dans lequel les rapports de force entre groupes d’intérêt prévalent sur les idées.
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